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Analyse du film Ghosts Before Breakfast d'Hans Richter

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Par   •  8 Décembre 2013  •  1 705 Mots (7 Pages)  •  1 857 Vues

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« Four bowler hats, some coffeecups and neckties « have enough » (are fed-up) and revolt from 11.50 to 12 a.m. Then they take up their routine again. The chase of « Untertanen » (objects are also people) threads the story. It is interrupted by strange interludes of pursuit which exploit the ability of camera to overcome gravity, to use space and time completely freed from natural laws. The impossible becomes reality and reality, as we know, is only one of the possible forms of the universe »1. Un film où l'impossible devient réalité à travers un espace-temps transfiguré ; c'est ainsi que le cinéaste américain d'origine allemande Hans Richter (1888 – 1976) résume le film qu'il a réalisé en 1928 et que nous nous proposons d'étudier à travers une analyse figurale : Vormittagsspuk (Ghosts Before Breakfast)2.

Mais avant d'exposer la manière dont nous entendons procéder, rappelons que Hans Richter fut influencé par Dada, mouvement artistique né au début du XXè souhaitant s'éloigner du fonctionnalisme de l'art moderne en utilisant de nouveaux matériaux et de nouvelles formes afin de créer un art – du moins un « anti-art » - autonome et spontané s'affranchissant de tout modèle de pensée. D'abord peintre, Hans Richter choisit dès les années 1920, notamment avec Rythmus 21 (1921) de s'orienter vers le cinéma graphique, : un cinéma d'animation privilégiant les formes abstraites, les mouvements et les rythmes. D'autres artistes s'intéresseront à ce genre comme Viking Eggeling (Symphonie diagonale, 1921), Fernand Léger (Ballet mécanique, 1924) ou Marcel Duchamp (Anémic Cinéma, 1927).

Dans Vormittagsspuk, les abstractions sont remplacées par des objets et des hommes, mais le rythme et le mouvement sont toujours présents. Il est dix heures lorsque le film débute ; midi lorsqu'il se termine. Intéressons-nous, ainsi, aux différentes figures du corps dans ce film et étudions la manière dont celles-ci oscillent sans cesse entre réalité et représentation dans un espace-temps transfiguré par une caméra-oeil qui semble non soumise au temps3, dépassant l'expérience afin d'atteindre « les conditions de l'expérience réelle »4.

En dépit du fait que ce film est assez court, la multiplicité des figures nous a obligés à faire des choix. Par conséquent, nous avons choisi d'évoquer, dans un premier temps, le rapport entre les objets et les hommes, avant de nous interroger sur la manière dont celui-ci s'insère dans le mouvement des images et s'organise dans l'espace-temps.

La tâche ne fut pas aisée, les recherches nous menant d'auteurs en auteurs ; par conséquent, nous avons restreint le choix des références bibliographiques. Nous nous appuierons surtout sur les ouvrages de Gilles Deleuze, Maurice Merleau-Ponty et Henri Bergson.

Débutons notre analyse en nous intéressant au corps en tant qu'objet déshumanisé. Dans Vormittagsspuk, les rôles sont inversés ; les objets se rebellent contre la routine et suivent leurs propres règles : ils sont humanisés. Les hommes, en revanche, sont contrôlés par le rythme de ses objets, inexpressif, leurs mouvements sont mécaniques. Man Ray, avec Emak Bakia, avait lui aussi imaginé l'idée d'objets humanisés. D'ailleurs, certains, comme les nazis, ont perçu un sens caché et ont vu dans cette inversion de rôles, une satire politique. Afin d'étayer notre propos, prenons l'exemple des chapeaux melon (fig.1) : dans le film de Richter, ils semblent être une métaphore du danger. En effet, dans la culture germanique du XIXe siècle, les chapeaux melon, en dépit du fait d'être un signe de bourgeoisie, étaient également un signe de danger. Dans son Lied, Le Voyage d'hiver, Franz Schubert voyait dans la perte du chapeau un danger imminent5. De manière plus significative, Max Ernst, dans un collage de 1920, The Hat Makes The Man, montrait d'une façon ironique que l'homme qui ne portait pas de chapeau melon n'était pas un citoyen. Ne nous dissipons sur la signification particulière des objets, d'autant plus qu Hans Richter préférait laisser au spectateur la liberté de créer sa propre vision6. En outre, la déshumanisation de l'homme participe au projet de Hans Richter qui entendait participer à la « chasse au sujet »7, c'est-à-dire, déconstruire le sujet ; il s'agit là d'un des objectifs du mouvement Dada.

