Note Lafaix RFDA
Compte Rendu : Note Lafaix RFDA. Recherche parmi 299 000+ dissertationsPar dissertation • 10 Avril 2012 • 9 665 Mots (39 Pages) • 1 522 Vues
RFDA 2010 p. 1089
Le juge du contrat face à la diversité des contentieux contractuels
Jean-François Lafaix, Maître de conférences à l'Université Panthéon-Assas - Paris II
1. Si le droit a vocation à la stabilité, c'est parce qu'il repose sur un équilibre. La continuité de la règle de droit est le signe de son adéquation aux intérêts sociaux. Dans ces conditions, la fréquence des évolutions marquant le droit du contentieux des contrats administratifs traduit l'absence d'équilibre de la matière et l'insatisfaction que son état suscite de façon récurrente.
L'équilibre traditionnel reposait sur un monopole (du juge du contrat) et un privilège (des parties). Il a été rompu par la remise en cause de ces deux facteurs. Dans la recherche d'un nouvel équilibre, les orientations actuelles indiquent deux voies, qui peuvent d'ailleurs se croiser et dont le tracé n'est pas encore bien net. L'équilibre recherché pourrait reposer, soit sur l'homogénéisation et la généralisation de l'office des juges appelés à connaître du contrat, posant à terme la question de l'unification, soit sur la particularisation et la complémentarité des types de contentieux contractuels, posant alors la question de la complétude et de l'articulation de l'ensemble.
L'arrêt Commune de Béziers (1) invite à emprunter ces deux voies pour tenter de répondre aux questions posées par l'innovation qu'il réalise. Le nouvel office du juge du contrat ne peut, en effet, pas être envisagé de façon isolée, sans égard pour la place qu'il occupe au sein de l'ensemble du contentieux contractuel.
2. Le juge du contrat a longtemps dominé le contentieux des contrats administratifs. Ce juge de pleine juridiction, qui pouvait seul connaître directement du contrat, se prononçait exclusivement sur les litiges opposant les parties au contrat relativement à sa formation ou son exécution. Les questions de droit qui lui étaient soumises concernaient donc principalement l'existence et l'étendue des obligations et droits patrimoniaux des parties (2). En conséquence, il prononçait habituellement des condamnations pécuniaires, exceptionnellement des annulations.
Le monopole du juge du contrat sur le contrat a cédé, puis le privilège des parties a cessé. Le principe demeure, certes, que les tiers ne peuvent pas saisir le juge du contrat parce qu'ils ne sont pas parties au contrat (3), ni agir en excès de pouvoir contre le contrat (4). Ils ne peuvent agir en excès de pouvoir que contre les actes détachables du contrat (5). Mais le préfet peut introduire un déféré contre les contrats administratifs des collectivités territoriales et en obtenir ainsi l'annulation (6). Par ailleurs, toute personne intéressée peut demander, par la voie du recours pour excès de pouvoir, l'annulation des clauses réglementaires d'un contrat (7) ou même l'annulation d'un contrat de recrutement d'agent public (8). Enfin, indirectement, l'annulation d'un acte concourant à la formation du contrat implique parfois que l'administration contractante saisisse le juge du contrat d'une action en nullité (9).
3. Cet état du contentieux fut jugé insatisfaisant. Il recevait une note mauvaise sur une double échelle d'évaluation légalité/sécurité (10). L'architecture contentieuse était trop complexe, spécialement pour les tiers qui ne pouvaient obtenir la disparition d'un contrat illégal que de façon indirecte, au prix d'une succession de recours. Il paraissait donc opportun de reconnaître un recours direct à certains d'entre eux. Mais cela supposait de modifier l'office du juge, de l'excès de pouvoir ou du contrat, afin d'éviter que la moindre irrégularité ne conduise nécessairement à la disparition rétroactive du contrat. Autrement dit, le nouvel équilibre devait se faire, selon l'opinion dominante, en faveur d'une plus grande sécurité juridique, c'est-à-dire d'une plus grande stabilité du contrat, même irrégulièrement conclu.
C'est alors vers le juge du contrat que l'on s'est retourné. Par l'arrêt Société Tropic (11), le Conseil d'État a décidé d'ouvrir à certains tiers - les concurrents évincés de la conclusion d'un contrat administratif - la faculté de saisir le « juge du contrat » d'un « recours de pleine juridiction contestant la validité de ce contrat ». Et l'office du juge du contrat s'est trouvé grandement renforcé. Dans ce nouveau cadre, la constatation d'une irrégularité n'implique plus nécessairement la disparition rétroactive du contrat. Il appartient au juge, en fonction de la nature de l'illégalité commise, soit de résilier le contrat ou d'en modifier certaines clauses, soit de décider de la poursuite de son exécution, éventuellement sous réserve de régularisation, soit d'indemniser le tiers lésé, soit enfin, après avoir vérifié si l'annulation du contrat ne porterait pas une atteinte excessive à l'intérêt général ou aux droits des cocontractants, d'annuler, totalement ou partiellement, le cas échéant avec un effet différé, le contrat.
4. L'équilibre n'est toutefois pas réalisé par cette seule évolution (12). Avant l'arrêt Commune de Béziers, pas moins de quatre recours pouvaient être dirigés contre le contrat conclu. Premièrement, l'action en nullité traditionnelle, reconnue aux seules parties devant le juge du contrat. Deuxièmement, le déféré préfectoral, assimilé à un recours pour excès de pouvoir (13). Troisièmement, le « recours Tropic », également devant le juge du contrat. Quatrièmement, le référé contractuel, créé par l'ordonnance du 7 mai 2009 au profit des candidats à l'attribution d'un contrat de la commande publique (14), devant un autre juge de pleine juridiction se prononçant selon des modalités encore différentes.
Malgré sa complexité, cet ensemble ne présente pas de caractère systématique car les différentes voies de droit ne sont ni exclusives, ni complémentaires. Ainsi, le préfet peut introduire un déféré préfectoral et un référé contractuel. De même, les concurrents évincés peuvent exercer un « recours Tropic » et un référé contractuel. Dans les deux cas, les conditions d'exercice et les effets des recours sont partiellement différents, en raison du régime des actions
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