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Les lieux dans Le Rouge et le Noir

Dissertation : Les lieux dans Le Rouge et le Noir. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  21 Février 2016  •  Dissertation  •  2 600 Mots (11 Pages)  •  3 277 Vues

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Laure Debarnot                        Sujet d’entraînement de dissertation

« C’est par sa manière de traiter le monde extérieur seulement comme empreinte en creux de l’homme, rabotée et polie à sa convenance, et par là presque invisible (parcs, promenades, salons, théâtres) que Stendhal tient le plus étroitement au XVIIIe siècle : les magnifiques salons de l’hôtel de La Mole n’ont pas de fonction autre, on le sent, que d’assurer le plus discrètement possible les commodités de la conversation. »

En quoi cette remarque peut-elle rendre compte de votre lecture du roman Le Rouge et le Noir ?

Lorsque Stendhal publie en 1830 Le Rouge et le Noir, l’univers romanesque est en pleine mutation. En effet,  d’une fonction accessoire, décorative, la description va progressivement, dès la fin du XVIIIe siècle avec le préromantisme puis au début du XIXe avec le romantisme, être mise à l’honneur jusqu’à devenir indispensable dans la deuxième moitié du XIXe avec les tenants du réalisme et du naturalisme. Selon le terme de Philippe Hamon, ils vont promouvoir une nouvelle « valeur » : le travail sur le langage. Dans les débats qui opposèrent les défenseurs et les adversaires de la description, Stendhal est souvent cité pour ses prises de position tranchées contre l’inflation descriptive. Dans ses notes regroupées sous le titre En lisant en écrivant, Julien Gracq se manifeste comme un grand lecteur passionné de Stendhal et se penche justement sur « sa manière de traiter le monde extérieur » dans Le Rouge et le Noir. A la relecture du texte, il affirme qu’elle se ferait « seulement comme empreinte en creux de l’homme, rabotée et polie à sa convenance, et par là presque invisible (parcs, promenades, salons, théâtres) ». Dès lors il en conclut, par une formule définitive, que c’est par là « que Stendhal tient le plus étroitement au XVIIIe siècle », assénant à son lecteur un exemple à valeur d’argument, voire de preuve : « les « magnifiques salons de l’hôtel de La Mole n’ont pas de fonction autre, on le sent, que d’assurer le plus discrètement possible les commodités de la conversation. ». La négation restrictive a une valeur forte qui nous pousse à nous interroger sur cette unique fonction qui serait assurée par la description dans Le Rouge et le Noir et sur les termes « presque invisible » que l’on pourrait qualifier d’assez radicaux. Dans quelle mesure ce « monde extérieur » que nous propose Stendhal s’efface-t-il pour laisser place à l’homme et en quoi cette caractéristique suffirait-elle à elle seule à ancrer son style dans le XVIIIe siècle ? Quelle est, dès lors, la place et la fonction accordées à la description ? A n’en pas douter les descriptions se font rares dans notre roman et révèlent bien souvent le paysage psychique d’un personnage. Nous verrons cependant que « le monde extérieur » est aussi chez Stendhal un monde de symboles dont il s’agit de déchiffrer le sens. Enfin, il importera de dégager les enjeux esthétiques forts soulevés par le problème de cette représentation.

Dans son roman Le Rouge et le Noir, Stendhal tend à effacer « le monde extérieur » afin de révéler le paysage psychique de ses personnages, « comme empreinte en creux de l’homme ».

Dans ses Souvenirs d’égotisme, il ne peut être plus clair lorsqu’il affirme : « J’abhorre la description matérielle. L’ennui de la faire m’empêche de faire des romans ».  Nous ne pouvons que convenir que les pauses descriptives sont rares dans Le Rouge et le Noir, comme pour ne pas nuire à la tension dramatique et « assurer […] les commodités de la conversation ». De même que les salons de l’hôtel de La Mole  sont une toile de fond aux conversations entre Mathilde et Julien, de même la chambre des condamnés se fait discrète pour permettre les épanchements affectifs entre ce dernier et Mme de Rênal.  Il importe de ne pas ternir le bonheur de notre héros par des détails sordides, et, dans les derniers chapitres, la prison ne sera évoquée que par quelques périphrases : « ce séjour dégoûtant », « ce cachot qui me fait penser à l’isolement ». Cette « éclipse du monde extérieur », pour reprendre la formule de Gracq, révèle chez Stendhal une horreur du pittoresque qui détourne l’attention et le conduit à mettre en place de véritables choix esthétiques.

Il convient donc de faire des choix, de « raboter et de polir à sa convenance », et ce choix qui s’opère est celui du réalisme subjectif. Le monde extérieur, vu à travers les yeux des personnages, révèle leur paysage intérieur. Dans la Vie de Henry Brulard, il confirme : « je ne prétends pas peindre les choses en elles-mêmes, mais seulement leur effet sur moi », car cela seul permet de toucher à la vérité. Les salons de l’hôtel de la Mole « aussi tristes que magnifiques » ne sont décrits qu’à travers le prisme de l’ennui ressenti/pressenti immédiatement par Julien, et, dans une formule métaphorique on ne peut plus éloquente, le sujet est clos : « c’est la patrie du bâillement et du raisonnement triste ». La scène emblématique de Julien sur son rocher, tel le marcheur solitaire du  Voyageur contemplant une mer de nuages  de Caspar David Friedrich, donne à voir un paysage intérieur, l’image d’une volonté d’élévation sociale : « Julien, debout sur son grand rocher regardait le ciel, embrasé par un soleil d’août ». A travers la description des beautés de la nature, elle est « l’empreinte en creux » de celui qui voit, celle d’un homme heureux « d’être séparé de tous les hommes ». Héros romantique, il est l’homme seul  qui rêve à un ailleurs. En établissant une relation entre intérieur et extérieur, nature et sentiment, Stendhal attribue une fonction expressive à ses descriptions.

Dès lors peut-on dire que le style de Stendhal est en droite continuation avec le préromantisme du XVIIIe siècle. En disciple de Rousseau dont il a lu les œuvres avec passion, il met en relation le paysage et l’état d’âme de celui qui perçoit. Bien loin des formes de plus en plus réalistes de la description, Gracq évoque le « retard technique et sensible de Stendhal » qui le lie au siècle précédent. A ceci près que justement, il ne met pas la description à l’honneur mais reste dans l’implicite et, ainsi que nous avons tenté de le montrer, s’éloigne de Rousseau. Peu d’épanchements face aux beautés de la nature, il est en « équilibre instable » entre deux siècles comme le souligne lui-même Gracq dans En lisant, en écrivant. Malgré l’adoration voué aux paysages, « archet qui jouait sur [son] âme », l’épisode de la grotte et des scènes de montagne, Livre I, chapitre XII, loin de donner lieu à de longues descriptions, ne sont que l’occasion de parler de notre héros, avide de liberté et méfiant jusqu’à la paranoïa : « ici […] les hommes ne sauraient me faire de mal ».

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