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Peut-on tolérer toutes les opinions

Dissertation : Peut-on tolérer toutes les opinions. Recherche parmi 302 000+ dissertations

Par   •  6 Septembre 2025  •  Dissertation  •  4 307 Mots (18 Pages)  •  205 Vues

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        « La discorde est le plus grand mal du genre humain, et la tolérance est son seul

remède » : cette affirmation de Voltaire dans le Dictionnaire philosophique semble faire

de la tolérance une vertu fondamentale, et la condition même de toute vie en commun. La

diversité des individus qui composent une communauté pouvant induire une égale diversité

d’opinions, il n’y aurait d’autre moyen pour surpasser leur antagonisme et permettre leur

coexistence que d’apprendre à chacun la vertu de tolérance.

        Cependant, peut-on véritablement tolérer toutes les opinions ? La question qui

se pose ici est celle de la légitimité d’une tolérance universelle, excluant toute exception.

Que signifie au juste « tolérer » ? Au plan individuel, la tolérance désigne la capacité

non seulement de supporter, mais aussi d’accepter, des opinions ou croyances différentes

des siennes. Au plan politique, elle peut aussi désigner le refus d’un état d’interdire telle

ou telle opinion ou croyance, le refus donc de condamner et punir ceux ou celles qui

les professent. Précisons enfin la nature de ce que l’on appelle « opinion » : il s’agit

d’un jugement insuffisamment fondé en raison, que caractérise donc la contingence et

l’incertitude, l’absence de vérité nécessaire.

        La difficulté semble dès lors être la suivante : la tolérance semble pouvoir être

considérée comme une vertu, comme nous l’avons vu plus haut, et ce d’autant plus que

nulle opinion ne peut se prévaloir d’un degré de certitude tel, qu’il justifierait l’exclusion de

toute autre. Toutefois, l’idée d’une tolérance universelle semble conduire à une manière de

relativisme absolu, au sein duquel toutes les opinions se vaudraient, et pourraient toutes

être également acceptées. Or n’existe-t-il pas par exemple des opinions absurdes qui,

sur le plan théorique, mériteraient d’être rejetées au profit d’opinions plus raisonnables

ou probables, voire au profit d’un savoir authentique ? Et n’y a-t-il pas des opinions

qui nous semblent d’emblée problématiques sur le plan moral : celles par exemple qui

incitent au mépris d’autrui, voire à la violence envers autrui ? Autrement dit : est-il

tenable pour cette vertu que serait la tolérance de tolérer jusqu’aux opinions intolérantes

elles-mêmes, ou faut-il penser qu’il y a nécessairement, parmi la diversité des opinions

humaines, des opinions proprement intolérables ? Telles sont les difficultés que nous

tenteront ici d’affronter.

        Une opinion est un type de jugement qui, comme le soulignait Platon, ne rend pas

raison de lui-même, de sorte que là même où il arrive qu’elle coïncide avec la vérité (car

il y a bien des « opinions vraies » ou « droites »), elle ne saurait être considérée comme

un véritable savoir : ce pourquoi elle peut être définie comme un « intermédiaire entre la

science et l’ignorance », suivant la formule du livre V de la République (478d). Or c’est le

plus souvent d’opinions que les hommes se contentent spontanément, persuadés de savoir

là où ils ne disposent en fait que d’une apparence de savoir : raison pour laquelle le premier

pas de la sagesse devrait au moins consister à prendre conscience de ce que l’on ne dispose

en fait rien de plus que d’une opinion, ou en d’autres termes, à « savoir que l’on ne sait pas

», comme y insiste l’Apologie de Socrate. Celui qui opine devrait admettre le caractère

incertain et relatif de ses opinions, et ne pas prétendre les imposer à d’autres comme ayant

une valeur absolue. C’est pourquoi l’on pourrait dire pour commencer que la notion même

d’opinion, telle qu’elle vient d’être définie, implique une exigence de tolérance de chacun

à l’égard des opinions d’autrui.

        On pourrait dès lors ajouter aussi que l’exigence de tolérance à l’égard des opinions

de chacun vient de ce que chaque individu humain, devant nécessairement reconnaître

qu’il n’est pas tout parfait, et donc qu’il n’est pas omniscient ni infaillible, se doit par là

même de relativiser la valeur qu’il accorde à ses propres jugements. Tel est l’argument

que développera John Stuart Mill dans le deuxième chapitre son essai Sur la liberté

(On Liberty) : dans bien des domaines (par exemple dans le domaine religieux, mais

aussi sur bien d’autres questions pratiques, morales, politiques), nous ne pouvons être

absolument certains qu’un opinion donnée est absolument fausse – quand bien même elle

nous apparaîtrait spontanément telle, parce que nous sommes d’une opinion différente.

Refuser à l’autre le droit d’exprimer son opinion, de la défendre, d’en discuter ce serait

sous-entendre à tort que nous mêmes sommes « infaillibles », ce à quoi nul homme ne

saurait pourtant prétendre. Or, précise Stuart Mill, on voit que bien des hommes qui

reconnaîtraient verbalement n’être pas infaillibles, n’agissent cependant conformément

à ce principe : beaucoup d’hommes, et particulièrement ceux qui sont habitués à être

reconnus, respectés, obéis, se comportent en maintes occasions comme s’il pouvait être

néanmoins légitime d’imposer le silence aux opinions qui diffèrent des leurs. On voit que

l’argument de l’auteur a ici une dimension qui n’est pas seulement morale, mais aussi et

peut- être surtout une dimension politique : si la tolérance doit être requise de chaque

individu à l’égard des opinions des autres, elle est aussi requise à l’égard de qui détient

une autorité politique dans une communauté donnée ; le fait de disposer d’une autorité

politique, même légitime, ne saurait autoriser à imposer ses propres croyances (notamment

religieuses) et à interdire celles qui sont autres. La liberté de conscience accordée à tous

les individus seraient donc une limite nécessaire de l’autorité politique.

        John Stuart Mill va plus loin encore, en soulignant que l’amour et la recherche

de la vérité requièrent elles-mêmes une telle tolérance à titre de condition nécessaire –

et ce même si, bien sûr, parmi la diversité des opinions qu’on laissera s’exprimer sur un

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