D'un point de vue plus pragmatique, dans Vormittagsspuk des scènes semblent se répéter (fig. 2, fig.3, fig.4, fig.5). Quelle est la fonction de ces répétitions dans un film où le temps, le rythme et le mouvement occupent une place prépondérante ? Les répétitions changent-elles notre perception ? Pour répondre, nous nous appuierons sur l'ouvrage de Gilles Deleuze, Différence et répétition8.

Dans Vormittagsspuk, la répétition embrasse le rythme du film. ; divers gestes sont notamment répétés plusieurs fois (fig. 6). Gilles Deleuze introduit le chapitre II de son ouvrage sus-cité en citant la thèse de Hume selon laquelle « la répétition ne change rien dans l'objet qui se répète , mais elle change quelque chose dans l'esprit qui la contemple »9. Ainsi, en répétant, des rythmes, Hans Richter, les met à distance afin de dépasser l'expérience de la vision. Expliquons cela grâce à une proposition de Gilles Deleuze : lorsqu'une action se répète, une discontinuité apparaît. En effet, les séquences se répètent ; chacune d'elle prise de manière indépendante ne change rien à la perception du spectateur, mais répétée « elle change quelque chose dans l'esprit qui la contemple ». En effet, nous avons tous fait l'expérience de répéter un mot plusieurs fois d'affilée, à force de répétition, une distance semble s'instaurer entre le mot répété et la manière dont nous le percevons10.

«  Le temps ne se constitue que dans la synthèse originaire qui porte sur la répétition des instants. Cette synthèse contracte les uns dans les autres les instants successifs indépendants. Elle constitue par là le temps le présent vécu, le présent vivant. Et c'est dans ce présent que le temps se déploie » 11

Cette citation nous permet d'introduire la notion de « ciné-oeil » dans Vormittagsspuk, film dans lequel nous pouvons trouver plusieurs effets de ralenti, de d'accéléré, de surimpression, de dédoublement des personnages (fig. 7), solarisation (fig. 8). Ainsi, en quoi peut-on parler d'une « conscience de la caméra »12 contribuant au sens figural de l'image, parvenant à transformer du visible en visuel, notamment grâce au montage ?

La notion de « ciné-oeil » fut introduite par Dziga Vertov, cinéaste soviétique, qui le définit comme étant ce qui « accroche l'un à l'autre n'importe quel point de l'univers dans n'importe quel ordre temporel »13. L'approche de Hans Richter, en déconstruisant toute unité spatio-temporelle, en alternant plans fixes, plans séquences et plans montés s'inscrit dans la pensée dada, bien que son film soit sorti cinq ans après la disparition officielle du mouvement. Le montage permet, en-deçà de la caméra, de construire un « point de vue de l'oeil humain, (…) [d'être] un oeil qui serait dans les choses »14, c'est-à-dire que le montage permettrait de composer un nouvel espace ou, du moins, de le « délivrer »15, pour reprendre le terme utilisé par Merleau-Ponty, afin d'atteindre les choses qui « fuient dans un éloignement que nulle pensée ne franchit »16 et de transformer le visible en visuel.

