Le ventre de Paris, Zola
Commentaire de texte : Le ventre de Paris, Zola. Recherche parmi 302 000+ dissertationsPar ophoph • 2 Juin 2025 • Commentaire de texte • 2 788 Mots (12 Pages) • 40 Vues
Zola, Le Ventre de Paris (1878), extrait du chapitre 1.
Florent regardait le bas de la rue Montorgueil. C’était là qu’une bande de sergents de ville l’avait pris, dans la nuit du 4 décembre. Il suivait le boulevard Montmartre, vers deux heures, marchant doucement au milieu de la foule, souriant de tous ces soldats que l’Élysée promenait sur le pavé pour se faire prendre au sérieux, lorsque les soldats avaient balayé les trottoirs, à bout portant, pendant un quart d’heure. Lui, poussé, jeté à terre, tomba au coin de la rue Vivienne ; et il ne savait plus, la foule affolée passait sur son corps, avec l’horreur affreuse des coups de feu. Quand il n’entendit plus rien, il voulut se relever. Il avait sur lui une jeune femme, en chapeau rose, dont le châle glissait, découvrant une guimpe plissée à petits plis. Au-dessus de la gorge, dans la guimpe, deux balles étaient entrées ; et, lorsqu’il repoussa doucement la jeune femme, pour dégager ses jambes, deux filets de sang coulèrent des trous sur ses mains. Alors, il se releva d’un bond, il s’en alla, fou, sans chapeau, les mains humides. Jusqu’au soir, il rôda, la tête perdue, voyant toujours la jeune femme, en travers sur ses jambes, avec sa face toute pâle, ses grands yeux bleus ouverts, ses lèvres souffrantes, son étonnement d’être morte, là, si vite. Il était timide ; à trente ans, il n’osait regarder en face les visages de femme, et il avait celui-là, pour la vie, dans sa mémoire et dans son cœur. C’était comme une femme à lui qu’il aurait perdue. Le soir, sans savoir comment, encore dans l’ébranlement des scènes horribles de l’après-midi, il se trouva rue Montorgueil, chez un marchand de vin, où des hommes buvaient en parlant de faire des barricades. Il les accompagna, les aida à arracher quelques pavés, s’assit sur la barricade, las de sa course dans les rues, se disant qu’il se battrait, lorsque les soldats allaient venir. Il n’avait pas même un couteau sur lui ; il était toujours nu-tête. Vers onze heures, il s’assoupit ; il voyait les deux trous de la guimpe blanche à petits plis, qui le regardaient comme deux yeux rouges de larmes et de sang. Lorsqu’il se réveilla, il était tenu par quatre sergents de ville qui le bourraient de coups de poing. Les hommes de la barricade avaient pris la fuite. Mais les sergents de ville devinrent furieux et faillirent l’étrangler, quand ils s’aperçurent qu’il avait du sang aux mains. C’était le sang de la jeune femme.
Florent, plein de ces souvenirs, levait les yeux sur le cadran lumineux de Saint-Eustache, sans même voir les aiguilles. Il était près de quatre heures. Les Halles dormaient toujours. Madame François causait avec la mère Chantemesse, debout, discutant le prix de la botte de navets. Et Florent se rappelait qu’on avait manqué le fusiller là, contre le mur de Saint-Eustache. Un peloton de gendarmes venait d’y casser la tête à cinq malheureux, pris à une barricade de la rue Greneta. Les cinq cadavres traînaient sur le trottoir, à un endroit où il croyait apercevoir aujourd’hui des tas de radis roses. Lui, échappa aux fusils, parce que les sergents de ville n’avaient que des épées. On le conduisit à un poste voisin, en laissant au chef du poste cette ligne écrite au crayon sur un chiffon de papier : « Pris les mains couvertes de sang. Très-dangereux. » Jusqu’au matin, il fut traîné de poste en poste. Le chiffon de papier l’accompagnait. On lui avait mis les menottes, on le gardait comme un fou furieux. Au poste de la rue de la Lingerie, des soldats ivres voulurent le fusiller ; ils avaient déjà allumé le falot, quand l’ordre vint de conduire les prisonniers au Dépôt de la préfecture de police. Le surlendemain, il était dans une casemate du fort de Bicêtre. C’était depuis ce jour qu’il souffrait de la faim ; il avait eu faim dans la casemate, et la faim ne l’avait plus quitté.
“Le ventre de Paris”, troisième roman de la série des Rougon-Macquart, est un roman d’Emile Zola, publié en 1873. Le titre fait référence aux Halles centrales de Paris, un immense marché alimentaire qui était, à l’époque, le centre de d’approvisionnement de Paris. Le “ventre” représente la richesse, l’abondance de nourriture, l’avidité et l’excès. A travers des descriptions précises, le roman de Zola devient une réflexion sur les excès, les inégalités sociales et l’hypocrisie.
Dans le roman, Florent, le protagoniste, incarne un étranger dans un monde d’excès. Arrêté par erreur après le coup d’Etat du 2 décembre 1851, il sera déporté en Guyane. Il réussira à s’évader et arrivera à Paris, où il trouvera un travail dans les Halles. Amaigri par son séjour en prison, son apparence maigre, maladive contrastera avec l’embonpoint des commerçants des Halles. Le contraste physique devient une métaphore des tensions sociales entre bourgeoisie et pauvreté. Le “ventre” du titre du roman peut ainsi aussi se référer à un manque de cœur, puisque le personnage principal Florent sera jugé sévèrement sur son physique, mais aussi sur son manque de biens, sans empathie de la part des autres personnages.
L’extrait se situe dans le premier chapitre et relate les souvenirs de Florent sur son arrestation. Ses souvenirs datent de début décembre 1851, lors du coup d’Etat de Louis-Napoléon Bonaparte, qui met fin à la Deuxième République et établit de Second Empire sous Napoléon III. Il y a alors de violentes répressions contre les opposants républicains qui tentent de résister en érigeant des barricades dans les rues de Paris.
L’extrait commence au moment où Florent se retrouve à l’endroit de son arrestation. Il se remémore alors comment il marchait paisiblement avant que les soldats fusillent les passants. Le boulevard Montmartre où il se trouve est un lieu moderne et animé, point de passage clé pour les mouvements révolutionnaires populaires.
Florent décrit d’abord “tous ces soldats que l’Élysée promenait sur le pavé pour se faire prendre au sérieux ...”, soulignant leur coté passif. Le verbe “se faire promener” utilisé fait penser à la promenade d’un chien, animal de compagnie sur lequel on a de l’autorité et qui ne fait qu’obéir. La phrase continue : “lorsque les soldats avaient balayé les trottoirs, à bout portant ...”. Soudainement, les soldats deviennent violents, brutaux, tuent. On ne sait pas si la volonté de tuer vient du gouvernement, que les soldats restent donc des êtres, presque objets, obéissants, ou s’ils sortent de leur passivité, exercent leur propre volonté et décident de montrer leur supériorité à la population. Florent se retrouve malgré lui dans les insurrections et fait l’expérience de la brutalité des soldats. Il est “jeté à terre”, passe du statut debout à couché, ce qui montre sa vulnérabilité. “Et il ne savait plus, ...”, là commence sa confusion mentale. Il raconte l’horreur des coups de feu et l’affolement de la foule.
...