Nouvelle Geôlier de Minuit

 On est lundi ou mardi quelque part entre les deux. A vrai dire je n'ai plus vraiment de repère. Je sais juste l'obscurité calme, presque morte et palpable que je peine à apercevoir, les yeux gonflés, à travers la lucarne de ma chambre devenue cellule.

Dehors, le silence assourdissant me rappelle que tout a continué sans moi ; le crépuscule, la fine obscurité, la nuit claire, la nuit sombre puis la nuit noire. Morphée a kidnappé tout le monde même le vent, le grésillement des lampadaires, la lueur des étoiles, les chats agités, les maisons turbulentes, mais m’a oublié là, seul dans ma nuit blanche. C'est malsain, je sais, mais je crois aimer ça, me sentir maître des ténèbres, seigneur de ce charme apocalyptique...

 Tout est noir, rien ne vit, rien ne brille il n'y a que moi et lui. Mon ami, mon ennemi, je ne sais pas. Il m'a accompagné jusqu'à maintenant, m'a raconté qu'il était, il m'a même dit qui j'étais. Il a de l'humour, il sait parler, sait charmer, sait manipuler, sait piéger, sait emprisonner. Oui car, si le marchand de sable n'est pas passé dans ma chambre, c'est parce que lui ne l'a pas laissé entrer il veut que l'on soit seul. Il a un projet, funeste sûrement, je le sens. Je ne pourrais pas vraiment le décrire, il est plutôt grand à la silhouette élancée, le teint blanc et lumineux. Il m'a dit son nom et son histoire, tout cela m'a paru étrange, mais je me suis laissé le suivre et me clouer impuissant dans ce lit inutile.

Cela ressemble à une scène d'horreur, seul face à ce schizophrène, je ne peux même pas crier au secours, on me prendrait pour un fou, lui qui est si apprécié dans la ville. Je ne le pensais pas capable de telles ignominies, il m’était tellement digne de confiance. Il continue à me déblatérer des élucubrations fascinantes, je ne comprends pas pourquoi il peine à me mentir, il sait que je suis sous son emprise... Ange malin, protecteur malveillant en réalité pervers narcissique, il incarne Lucifer, Lilith, porte l'étendard de l'Enfer et la passion du Paradis ; c'est un monstre magnifique.

Dans l'exactitude effrayante de ses propos, je sais qu'il ment, maquille sa personnalité, met du fard sur ses griffes. 3h46, je n'ai toujours pas de plan pour me sauver, il se tient fier devant moi, me rappelle notre histoire, je me souviens ce qu'il m'a montré je me sens volé, violé, abruti. 

Il me rend nerveux, anxieux, insensible, me fait croire que je suis beau, intéressant, drôle, charmé, captivé, rieur. Que veut-il de moi ? Mon cerveau ? Oui c'est ce qu'il laisse entendre, pour en faire quoi ? Qu’en sais-je mais il fera d'autres victimes notre Geôlier de Minuit...

Ça y est je crois qu'il a entendu mes pensées, il se montre méfiant, devient violent, à une dizaine de mètres, il y’a un tiers, mais lui est trop près, il s'approche, agressif, son souffle froid me fait suer... après m'avoir susurré les mots bleus, il restera les maux noirs, des cernes. Il s'avance, se colle, son discours devient virulent, j'ai peur... Qui me sauvera de cette nuit ? Qui m'offrira cette nuit ? Le voilà, tentant ses dernières manœuvres pour me ligoter les mains, je suis faible, trop impuissant... mais dans un élan d'agonie à la peur, sous le regard perçant de ce ciel noir et de cette lune terne, je l'attaque et d'un coup franc et déterminé à la tempe, je le vois tomber sous mes yeux, il ne respire plus ne bouge plus.

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