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Alceste et le rire.

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Par   •  1 Avril 2018  •  Dissertation  •  4 750 Mots (19 Pages)  •  734 Vues

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BAZIN                                                                                        20/03/14
Sullyvan

L3 Lettres classiques

Dissertation littéraire

« Ah ! ne plaisantez point, il n’est pas temps de rire, / Rougissez bien plutôt, vous en avez raison (...) » (IV, 3, v.1286-7) : par de tels propos, Alceste sème le trouble dans l’esprit du spectateur, qui ne sait plus très bien s’il doit rire ou s’émouvoir, s’il doit railler ou bien rester sérieux ; dans sa guerre contre le rire et tout ce qu’il signifie, Alceste porte directement atteinte au ferment de la comédie, et fait dès lors du rire un contre-sens dangereux : c’est bien ce que pointe G. Defaux lorsqu’il affirme, dans un article intitulé « Alceste et les rieurs » : « Fausse réponse, et réponse coupable, de natures désespérément frivoles et indifférentes. Le monde où l'on rit d'Alceste est un monde mal fait. » La question qui se pose est donc celle de la légitimité du rire, qui doit être compris à la fois comme ce mouvement irrépressible de l’âme - c’est le rire qui éclate -, et, du point de vue d’Alceste, comme le signe manifeste d’une corruption : par-delà le rire à proprement parler, ce qui est en jeu, c’est un « esprit rieur », qui caractériserait indifféremment les marquis, Philinte, Célimène et Eliante. G. Defaux choisit de comprendre la présence d’Alceste comme un contre-point vertueux au monde, et sa parole comme une critique philosophique et subversive dressée contre un « esprit rieur », symptôme « coupable » d’une « frivolité » généralisée : la pièce marquerait donc, à l’en croire, une évolution pessimiste de Molière, et témoignerait en somme d’une « crise du rire ». Déjà pourtant, cette condamnation morale ne laisse pas d’être suspecte puisque, tout d’abord, elle ne rend pas compte de l’effectivité du rire-contre-Alceste, qu’en outre, elle repose sur une lecture au premier degré de la parole d’Alceste, et, enfin, parce qu’elle postule une univocité du rire, qui mérite d’être interrogée.

Plus qu’une conversion soudaine à l’esprit de sérieux, Le Misanthrope s’offre au spectateur comme une interrogation ouverte sur soi et sur le monde, à travers laquelle s’opère l’assomption d’un rire subtil et nuancé, marque non d’une frivolité, mais bien plutôt d’un « esprit de complexité ».

Dans cette optique, nous nous appliquerons d’abord à comprendre ce qui fonde et ce qu’implique la condamnation du rire en laquelle G. Defaux perçoit la leçon du Misanthrope ; nous serons amenés ensuite à interroger le caractère artificiel de la dissociation opérée par le critique, au sujet du rire, entre le fait et le droit, de manière à fonder la légitimité du rire-contre-Alceste. Il s’agira enfin de réhabiliter, sur les plans philosophique, éthique et dramaturgique, le rire totalisant du spectateur, qui, nous le verrons, a la profondeur d’un moralisme.

G. Defaux choisit de comprendre la parole d’Alceste au premier degré, comme un engagement réfléchi et rationnel, et propose ainsi de lire Le Misanthrope comme une guerre contre le rire, accordant ainsi à l’atrabilaire le droit au dernier mot et le privilège d’énoncer la moralité de la fable. Cette « crise du rire » se comprendrait à la fois comme un impératif philosophique, comme une exigence éthique et comme un questionnement dramaturgique.

