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Incipit de Manon Lescaut, Abbé Prévost

Commentaire de texte : Incipit de Manon Lescaut, Abbé Prévost. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  21 Juin 2023  •  Commentaire de texte  •  2 117 Mots (9 Pages)  •  272 Vues

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Au 18ème siècle, après la mort de Louis 14, la littérature d’idée portée par les Lumières n’est pas la seule à se développer. Le roman lui aussi est un genre qui va évoluer avant d’atteindre son apogée au 19e siecle. Des auteurs tels que Montesquieu ou L’abbé Prévost vont expérimenter plusieurs nouvelles formes comme le roman épistolaire ou le roman mémoire en cherchant à chaque fois à plaire et à instruire.
Manon Lescaut est l’œuvre la plus connue de l’Abbé Prévost. Dans ce roman, le chevalier des Grieux raconte au Marquis de Renoncourt sa passion amoureuse pour Manon Lescaut et c’est le marquis qui nous rapporte fidèlement l’histoire.  Avant de devenir un roman à part entière en 1753, le récit a été publié en 1731 en tant que le septième tome des mémoires du marquis sous la forme donc d’un récit enchassé.  Manon incarne un type nouveau d’héroïne, émancipée et immorale qui pousse son amant au malheur.
Notre extrait se situe au tout début du roman, après un avant-propos affirmant le caractère authentique du récit et créant un pacte avec le lecteur. Le marquis nous fait le récit de sa première rencontre avec Des Grieux et Manon. Je vais procéder à la lecture du texte.

Nous allons nous demander en quoi le récit de cette rencontre parvient très efficacement à présenter les personnages et captiver le lecteur. Pour répondre à cette question j’ai découpé le texte en trois mouvements, les 17 premières lignes quand le marquis entre dans la ville et découvre un attroupement, puis un second mouvement de la ligne 17 à 27 où il découvre Manon et enfin une dernière partie qui est sa première rencontre avec le chevalier Des Grieux.

Dès la première phrase, un cadre réaliste intriguant est posé. Le narrateur est le Marquis de Renoncourt et il s’exprime avec le « je » puisqu’à l’origine le roman fait partie des mémoires de ce marquis. Cela donne ainsi l’impression de plonger dans une histoire vraie avec un narrateur témoin particulièrement fiable car homme de qualité. Il se trouve dans « un bourg » donc un cadre banal et pourtant il est « surpris » car il voit « tous les habitants en alarme ». L’utilisation du passé simple accompagne l’effet de surprise « je fus surpris » et le déterminant « tous » éveille encore plus notre curiosité. Quelle est cette chose qui attire l’attention et du marquis et des habitants ? Le lecteur est ainsi introduit in media res dans le récit.
Dans les deux phrases suivantes, de la ligne 1 à 5, le regard du marquis suit les déplacements des habitants.  La description de cette foule qui court est très visuelle grâce aux verbes de mouvement « précipiter » en ligne 1, « courir » en ligne 2 et à l’effet de zoom du regard qui va de « leurs maisons » vers « la porte d’une mauvaise hôtellerie » pour arriver à « deux chariots couverts ». Le cadre réaliste est renforcé par l’adjectif « mauvaise » qui qualifie l’hôtellerie et par la description des chevaux encore « fumant ». L’imparfait accompagne très bien cette description avec un narrateur qui après la surprise prend le temps d’observer et de réfléchir pour comprendre, tout comme le lecteur.
Logiquement le marquis essaye de s’informer pour satisfaire sa curiosité dans la phrase suivante, de la ligne 4 à 7 mais il n’obtient pas de réponse. On perçoit alors son agacement ainsi qu’un sentiment de supériorité du probablement à sa condition de noble avec le terme péjoratif « populace curieuse ». La foule ne s’intéresse pas du tout à lui comme le souligne le terme « nulle attention », la seule chose qui les intéresse est derrière la porte de l’hôtellerie, mais l’évocation d’une foule « qui s’avançait toujours en se poussant avec confusion » rend cette porte difficile à atteindre et crèe un sentiment d’attente. La longueur même de la phrase accompagne cette difficulté à atteindre la porte. L’adverbe « Enfin » en ligne 7 marque alors le soulagement pour le marquis et le lecteur de voir l’attente se terminer. Le discours direct au présent nous permet de vivre en même temps que le marquis la réponse : la foule est attirée par des « filles de joie » c’est-à-dire des prostituées. Le verbe « exciter » en ligne 12 est assez vulgaire et souligne que cette curiosité est malsaine.  Le début de la réponse « ce n’est rien » et le substantif « une douzaine » de filles de joies accentue l’idée d’un groupe de filles sans interêt sur lequel il ne faut pas s’attarder précisément.

Pour le marquis la réponse est décevante, les prostituées attirent l’œil lubrique « des bons paysans » mais ne méritent pas qu’un homme comme lui s’y intéresse. Il s’apprête donc à passer son chemin sans franchir la porte comme le précise le conditionnel passé « j’aurais passé après cette explication » en ligne 12. Mais pour le lecteur, la curiosité continue. Grâce à l’archer, on sait que ces filles vont être conduites au Havre de Grâce pour être embarquées vers l’Amérique et bien sûr le lecteur pressent contrairement au marquis, que ces destinations sont importantes pour la suite du roman et qu’il faut donc aller derrière la porte pour découvrir l’intérêt de ces prostituée, cela peut d’ailleurs lui donner à la façon d’une double énonciation au théâtre un sentiment de supériorité par rapport au narrateur accompagné d’un léger sentiment de transgression à l’idée de faire connaissance avec des marginales, des femmes indignes socialement.
Une vieille dame va alors relancer la curiosité du marquis en dramatisant l’atmosphère du récit dans les lignes 12 à 16 avec un registre pathétique. On observe par exemple le champ lexical du bouleversement émotionnel : « exclamations » en ligne 13, « joignant les mains » ,  « « criant », « barbare » « horreur » en ligne 14, « compassion » en ligne 15 « fendre le cœur » en ligne 16. Il y a aussi l’exclamation lyrique « ah ! » en ligne 15, la ponctuation expressive avec les points d’exclamation en ligne 14 et 15. Le suspens est toujours maintenu puisqu’on ne sait pas quelle est la chose qui a bouleversé à ce point la vieille dame. Sa réponse à la question du marquis est hâchée grâce à la ponctuation « Ah ! Monsieur, entrez… » signe de son bouleversement. L’injection à entrer et regarder avec la négation totale en ligne 16 « entrez et voyez si ce spectacle n’est pas capable de fendre le cœur » exclut la possibilité d’une autre réaction émotionnelle et bien sûr cela déclenche enfin le mouvement du marquis en ligne 16/17 qui descend de cheval pour franchir la porte de l’hôtellerie.

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