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Peut-on rendre sensible l'insensible ?

Dissertation : Peut-on rendre sensible l'insensible ?. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  16 Octobre 2022  •  Dissertation  •  2 507 Mots (11 Pages)  •  207 Vues

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DM 2 – HLPI- Philosophie

→ Peut-on rendre sensible l’insensible ?

        On pourrait penser en premier lieu penser que rendre sensible l’insensible est impossible. Pour ainsi dire, exprimer l’insensible, est en soi, un paradoxe. Puisque l’insensible est ce que l’on ne peut pas percevoir, il serait logique qu’on ne puisse pas le montrer. Seulement, si l’homme est incapable d’exprimer l’insensible, cela remettrait en cause les fondements même de notre société, puisqu’elle se construit autour de concepts insensibles tels que la liberté, le droit , la justice… Ainsi, si on ne peut pas exprimer ces concepts, chacun pourrait prétendre à sa propre conception des valeurs, et organiser la cité ainsi que tendre vers l’accord mutuel serait alors impossible.C’est pourquoi exprimer l’insensible est un enjeu majeur pour l’humanité , on peut se demander si c’est possible, et dans quelles mesures peut-on rendre sensible l’insensible. Nous verrons d’abord l’expression de l’insensibilité à l’aide d’un retour à la sensation pure, puis comment la raison peut rendre compte de l’insensible, et enfin, qu’on peut se rapprocher de l’expression de l’insensible grâce à l’articulation de la raison et de la sensation, c’est à dire grâce à la signification.

        Tout d’abord, on peut supposer qu’un retour à la sensation pure nous permettrais d’exprimer l’insensible. En effet, l’insensible est ce qui est imperceptible, ce dont nos sens ne peuvent témoigner. Aussi l’idée du Beau ou du Temps, sont de l’ordre de l’insensible ; et mettre des formes dessus ne peut le représenter avec exactitude. Prenons l’exemple de Delaroche, quand il peint le tableau de Napoléon franchissant le col Saint-Bernard , le cavalier et sa monture dressée semblent figés. Le temps semble s’être arrêté, ce qui ne correspond pas à la réalité insensible qu’est le temps. Le mouvement se fige sur un instant qu’on ne peut apercevoir brièvement, et les formes strictes qu’on lui peint ne rendent pas sensible l’insensible, mais ne font que reproduire notre figuration de celle-ci. Les formes font donc obstacles à l’expression de l’insensible. C’est pourquoi on est amené à penser qu’un retour à la sensation pure permettrais de retranscrire avec exactitude l’insensible: c’est l’objectif d’un mouvement artistique et esthétique né dans la fin du XIXe siècle, l’impressionnisme. Concrètement, l’impressionnisme est une tentative de retour aux sensations pures, afin d’exprimer les impressions. L’impression résulte d’agents extérieurs, mais est bel et bien ressentie, donc se trouve dans l’ordre de la sensation. Aussi quand Claude Monet peint la Femme à l’ombrelle , il ne dessine pas de contours, ni aucune forme. Ce «flou» représente l’impression réelle qu’il a de la scène. Le temps n’y semble pas figé, il essaie de capter son mouvement grâce à une succession de traits courts exécutés rapidement. Les nuages semblent être là et là-bas en même temps, ce qui montre qu’il essaie de capter l’essence de l’évènement éphémère dont il est témoin. Dans ce sens l’impressionnisme et son retour à la sensation peuvent rendre sensible le temps et son mouvement, donc l’insensible. On peut faire le parallèle avec Les rêveries du promeneur solitaire de Rousseau, où il écrit «tout est dans un flux continuel sur la terre», ce qui fait une fois de plus référence au mouvement du temps, avec flux continuel.

        De plus, retourner aux sensations, c’est retourner à l’état naturel de l’homme. Nos sens sont physiologiques, explicables par les sciences de la nature et nous partageons cette capacité avec les animaux. C’est pourquoi l’impressionniste peint les paysages, décrit la mer, et s’attache autant à la Nature : car un retour au sens est aussi un retour à tout ce qu’il y a de plus naturel. Cependant, revenir aux sensations pures afin de montrer ce qui n’est pas sensible, revient à s’ancrer dans une réalité immédiate, dictée par nos sens, tel le ferait un animal. Dès lors, nous ne pourrions plus rendre sensible l’insensible puisque nous ne le concevrions même plus. «Ce qui est seulement animal, c’est de s’enfermer dans le sentiment et de ne pouvoir communiquer que par le sentiment». Hegel avec cette citation de Phénoménologie de l’esprit, résume le problème de l’impressionnisme : le paradoxe de la sensibilité. Réduire le sensible à la sensation, c’est nier toute possibilité de l’exprimer. Si bien qu’on peut se demander si la raison, qu’on opposerait à la sensation dans la sensibilité, nous permettrais d’exprimer cet insensible.

