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Explication linéaire n°16 “Sonnet” de Charles Cros dans Collier de griffes

Fiche de lecture : Explication linéaire n°16 “Sonnet” de Charles Cros dans Collier de griffes. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  27 Avril 2023  •  Fiche de lecture  •  1 262 Mots (6 Pages)  •  215 Vues

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Explication linéaire n°16 “Sonnet” de Charles Cros dans Collier de griffes

        Le thème de l'incompris parcourt la poésie de la 2e moitié du 19e siècle. Le poème “Sonnet” qui constitue la dernière pièce du recueil Collier de griffes est un poème bilan en octosyllabes définissant la situation inadaptée du poète incompris. Ce décalage est à l'image de Charles Cros, marqué par des échecs nombreux, sur le plan sentimental, littéraire et scientifique. Peu remarqué en tant que poète, méconnu comme inventeur (il fut pourtant à l'origine du phonographe et de la photographie en couleurs) Cros mena une vie peu à la hauteur de ses ambitions. Ses recueils traduisent ses déceptions, le sentiment d'être toujours à côté, une certaine forme d'inadaptation à la société. Poète maudit, provocateur et fantaisiste, il se révèle dans “Sonnet” comme l'archétype de l'incompris inspiré. Extrait du recueil Collier de griffes, dont le titre imagé suggère blessures et combats, le poème “Sonnet” est consacré à la situation d'un marginal, incompris et décalé, le poète lui-même.

Lecture

Mouvements: mvt 1 constat d'un décalage illustré par plusieurs situations dans les deux premiers quatrains (v.1 à v.7)// mvt 2 l'expression d'un espoir consolateur (v.8 à la fin)

En quoi le poème “Sonnet” est-il alchimique?

Moi, je vis la vie à côté,
Pleurant alors que c'est la fête.
Les gens disent : Comme il est bête!
En somme, je suis mal coté.

J'allume du feu dans l'été,
Dans l'usine je suis poète ;
Pour les pitres je fais la quête.

    Le sonnet s'ouvre sur un constat: “Moi, je vis la vie à côté v.1/ Le poète reconnait et martèle à la première personne du singulier et au présent de l'indicatif son inadaptation durable dans une succession de monosyllabes:”Moi je vis la vie”. L'expression “à côté”, à laquelle répond en écho et sous forme de jeu de mot le groupe adjectival “mal côté” du V.4 insiste sur cette impression de décalage. Mais la présence du pronom personnel à la forme tonique “Moi” au début de poème sonne comme la revendication active de la personne du poète inadapté. Certes il est marginal mais c'est ce qui fait de lui un créateur assumé.

  Ce décalage souligné par le rapprochement sous forme de pléonasme de “vis”/”vie” v.1 est illustré dans la suite du    sonnet par des évocations répétées de situations, d'actions ou de lieux contradictoires:

- le V.2 “pleurant alors que c'est la fête” présente une situation contradictoire: opposition entre la tristesse du poète et l'ambiance festive qui l'entoure marquée par la proposition subordonnée de concession introduite par la locution conjonctive “alors que”. Mais cette sensibilité  n'est-elle pas la force du poète?

-le poète est en décalage et perçoit le mépris du monde qui l'entoure en le rapportant  directement pour le faire entendre de manière autenthique dans une courte exclamation: “Comme il est bête!” v.3 On s'adresse à lui à la 3e personne, on l'insulte sans qu'il n'ait un droit de réponse. C'est un poète maudit déprécié par “les gens”.

Le poète rappelle qu'il est un être marginal, méprisé socialement dans une forme de courte conclusion au v.4  “En somme, je suis mal côté”.

Le 2e quatrain développe par une suite d'exemples précis juxtaposés l'image d'un être en constant déséquilibre mais qui tente de réunir les contraires par une forme d'alchimie:

tout d'abord on peut imaginer que l'alchimie est créée par le chiasme:

J'allume du feu dans l'été,
Dans l'usine je suis poète ;

certes ce chiasme montre que le poète n'est jamais là où il faut ni quand il faut: allumer du feu en été, difficulté d'être un être sensible au Beau dans un monde industriel mais le chiasme poétique réunit  les contradictions.

