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Pourquoi Lit-on Des Romans ?

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Par   •  3 Mai 2013  •  2 087 Mots (9 Pages)  •  1 248 Vues

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Pourquoi lit-on Madame Bovary ou Da Vinci Code ? À quoi bon se passionner pour des histoires inventées de toutes pièces et pleurer sur le sort de personnages qui n’ont jamais existé ? Le divertissement n’est pas le seul apport de la littérature. Par le détour de la fiction, elle élargit notre expérience et nous offre un autre regard sur le monde et sur nous-mêmes.

Le roman se porte bien. Il s’en vend chaque année en France six fois plus que d’ouvrages de sciences humaines (1), sans compter la florissante littérature de jeunesse. Pourquoi un tel succès ? La réponse n’a rien d’évident. Le roman ne prétend ni à la vérité, ni à l’objectivité. Sa lecture exige un effort de plusieurs heures, plusieurs jours, voire plusieurs semaines. Pour quel résultat, quelle rentabilité ? Que cherche-t-on dans la lecture d’un roman, que l’on ne trouverait ni dans les ouvrages théoriques ou pratiques, ni dans les films, ni dans le flot de divertissements mis à la disposition du consommateur contemporain ?

Le singulier, l’éphémère, le minuscule

Avant d’entamer cette enquête, commençons par interroger ce terme, « roman ». De quoi parle-t-on ? Derrière le même mot se carambolent des types de textes bien différents, romans à thèses, romans réalistes, polars, romans-feuilletons, romans épistolaires, romans de gare, romans pour femmes, romans pour enfants, romans de cape et d’épée, Mme de Lafayette, Marcel Proust, Guillaume Musso… On est souvent tenté d’exclure du genre romanesque les fables, les contes, les nouvelles, les récits, les mémoires. Mais on y admet parfois les nouvelles formes narratives qui circulent via Internet ou le téléphone portable. Ces catalogages ne sont pas toujours convaincants. La mise en garde de Guy de Maupassant vaut toujours : « Le critique qui ose encore écrire : “Ceci est un roman et cela n’en est pas un” me paraît doué d’une perspicacité qui ressemble fort à de l’incompétence (2). »

Le roman est pluriel, donc, et c’est la raison pour laquelle il n’existe aucune raison univoque de s’engouffrer dans sa lecture. Genre en perpétuelle métamorphose, il a pour seule constante son inconstance. Quels que soient les savoirs qu’il charrie et les ambitions théoriques qui peuvent être les siennes, il demeure le moins scientifique des discours. Le roman n’expose pas les faits, n’explore pas les concepts, ne déduit pas les idées. À la rigueur de la science, il oppose l’aléatoire et l’imprévu. Contre l’universel et le conceptuel, il dresse le singulier, l’éphémère, le minuscule, le sensuel, le hasard d’une rencontre, le battement d’un cœur, la violence d’un sentiment ou d’une altercation… D’où la tentation de ranger la lecture de romans au rayon des activités distrayantes, voire sentimentales, là où les ouvrages plus didactiques se réserveraient le rayon de la connaissance. « Le véritable domaine de la cognition est la science, affirme ainsi Ronald Shusterman, spécialiste d’esthétique. La fiction n’est jamais une connaissance (3). »

Mieux connaître l’humain

Pourtant, de nombreuses voix s’élèvent pour affirmer le « pouvoir heuristique » ou encore la « puissance cognitive » de la littérature. Ce que nous chercherions dans les romans, ce serait à « mieux connaître » l’humain, le monde, la vie. Ainsi Tzvetan Todorov rappelle-t-il que « la littérature est la première des sciences humaines » (encadré ci-dessous). Gérard Genette, Jean-Marie Schaeffer, Rainer Rochlitz affirment tous à leur façon que l’apport du roman est d’ordre cognitif. Des historiens cherchent dans la littérature des « vérités historiques ». Même les sciences cognitives apportent leur pierre à cet édifice théorique : armées de leurs connaissances sur les mécanismes du cerveau, elles tentent des incursions du côté de la critique littéraire (4).

Dans cette effervescence, il reste une question qui embarrasse et dresse des lignes de partage entre littéraires, sociologues, historiens, cognitivistes : quel type de savoir spécifique le roman apporterait-il ? Certes, les romans peuvent reconstituer un univers historique, décrypter des relations sociales ou nous informer de manière frappante sur la psychologie humaine. Mais de ce point de vue, ils n’ont aucune exclusivité par rapport aux sciences humaines, aux essais ou au cinéma. C’est pourquoi il faut distinguer le contenu de connaissances dont un texte est porteur, et l’imaginaire qu’il déploie. Réduire Jules Verne au rôle de vulgarisateur des sciences de son temps, c’est passer à côté des raisons qui poussent toujours des adolescents à se passionner pour les rêves du capitaine Nemo, ignorer la mise en scène des passions les plus archaïques orchestrée dans Vingt mille lieues sous les mers (1870) : volonté de puissance, démesure, misanthropie… De même, L’Étranger (Albert Camus, 1942) constitue à certains égards une synthèse des grands thèmes de la philosophie existentialiste : la solitude, la mort, l’altérité, l’absurde. Mais comme le remarquait Roland Barthes, « ce qui fait de L’Étranger une œuvre, et non une thèse, c’est que l’homme s’y trouve pourvu non seulement d’une morale, mais aussi d’une humeur (5) ». On pourrait dire exactement la même chose des romans de Michel Houellebecq, qui nous informent sur la psychologie amoureuse ou le tourisme de masse, mais dont la valeur essentielle tient à l’ambiance inédite qui s’en dégage. Ambiance, atmosphère d’un monde couché sur du papier ou humeur d’un personnage inventé de toutes pièces : intuitivement, nous sentons que les mots de l’auteur disent « quelque chose » de singulier sur notre époque ou sur nous-mêmes. Précisément parce que leur texture est faite de rêves et de mots, et non de faits et d’idées, les romans enrichissent simultanément notre compétence linguistique et notre appréhension du réel. Dynamitant les catégories toutes faites pour penser l’humain et la société, ils offrent même un « formidable matériel pour stimuler l’imagination des sociologues », estiment Anne Barrère et Danilo Martuccelli (lire ici).

Des vies par procuration

De son côté, la philosophie morale s’intéresse au rôle pédagogique du roman. Martha Nussbaum, l’une de ses représentantes les plus

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