LaDissertation.com - Dissertations, fiches de lectures, exemples du BAC
Recherche

La mort, le mort, les morts et les autres

Dissertations Gratuits : La mort, le mort, les morts et les autres. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  14 Avril 2013  •  3 289 Mots (14 Pages)  •  738 Vues

Page 1 sur 14

La mort, le mort, les morts et les autres

Remarques d’anthropologue

Sauf à être un forcené du principe de Peter , l’anthropologue de terrain ne peut répondre à la proposition de « réagir » aux textes archéologiques qui précèdent qu’en parlant... d’autre chose. Ou, plutôt, d’autres choses que des propositions d’interprétation avancées ici à propos de restes de corps sans vie, de plans de sites archéologiques, d’objets, de traces d’usure ou de fracture, de types de biens sépulcraux, etc.

Certes, ainsi que le rappellent d’emblée les éditeurs du volume, une sépulture, c’est généralement d’abord des fragments modifiés d’un ou plusieurs corps humains . Et, assurément, l’anthropologue du lointain rencontre bien assez de corps sans vie pour confirmer que l’article de Hertz (1907) reste le pilier de la description et de l’analyse sociologique des pratiques mortuaires. Comme le savent évidemment les archéologues (Olivier 2003 : 106-108), de toutes les activités humaines, la mort est celle dont le traitement collectif plonge le plus dans les profondeurs de l’expérience individuelle du monde. C’est sans doute la raison pour laquelle les pratiques mortuaires s’inscrivent étroitement dans un schéma universel de transformation des relations au mort largement commun aux individus et aux sociétés (Lagache 1938 ; Lemonnier 2006 : 171-177). La façon dont la structuration du psychisme individuel a pu influencer l’élaboration collective inconsciente (?) de rites comme ceux qui accompagnent la mort reste certes un mystère, mais la succession des opérations mentales et des procédures matérielles par lesquelles les hommes écartent l’un des leurs de leur monde tout en rendant son absence vivable constitue l’un des plus sûrs repère pour l’analyse des rites de mort, ici et là, maintenant et hier. Partout, la nécessaire durée du deuil, qui suit plus ou moins les modifications des composantes physiques et immatérielles de la personne, l’ambiguïté des sentiments envers le mort, le désir de lui ressembler, etc., s’imposent aussi bien au sujet qui perd un être cher qu'à la société qui doit réorganiser ses relations avec un disparu. Il n’y a pas tant de manières de s’arranger avec la disparition d’un membre d’un groupe et c’est là un atout remarquable pour l’archéologie qui peut, mieux qu’en d’autres domaines (rapports hommes/femmes, chamanisme pour citer les plus aventureux), s’appuyer sur cette « boîte à outils conceptuels » (intro) qu’est l’anthropologie pour élaborer des modèles plausibles (Gardin) rendant compte des données qu’elle ordonne.

Les textes qui précèdent ne s’en privent pas, qui parlent de « passage » du mort vers l’au-delà, d’inhumation secondaire, de viatique, de repas collectifs des deuilleurs ou du souci d’équiper le corps du mort avec des attributs de son statut d’ancien vivant. Ce faisant, chacun considère à juste titre que, pour les personnes concernées, tous les gestes effectués, paroles prononcées et objets manipulés à l’occasion d’un décès impliquent trois types d’acteurs : le mort lui-même, les vivants, et les morts anciens, notamment sous la forme de ces ancêtres que certains d’entre eux sont devenus.

Le mort, d’abord, est lui-même au centre des relations directes – pour nous partiellement imaginaires – que les deux autres catégories d’acteurs (les vivants et les autres morts) ont avec lui. Il s’agit alors du traitement physique de son corps, de la prise en compte de sa transformation vers et dans un autre monde, ou bien des ruses des vivants pour lui plaire et s’épargner son courroux, mais aussi de l’accueil qu’on lui réserve là où vont les morts. Comme l’indiquent l’ethnologie et l’histoire, pour ceux qui gèrent un décès, l’une des fonctions plus ou moins explicites de l’affichage du statut du défunt et des objets qui le côtoient dans sa sortie de ce monde est d’accompagner la transformation que subi sa personne pour accéder à l’univers des morts. On pourrait ajouter que les dépôts d’objets, notamment d’objets brisés, participent également de cette ambiguïté des relations avec le cher disparu : détruire un objet lui appartenant ou se priver d’un bien précieux, c’est autant « lui faire plaisir », comme disent les montagnards de Papouasie chez lesquels j’enquête, ou marquer à quel point on est désolé de son triste sort, que minimiser son désir de vengeance envers des vivants qui ne seraient pas assez ravagés de douleur par sa perte ou peu enclins à régler comme ils le doivent toutes sortes de dettes envers les proches qu’il laisse derrière lui.

Quant aux morts anciens, pour importantes que soient leurs actions dans ce monde, par exemple lors de séances de divination qui leur donnent la parole par la bouche de médiums ou lorsque leur retour temporaire parmi les vivants est mis en scène par ces derniers, elles restent matériellement discrètes ; en tout cas raisonnablement hors de portée des archéologues tant qu’aucun texte ou image ne vient à l’appui d’un modèle interprétatif.

En revanche, les interactions que les vivants ont entre eux à propos d’un décès sont davantage susceptibles de laisser des traces interprétables. Les phénomènes sociaux en cause ne sont plus alors directement liés au rite mortuaire lui-même et aux soins dont on entoure les composantes de la personne décédée, mais aux relations entre les membres de la communauté des vivants, que ceux-ci cherchent à actualiser, modifier, renforcer, créer ou éteindre par référence à lui, et non plus, cette fois, en agissant sur lui ou pour lui. Sont alors en jeu des relations (économiques, politiques, identitaires) entre groupes sociaux où se dévoilent communément certains aspects des rapport entre hommes et femmes, riches et pauvres, puissants et dominés, groupes locaux et étrangers. L’accumulation des données de fouille(s) conduit donc logiquement l’archéologie funéraire – et nombre des textes rassemblés ici – à repérer des évolutions de trouvailles et d’assemblages archéologiques au cours du temps qui, à leur tour, permettent d’imaginer des changements d’organisation sociale, voire de proposer des hypothèses sur les causes de ces changement.

Faute de connaître la littérature et sans expérience de la fouille ou de la critique des documents archéologiques, l’anthropologue n’a pas de compétence particulière pour commenter des modèles ou des interprétations dont il pourrait au mieux apprécier la vraisemblance. Tout juste pourrait-il compliquer la situation avec l’arrogance de celui qui a vu « en vrai » des rites mortuaires dans une société en marge de la modernité.

...

Télécharger au format  txt (21.2 Kb)   pdf (192.5 Kb)   docx (16.3 Kb)  
Voir 13 pages de plus »
Uniquement disponible sur LaDissertation.com