Hans Richter travaille également sur le cadre. En effet, dans Vormittagsspuk, nous trouvons un cadre géométrique (fig. 9) – un système clos dans lequel il y a un équilibre entre les masses qui l'occupent et l'espace qui le constitue17 - et un cadre physique (fig. 9) – un espace dynamique dit « en acte » ouvert qui dépend des masses qui l'occupent. Richter fait alterner ces deux types de cadres afin de transgresser un espace et un temps qui seraient homogènes. Prenons, afin d'étayer notre propos, l'exemple du moment où Paul Hindemith met sa cravate. Lors du premier plan (fig. 10), nous pouvons voir l'acteur, utilisé ici comme un simple support plastique sans spécificité, dans un cadre tentant vainement de mettre sa cravate, dans le deuxième, nous voyons la cravate se mouvoir seule ; dans le premier cas il s'agirait d'aller « jusqu'où va la puissance du corps existant »18 dans un temps en rapport avec les plans précédents, dans le second, nous pouvons envisager cet aparté que choisit de filmer Hans Richter comme un moment « préalable à l'existence des corps »19, un élément qui n'existe que parce que je lui accorde une valeur.

En outre, peut-on affirmer que l'espace est, comme l'idéaliser Descartes, dans Méditations métaphysiques, un « être tout positif » permettant de « délivrer l'espace » d'en trouver les limites de sa construction ? Il serait vain d'appliquer de manière superficielle diverses pensées au film de Hans Richter. Cependant, nous pouvons envisager, avec ces images qui se font écho et ces objets animés, une envie de la part du réalisateur de dépasser « l'espace natal »20, d'aller vers un espace hors du monde en transcendant la vision et, notamment, l'esprit, « pensée qui déchiffre strictement les signes données dans le corps »21 à « l'occasion d'une sensation »22. Notons, enfin, que le réalisateur s'amuse à utiliser

« Devenir et durée ne sont en aucun cas une diminution de l'immuable éternité, ils en sont l'expression. Toutes les formes occupent non seulement l'espace mais aussi le temps. Être et devenir ne sont qu'un... Ce qui devrait être une forme prise et donnée sont les choses en mouvement »23

Lorsqu'il parle ainsi du devenir et de la durée, le cinéaste Eggeling évoque surtout la technique du rouleau. Néanmoins, nous pouvons dépasser ce contexte et nous demander, alors, si « le temps n'est qu'une succession d'instants qui ne fait que reproduire la juxtaposition spatiale »24 dans lequel le corps évolue.

Dans Vormittagsspuk Hans Richter utilise divers effets de ralenti et d'accéléré, l'action se déroule dans une certaine circularité qui débute à dix heures (mais l'action dans un cadre dynamique ne débute qu'à onze heures) et se termine à midi. A la fin du film, les chapeaux melon retrouvent leur propriétaire et le plateau de tasses à thé brisé au début recouvre son aspect intact.

QUESNEL-DELCOURT Florine

L3 Communication

20905012

HANS RICHTER

Vormittagsspuk

BIBLIOGRAPHIE

DELEUZE Gilles, Le Bergsonisme, Quadrige, PUF, Paris, 2004.

DELEUZE Gilles, Différence et répétition, Epiméthee, PUF, Paris, 12è édition, 2011

DELEUZE Gilles, L'Image-mouvement, Cinéma 1, Les éditions de minuit, Paris, 1983

DELEUZE Gilles, L'Image-temps, Cinéma 2, Les éditions de minuit, Paris, 1983

MARRATI Paola, « Image en mouvement et images-mouvement » in La Philosophie de Deleuze, Quadrige, PUF, Paris, 2011

MERLEAU-PONTY, L'Oeil et l'Esprit, Folio essais, Gallimard, Paris, 1964

RICHTER Hans, « My Experience with Movement in Painting and in Film » in The Nature and Art of Motion, ed. Gyorgy Kepes, New York, 1965

RICHTER Hans, « Dada and Film » in Dada: Monograph of a Movement, ed. Willy Verkauf, New York, 1975

VERTOV Dziga, Articles, journaux, projets, 10-18, 2008

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