Ainsi:

 “j'allume du feu dans l'été”, montre aussi que le poète est un créateur d'énergie; le temps devient un espace “dans l'été”. Le poète se place dans une situation ascendante, recherche une élévation comme le suggère le motif de la chaleur, connotée par les termes “feu”, “été”, “flammes”. Il est à la fois créateur de vie mais aussi de mort. Ce que l'on retrouve avec les doubles connotations des substantifs “feu” et “flamme” (qui connotent vie mais aussi destruction)

l'assertion “dans l'usine, je suis poète” révèle que la création esthétique naît malgré la rudesse du monde industriel; que le beau côtoie le laid; que le beau naît du laid.

La dernière juxtaposition est énigmatique “pour les pitres, je fais la quête” Ce vers qui clôt le quatrain peut rappeller les préjugés que l'opinion commune (les gens) peut avoir sur les poètes: “ils sont bêtes” ce serait aussi des bouffons qui font la manche. Ce vers montre aussi une absence de soumission à des règles exprimées; le poète est un être non conformiste au service de l'amusement, des arts. En outre, le nom “quête” est à interroger dans sa double acception (son double sens): le poète ne serait-il pas  plûtot dans une forme de “quête” esthétique?

Qu'importe ! J'aime la beauté.

Beauté des pays et des femmes,
Beauté des vers (4), beauté des flammes (4),
Beauté du bien, beauté du mal.

J'ai trop étudié les choses ;
Le temps marche d'un pas normal;
Des roses, des roses, des roses !

C'est ce que laisse penser le 2e mouvement du sonnet qui eprime un espoir consolateur.

Le dernier vers du 2e quatrain est un hymne à la beauté. Le poème transforme la boue en or poétique.

L'exclamation désinvolte “Qu'importe! J'aime la beauté” traduit l'insouciance du poète devant cette marginalité, cette exclusion. Le poète compense son inadaptation sociale par une sensibilité esthétique exprimée à bas bruit dans le 1er mouvement et explicitement dans le 2e mouvement: “J'aime la beauté!”.

Dans le 1er tercet, la consolation esthétique est martelée par l'anaphore du  substantif “Beauté”, exprimé 6 fois, beauté centrée sur des domaines variés par de nombreux paraléllismes: l'esthétique des lieux: “beauté des pays”, des êtres: “beauté des femmes”, des créations poétiques dans une métrique régulière en 4/4 : “ beauté des vers, beauté des flammes”, et esthétique du domaine moral: dans une antithèse réunificatrice “Beauté du bien, beauté du mal”. Ce tercet passe  en revue les domaines d'inspirations baudelairiennes (Charles Cros est influencée par la poésie de Baudelaire) et crée une unité que les oppositions des deux quatrains semblaient rendre difficilement possibles. Au décalage de sa vie et de ses activités, Charles Cros oppose un principe unificateur: la poésie.

Le dernier tercet rappelle le statut du poète qui est un observateur: “J'ai trop étudié les choses”. L'adverbe “trop” sous-entend que l'origine de la marginalité du poète voyant serait son excès de connaissance, excès souligné par  la diérèse (é-tu-di-é).

Enfin, pendant que le temps personnifié “marche d'un pas normal” à travers une assonance en (a) qui rappelle la fuite du temps, le poète (qui semble plûtot, lui,  aspirer au céleste) clot son sonnet dans un vers sans verbe, atemporel, sur un triple appel des “roses” dont l'interprétation semble énigmatique: sont-ce les roses de l'amour d'inspiration épicurienne (Ceuillez dès aujourd'hui les roses de la vie”,) que l'on retrouve chez Ronsard dans les Sonnets pour Hélène en 1578, sont-ce les roses qui flétrissent,  miroir du temps qui passe ou sont-ce les fleurs poétiques, les roses de la poésie, les fleurs maladives?

Conclusion: Le poème est alchimique car la marginalité du poète et les oppositions sont dépassées par l'or, l'esthétique, la beauté et tout ce qui constitue la poésie. Dans le poème “L'Albatros” tirées des Fleurs du Mal, Baudelaire fait l'analogie entre l'albatros martyrisé par les hommes et le poète maudit qu'il est. Mais le motif du martyr est magnifié par la magie de la poésie. Le Mal devient Fleur poétique, Le Mal devient Beauté.

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