        Encore peut-on penser qu’il est possible d’exprimer l’insensible à l’aide de la raison. Étant donné que l’insensible est ce que l’on ne peut percevoir avec nos sens, notre raison pourrait l’exprimer. En effet, c’est l’idée qu’on se fait d’une réalité insensible qui nous permettrais de l’exprimer. C’est à dire que ce n’est pas le Beau en lui même qu’on va exprimer, mais l’idée que l’on a de cette réalité. C’est pour ainsi dire l’objectif de l’art formel. On peut prendre comme exemple le poème «La Beauté» du recueil Les fleurs du mal, où Baudelaire nous dépeint une beauté « comme un rêve de pierre », qui est faite « pour inspirer au poète un amour éternel et muet ainsi que la matière ». L’amour « muet » est donc bien au-delà des sensations. Ici, l’idée de la beauté est celle d’une femme insensible, figée et au-delà du temps, « qui hais le mouvement qui déplace les lignes », donc le sensible. Ainsi le poète se place comme un démystificateur de la réalité insensible, qu’il exprime grâce à l’exercice de la pensée. Cependant, cette beauté insensible a « de pur miroirs qui font toutes choses plus belles » ce qui montre que la réalité insensible se « reflète »seulement sur notre monde, c’est à dire celui du sensible.

        Ainsi, l’insensible transparaîtrait, en réalité dans notre monde sensible ; et ce serait grâce à la raison qu’on s’élèverait au plus proche de l’insensible. En effet, c’est cette conecption que Platon soutient dans Le Banquet, où il nous parle de sa vision de l’amour, à travers les mots de Diotime, une femme étrangère qu’il eut rencontré. Sa réflexion se rapproche de celle de Baudelaire dans le sens où, l’élévation vers la réalité insensible s’effectuerait grâce à notre raison. En fait, l’Homme paraît aimer seules les choses sensibles : on aime un corps, on apprécie un tableau, une musique… Toute expérience que nos sens peuvent apprécier. Néanmoins, on aimerait en réalité les choses insensibles qui sont ancrées dans le sensible, et c’est notre raison qui sciemment ou inconsciemment , capterais cette sensibilité à travers l’expérience sensible. C’est pourquoi, selon Platon, le Beau se trouve dans les sciences, la connaissance, et non dans les corps, où la beauté transparaîtrait seulement. C’est grâce à se mouvement d’élévation engendré par notre raison, qu’on va, dans une «gradation régulière», s’abstraire du monde sensible pour contempler l’insensible. On passe de la «beauté de la forme», à la «beauté surnaturelle», ce qui montre que l’insensible est au-delà de la Nature (sur-naturelle), donc véritablement, au-delà des sens. Seulement, si la raison développe «l’organe par lequel il est visible [le beau] » alors on ne pourrait que contempler l’insensible, et non l’exprimer. En outre celui qui « saisit la vérité[...] est celui à  qui il appartient d’être chéri des dieux et, si jamais homme devient immortel, de le devenir aussi ».( le Banquet, Platon). Ce qui montre que l’homme est incapable d’exprimer cette réalité insensible, puisque la rendre sensible serait briser son unité. En effet, l’Homme qui saisit l’insensible deviendrait un dieu, donc deviendrait lui-même, une réalité insensible. Finalement, si le retour à la sensation pure revient à ne plus pouvoir communiquer l’insensible, et que faire appel à la raison seule ne suffit qu’a contempler l’insensible, et d’en produire que des formes inexactes, on pourrait penser qu’il n’existe pas de moyen pour exprimer l’insensible . Seulement, si la raison et la sensation dans la sensibilité sont radicalement opposées, et parfaitement incompatible, alors aucune ne fait sens. Il faut, pour comprendre la nature de ces contraires et les problématiques liées, les articuler ensemble.

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