« Fausse réponse », le rire est tout d’abord conçu par Alceste comme la marque d’une immédiateté au monde qui ne s’interroge pas, voire qui n’interroge pas tout court : à cet égard, le rire serait profondément anti-philosophique. Manière de se dérober, il vaut alors négativement comme mise en demeure de toute réflexion, autrement dit, comme di-vertissement, au sens pascalien du terme. On perçoit alors le caractère tout à fait décisif que prend la critique d’Alceste : ce qu’il vise derrière le rire, en définitive, c’est « l’esprit rieur », l’esprit léger et badin qui règne dans l’univers des salons. Or, qu’est-il, sinon une manière d’agir où rien ne pèse ni ne pose, une forme d’inconséquence, ce que G. Defaux sanctionne du nom de « frivolité » ? A plusieurs reprises, en effet, le misanthrope s’insurge contre un « ordre du discours » où la parole n’a rien à dire et ne vaut que par sa présence, comme ornement : ainsi l’inutile politesse des « vains compliments » (v.72) ou la flatterie d’apparat des marquis (v.695-696 et v.697-698 par exemple) ; autant de paroles que l’on n’écoute pas, mais qui relèvent d’une convention tacite. De manière plus décisive, la parole en société est une pure parole d’agrément qui n’a pas vocation à être prise au sérieux et qui n’a de valeur que relativement au plaisir qu’elle peut inspirer à autrui. Dans cette perspective, « l’esprit de sérieux » que revendique Alceste - « j’ai tort ou j’ai raison » - ne parvient pas à trouver sa place précisément parce qu’il relève d’une in-quiétude incompréhensible au monde des marquis (« Cher Marquis, je te vois l’âme bien satisfaite, / Toute chose t’égaye, et rien ne t’inquiète », v.777-778), et parce qu’il invite à une gravité qui ne saurait se satisfaire ni de la surdité ni du relativisme badin des salons. La récrimination d’Alceste contre les portraits à charge de Célimène est, certes, une récrimination de principe comme le remarque Philinte, mais plus fondamentalement, elle marque l’indignation que lui inspire la labilité d’une parole qui dit tout et son contraire, d’une parole hypocrite en somme. Nous voilà arrivés aux rives d’un problème d’ordre éthique.

Refuge de la « bêtise », le rire deviendrait même une « réponse coupable » au cynisme d’Alceste. Pour le comprendre, il faut d’abord saisir de quoi la misanthropie d’Alceste est le nom. Alceste semble être, au premier abord, un idéaliste tourmenté qui fait le constat amer de la corruption des hommes et s’en scandalise, mais qui ne laisse pas pourtant d’être fidèle à une « vertu [intraitable] », à une morale inhumaine, assez proche de la perspective janséniste. On peut dès lors approfondir la signification de son refus de rire, qui se présente, en fait, comme un refus du compromis et de la compromission : « moi, je n’aurai, jamais, de lâche complaisance » (v.758). L’adverbe mis en valeur en incise est une profession de foi d’intransigeance, qui, de fait, s’illustre tout au long de la pièce dans les domaines les plus divers : intransigeance en amitié, qui s’accorde aussi difficilement qu’elle se conserve, intransigeance en amour, qui ne doit jamais être aveugle (v.701-702), intransigeance morale enfin, quand bien même il serait plus utile de flatter (v.185 en justice ; v.424 en société), ou de se dédire (v.765). Par la défaite judiciaire autant que par le retrait final, la vie d’Alceste deviendrait l’exemplum où se cristallise la faillite de l’ordre du monde, entachant la pièce d’un cynisme mordant. L’exigence de « distinction » proclamée dès le début de la pièce pourrait alors s’entendre comme un refus de la conciliation flegmatique et désabusée. On pressent le danger auquel s’expose le rire-contre-Alceste, en tant qu’il a le mépris d’une fin de non-recevoir ; on l’a vu, en évacuant le sérieux, le rire restaure le confort de l’insouciance. En l’occurrence, ce confort passe par un conformisme béat. « Les rieurs sont de votre côté, c’est tout dire » ; l’implicite devient évident : le rire est un positionnement au sein d’une pluralité, il « cache une arrière-pensée d’entente, (...) presque de complicité avec d’autres rieurs. » Ainsi, selon G. Defaux, si l’esprit de sérieux est, du point de vue d’Alceste, une exigence philosophique ainsi qu’un impératif éthique, du point de vue du groupe, en revanche, il est une menace que le rire permettrait, insidieusement, de désamorcer : ce rire-là est l’arme immorale d’un monde désespérément « mal fait ». Et « tant pis pour qui rirait » (v. 205).

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