Peut-on tolérer toutes les opinions
Dissertation : Peut-on tolérer toutes les opinions. Recherche parmi 302 000+ dissertationsPar demian12346 • 6 Septembre 2025 • Dissertation • 4 307 Mots (18 Pages) • 202 Vues
« La discorde est le plus grand mal du genre humain, et la tolérance est son seul
remède » : cette affirmation de Voltaire dans le Dictionnaire philosophique semble faire
de la tolérance une vertu fondamentale, et la condition même de toute vie en commun. La
diversité des individus qui composent une communauté pouvant induire une égale diversité
d’opinions, il n’y aurait d’autre moyen pour surpasser leur antagonisme et permettre leur
coexistence que d’apprendre à chacun la vertu de tolérance.
Cependant, peut-on véritablement tolérer toutes les opinions ? La question qui
se pose ici est celle de la légitimité d’une tolérance universelle, excluant toute exception.
Que signifie au juste « tolérer » ? Au plan individuel, la tolérance désigne la capacité
non seulement de supporter, mais aussi d’accepter, des opinions ou croyances différentes
des siennes. Au plan politique, elle peut aussi désigner le refus d’un état d’interdire telle
ou telle opinion ou croyance, le refus donc de condamner et punir ceux ou celles qui
les professent. Précisons enfin la nature de ce que l’on appelle « opinion » : il s’agit
d’un jugement insuffisamment fondé en raison, que caractérise donc la contingence et
l’incertitude, l’absence de vérité nécessaire.
La difficulté semble dès lors être la suivante : la tolérance semble pouvoir être
considérée comme une vertu, comme nous l’avons vu plus haut, et ce d’autant plus que
nulle opinion ne peut se prévaloir d’un degré de certitude tel, qu’il justifierait l’exclusion de
toute autre. Toutefois, l’idée d’une tolérance universelle semble conduire à une manière de
relativisme absolu, au sein duquel toutes les opinions se vaudraient, et pourraient toutes
être également acceptées. Or n’existe-t-il pas par exemple des opinions absurdes qui,
sur le plan théorique, mériteraient d’être rejetées au profit d’opinions plus raisonnables
ou probables, voire au profit d’un savoir authentique ? Et n’y a-t-il pas des opinions
qui nous semblent d’emblée problématiques sur le plan moral : celles par exemple qui
incitent au mépris d’autrui, voire à la violence envers autrui ? Autrement dit : est-il
tenable pour cette vertu que serait la tolérance de tolérer jusqu’aux opinions intolérantes
elles-mêmes, ou faut-il penser qu’il y a nécessairement, parmi la diversité des opinions
humaines, des opinions proprement intolérables ? Telles sont les difficultés que nous
tenteront ici d’affronter.
Une opinion est un type de jugement qui, comme le soulignait Platon, ne rend pas
raison de lui-même, de sorte que là même où il arrive qu’elle coïncide avec la vérité (car
il y a bien des « opinions vraies » ou « droites »), elle ne saurait être considérée comme
un véritable savoir : ce pourquoi elle peut être définie comme un « intermédiaire entre la
science et l’ignorance », suivant la formule du livre V de la République (478d). Or c’est le
plus souvent d’opinions que les hommes se contentent spontanément, persuadés de savoir
là où ils ne disposent en fait que d’une apparence de savoir : raison pour laquelle le premier
pas de la sagesse devrait au moins consister à prendre conscience de ce que l’on ne dispose
en fait rien de plus que d’une opinion, ou en d’autres termes, à « savoir que l’on ne sait pas
», comme y insiste l’Apologie de Socrate. Celui qui opine devrait admettre le caractère
incertain et relatif de ses opinions, et ne pas prétendre les imposer à d’autres comme ayant
une valeur absolue. C’est pourquoi l’on pourrait dire pour commencer que la notion même
d’opinion, telle qu’elle vient d’être définie, implique une exigence de tolérance de chacun
à l’égard des opinions d’autrui.
On pourrait dès lors ajouter aussi que l’exigence de tolérance à l’égard des opinions
de chacun vient de ce que chaque individu humain, devant nécessairement reconnaître
qu’il n’est pas tout parfait, et donc qu’il n’est pas omniscient ni infaillible, se doit par là
même de relativiser la valeur qu’il accorde à ses propres jugements. Tel est l’argument
que développera John Stuart Mill dans le deuxième chapitre son essai Sur la liberté
(On Liberty) : dans bien des domaines (par exemple dans le domaine religieux, mais
aussi sur bien d’autres questions pratiques, morales, politiques), nous ne pouvons être
absolument certains qu’un opinion donnée est absolument fausse – quand bien même elle
nous apparaîtrait spontanément telle, parce que nous sommes d’une opinion différente.
Refuser à l’autre le droit d’exprimer son opinion, de la défendre, d’en discuter ce serait
sous-entendre à tort que nous mêmes sommes « infaillibles », ce à quoi nul homme ne
saurait pourtant prétendre. Or, précise Stuart Mill, on voit que bien des hommes qui
reconnaîtraient verbalement n’être pas infaillibles, n’agissent cependant conformément
à ce principe : beaucoup d’hommes, et particulièrement ceux qui sont habitués à être
reconnus, respectés, obéis, se comportent en maintes occasions comme s’il pouvait être
néanmoins légitime d’imposer le silence aux opinions qui diffèrent des leurs. On voit que
l’argument de l’auteur a ici une dimension qui n’est pas seulement morale, mais aussi et
peut- être surtout une dimension politique : si la tolérance doit être requise de chaque
individu à l’égard des opinions des autres, elle est aussi requise à l’égard de qui détient
une autorité politique dans une communauté donnée ; le fait de disposer d’une autorité
politique, même légitime, ne saurait autoriser à imposer ses propres croyances (notamment
religieuses) et à interdire celles qui sont autres. La liberté de conscience accordée à tous
les individus seraient donc une limite nécessaire de l’autorité politique.
John Stuart Mill va plus loin encore, en soulignant que l’amour et la recherche
de la vérité requièrent elles-mêmes une telle tolérance à titre de condition nécessaire –
et ce même si, bien sûr, parmi la diversité des opinions qu’on laissera s’exprimer sur un
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