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Peut-on Aimer La vérité Sans La Connaître ?

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Par   •  21 Novembre 2012  •  1 878 Mots (8 Pages)  •  1 720 Vues

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Peut-on aimer la vérité sans la connaître ?

par Guillaume Delaby

1er prix de philosophie (séries ES et S), 2001

Un proverbe, cité par Karl Jaspers au premier chapitre de son Introduction à la philosophie, prétend que "la vérité sort de la bouche des enfants et des fous", c'est-à-dire de personnes qui - a priori - ne connaissent ni n'aiment clairement la vérité. S'il est certain que les enfants (in-fans, êtres privés de parole) et les déments (de-mens, êtres privés de raison) n'ont jamais produit d'ouvrages philosophiques à la renommée immortelle, il arrive néanmoins fréquemment que leurs paroles ou leurs questions surprennent par leur justesse et leur capacité à nous désemparer. Et, plus profondément, cela leur restitue une troublante forme de clairvoyance sur les enjeux - philosophiques notamment - de l'existence. Loin d'affirmer que la vérité appartient à ceux qui n'ont ni appris à parler ni à penser rationnellement, nous pouvons cependant reconnaître que la vérité s'apparente parfois à ce qui s'éloigne le plus d'une démonstration ordonnée. D'autre part, si les philosophes étaient des sages, il faudrait leur trouver un autre nom. Le philosophe est en effet celui qui aime la sagesse, celui qui la désire même de tout son être, mais ne la détient pas - dans son intégralité en tous cas -. Il apparaît donc que la vérité peut être le fruit de l'ignorance tout en étant incapable d'y remédier, quand elle germe dans un esprit dénué de raison ou de maîtrise de la parole. Si tout le monde aime la vérité, un paradoxe persiste : si nous la connaissions totalement, nous ne la désirerions pas et si nous ne la connaissions pas du tout, nous ne pourrions pas la désirer. N'est-il donc pas absurde d'aimer une vérité que nous ne connaissons pas ?

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La définition de la pensée suggérée par Platon dans le Théétète n'est pas embarrassée par cette contradiction apparente. Que l'âme se fasse à elle-même les questions et les réponses, mouvement essentiel de la pensée, s'explique par la fameuse réminiscence. L'invitation du temple de Delphes, "Connais-toi toi-même", en est l'illustration. La vérité se trouve en nous, mais c'est par le travail et l'obstination de l'intelligence qu'on doit parvenir à la faire ressusciter, renaître en nous afin de la reconnaître. Aimer la vérité, c'est donc d'abord s'aimer soi-même, en tant que foyer certain d'une vérité à venir. Mais, malgré la réminiscence, il demeure que pour aimer la vérité il faille avant tout avoir immédiatement le désir de faire réussir la réminiscence. Et ce désir ne peut être pré-déduit, il ne peut être qu'instinctif, puisque n'ayant, par définition, aucun préalable logique. Le désir d'obtenir la vérité ne peut donc jamais provenir d'une connaissance, mais plutôt d'une prédisposition latente.

Revenons à l'énoncé platonicien, ainsi reformulé par Schopenhauer : "Je désire toujours ce que je n'ai pas, et j'ai ce que dès lors je ne désire plus". Si ce syllogisme paraît implacable, il contient en fait la possibilité d'une nuance. L'aspect statique et irrévocable de cette assertion semble nier le principe même qui fonde la relation et la communication, à savoir que l'on peut toujours désirer ce que l'on a, dans sa dimension insaisissable mais ouverte à l'exploration. Appliquée aux êtres, cette théorie se rapproche de la notion de "foyer d'opacité" évoquée par E. Mounier. Il en va ainsi pour la vérité : ce qui garantit l'amour du vrai - sa permanence - c'est sa part inconnue (mais non pas inconnaissable). Aimer, en quelque sorte, c'est désirer toujours tout en se satisfaisant de cette insatisfaction permanente.

Si l'on considère la vérité comme un ajustement parfait entre notre désir d'intelligibilité et la réalité, on conçoit dès lors la conscience comme l'unique mode d'expression possible du vrai. Nous restreignons donc la vérité aux "situations-limites" de notre humanité (Jaspers). La vérité doit donc revêtir le même manteau que nous. Car la vérité, entre autres indigences, n'est qu'un mot, que nous avons posé comme symbole de ce qui permet l'ajustement entre le monde et notre conscience. Mais ni le réel ni notre conscience ne peuvent être embrassés dans une totalité présente. Car l'envergure symbolique du langage est aussi grande que l'écart même qu'elle ambitionne d'appréhender, entre le réel et sa perception.

Albert Camus a voulu donner un sens au "silence déraisonnable du monde". Et quel est ce sens sinon celui de l'amour de la vérité ? Car un monde où nous connaîtrions la vérité serait invivable. Ce que l'on gagnerait en sécurité et en insouciance, nous le perdrions en liberté. "J'émerge seul et dans l'angoisse à la conscience d'être le fondement sans fondement de toutes les valeurs" écrivait Sartre. Etre libre, ça n'est rien d'autre qu'avoir le choix de ses vérités. Une totale maîtrise du vrai eût été une essence forcée de notre humanité, et une essence que notre existence n'aurait pu imprimer du sceau de son individualité.

Le mythe de la Genèse nous rappelle que nous avons failli atteindre la connaissance du bien et du mal, du vrai et du faux. Nous avons failli devenir dieux, et connaisseurs de la vérité, comme principe de toutes les autres, comme attribution essentielle de chacune de ces vérités que, dieux déchus, nous tenons maintenant pour vraies, et non comme attributions accidentelles de substances intelligibles dont seule l'apparence nous semble être tenue pour vraie. Mais la connaissance de l'Un-Bien platonicien, la possibilité de recréer le Verbe, cela eût encore été prétexte à la création du monde, parce que sans ces conditions, il n'est pas de souvenirs logiques (c'est-à-dire exprimés par le langage), mais uniquement mythiques. La liberté dépend des restrictions que sont le langage et

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