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La Philosophie pénale

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Par   •  14 Juin 2014  •  10 006 Mots (41 Pages)  •  821 Vues

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Gabriel TARDE (1890)

La philosophie

pénale

Chapitres I à V inclusivement

I. Qu'est-ce que la responsabilité ? - Le criminel aurait pu, s'il l'avait voulu, les circonstances extérieures ou internes restant les mêmes, ne pas commettre son crime ; lui-même a eu conscience de cette possibilité ; donc il est coupable de l'avoir com¬mis : tel est le postulat de l'ancienne école. Il est battu en brèche par l'esprit général de la science moderne, qui a pour principe directeur la foi à la répétition nécessaire de phénomènes semblables dans des circonstances semblables, et spécialement par les découvertes de la psychologie expérimentale (sans parler même de l'hypnotisme). Tant de démentis sont donnés ainsi à l'illusion du sens intime sur ce point, que, dans des cas dont le nombre croît chaque jour, la démonstration de son erreur devient palpable. De là un véritable péril social : l'avocat trouve dans l'aliéniste un appui de plus en plus étendu et solide, et, comme celui-ci démontre que l'accusé n'a pas pu ne pas vouloir son crime, il assure à ce criminel l'impunité. C'est logique, puisque la responsabilité a pour fondement la liberté du vouloir. Mais cette conséquence fait toucher du doigt la nécessité de changer de principe. Quant à la solution provisoire que l'éclectisme propose, celle de la liberté limitée et de la responsabilité partielle, il est inutile d'insister sur la fragilité de ce compromis. Le libre arbitre écarté, cepen¬dant, comment asseoir la responsabilité? En bons transformistes, cherchons les sources de la « fonction pénale », aussi bien que de la criminalité, dans la préhistoire, dans le monde animal même. Le vol et l'assassinat ne sont pas le monopole de l'espèce humaine, la pénalité non plus. « Tout être lutte pour sa propre existence », tel est le principe darwinien sur lequel il s'agit de fonder tout le droit pénal. La nécessité de lutter implique celle de se défendre contre tout agresseur . Cette défense est dou¬ble : riposte immédiate, comme dans un duel, ou riposte différée, appelée vengeance. La vengeance est, déjà un progrès, car elle suppose le souvenir et la prévoyance, un ressentiment et un calcul. Sous cette double forme, la défense est exercée par les organismes individuels, depuis les protistes jusqu'aux mammifères et à l'homme, et aussi bien par les organismes sociaux qui, des plus bas aux plus hauts degrés de l'échelle animale, forment une série non seulement semblable, niais parallèle à celle des premiers . Dans toutes les sociétés, soit animales, soit humaines, la vengeance personnelle de l'individu lésé coexiste avec la vengeance collective du groupe auquel il appartient, niais, de plus en plus, celle-ci se substitue à celle-là. Veut-on préciser mieux encore la nature de cette vindicte ? Spencer a raison de dire que la « réaction défensive » d'une société est toujours la même. au fond contre un agresseur extérieur ou interne. Le malfaiteur n'est qu'un ennemi du dedans. Par les mêmes raisons, donc, qui ont peu à peu transformé en défense collective, sous forme d'armée et de combat, la défense individuelle contre les agressions étrangères, il est inévitable que la défense individuelle contre les agressions intérieures se transforme en défense sociale. Ainsi, le développement du militarisme et celui de la justice pénale marchent du même pas.

Ouvrons, nous, une parenthèse pour faire remarquer combien ce rapprochement de Spencer est plus heureux que ne l'est, sous bien des rapports, son antithèse perpétuelle entre le militarisme et l'industrialisme. Contrairement à ses vues, richesse industrielle et puissance militaire se montrent à nous, tout le long de l'histoire, en Égypte, à Athènes, à Florence, en France, en Allemagne, hélas ! comme liées et non opposées. Il serait bien surprenant, du reste, que, parallèle d'une part au progrès judi¬ciaire, l'esprit militaire, tant honni par l'illustre philosophe, fût contraire au progrès industriel ; comme si l'industrie pouvait vivre sans la sécurité que la justice criminelle lui procure ! Sans armée, point de gendarmerie. - Sans doute, si par son côté défensif l'armée répond aux institutions judiciaires dignes de ce nom, elle a un côté agressif, historiquement le plus important, par lequel elle répond aux institutions oppressives qui permettent de subjuguer et de rançonner des sujets inoffensifs comme les conquérants asservissent ou grèvent de tributs les peuples voisins les plus pacifiques. L'oppression n'est qu'une agression interne et partie d'en haut. Mais, même sous cet aspect, les choses comparées ne sont pas sans justification possible aux yeux de l'historien. Quelle grande nation se serait formée sans esprit de conquête ? Quelle forte unité nationale se serait établie sans despotisme centralisateur et organisateur ? Le militarisme agressif a donc cette utilité profonde de nous acheminer vers l'ère des agglomérations immenses, sans lesquelles nulle paix durable n'est possible ; et le gouvernement oppressif pose les fondements des centralisations puissantes, sans lesquelles nul grand État n'est viable, et sur lesquelles pourront s'asseoir plus tard les florissantes démocraties. - Il sera bon de nous rappeler souvent, au cours de notre travail, cette analogie, cette identité radicale entre la guerre et la poursuite criminelle, et notamment quand nous traiterons de la peine de mort. C'est la mise hors de com¬bat, non la mort de l'ennemi, qui est le but des combattants ; c'est la mise hors de combat aussi, non la mort du coupable, qui est le but des tribunaux. Si l'on objecte ces hécatombes horribles des champs de bataille qui doivent, par comparaison, étrangement atténuer l'horreur de quelques exécutions capitales çà et là, c'est le cas d'appliquer la distinction faite plus haut par Ferri, et de noter cette différence que la « réaction défensive » de la société contre l'ennemi sous forme de coup de lance ou de coup de cation est une riposte immédiate, tandis que sa réaction défensive contre le criminel est toujours une riposte différée, une vengeance. - Il y a bien d'autres différences, du reste, et non moins instructives que les ressemblances.

Revenons à notre résumé. - S'inquiète-t-on, en repoussant une attaque, de savoir jusqu'à quel point l'agresseur est coupable ? Nullement.

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