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Les procédés de l'ironie dans l'article “Torture”

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Par   •  2 Février 2015  •  Analyse sectorielle  •  5 161 Mots (21 Pages)  •  910 Vues

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Les Romains n'infligèrent la torture qu'aux esclaves, mais les esclaves n'étaient pas comptés pour des hommes. Il n'y a pas d'apparence non plus qu'un conseiller de la Tournelle regarde comme un de ses semblables un homme qu'on lui amène hâve, pâle, défait, les yeux mornes, la barbe longue et sale, couvert de la vermine dont il a été rongé dans un cachot. Il se donne le plaisir de l'appliquer à la grande et à la petite torture, en présence d'un chirurgien qui lui tâte le pouls, jusqu'à ce qu'il soit en danger de mort, après quoi on recommence; et, comme dit très bien la comédie des Plaideurs: « Cela fait toujours passer une heure ou deux. »

Le grave magistrat qui a acheté pour quelque argent le droit de faire ces expériences sur son prochain, va conter à dîner à sa femme ce qui s'est passé le matin. La première fois madame en a été révoltée, à la seconde elle y a pris goût, parce qu'après tout les femmes sont curieuses; et ensuite la première chose qu'elle lui dit lorsqu'il rentre en robe chez lui: « Mon petit coeur, n'avez-vous fait donner aujourd'hui la question à personne? »

Les Franc qui passent, je ne sais pourquoi, pour un peuple fort humain, s'étonnent que les Anglais, qui ont eu l'inhumanité de nous prendre tout le Canada, aient renoncé au plaisir de donner la question.

Lorsque le chevalier de La Barre, petit-fils d'un lieutenant général des armées, jeune homme de beaucoup d'esprit et d'une grande espérance, mais ayant toute l'étourderie d'une jeunesse effrénée, fut convaincu d'avoir chanté des chansons impies, et même d'avoir passé devant une procession de capucins sans avoir ôté son chapeau, les juges d'Abbeville, gens comparables aux sénateurs romains, ordonnèrent, non seulement qu'on lui arrachât la langue, qu'on lui coupât la main, et qu'on brûlât son corps à petit feu; mais ils l'appliquèrent encore à la torture pour savoir précisément combien de chansons il avait chantées, et combien de processions il avait vues passer, le chapeau sur la tête.

Ce n'est pas dans le XIIIème ou dans le XIVème siècle que cette aventure est arrivée, c'est dans le XVIIIème. Les nations étrangères jugent de la France par les spectacles, par les romans, par les jolis vers, par les filles d'Opéra, qui ont les mœurs fort douces, par nos danseurs d'Opéra, qui ont de la grâce, par Mlle Clairon, qui déclame des vers à ravir. Elles ne savent pas qu'il n'y a point au fond de nation plus cruelle que la française.

CORRIGE DE LA QUESTION PAR LE PROFESSEUR, Bernard MIRGAIN

Les procédés de l'ironie dans l'article “Torture”

Avant de relever et de commenter les procédés stylistiques, les figures de style (littéraires), de rhétorique, il convient de définir rapidement en quoi consiste l'ironie. C'est un état d'esprit, avant tout. Une façon de voir le monde, une manière de concevoir les choses. Et cet état d'esprit implique évidemment une manière de présenter les choses, par les mots, les paroles, qu'elles soient proférées ou écrites. On dit d'ailleurs « faire de l'esprit » lorsque cette manière de parler est plaisante. Autrement dit, l'ironie est une forme de comique « fin », dans la mesure où elle est faite de sous-entendus, d'allusions explicites ou implicites. Elle n'existe que par la parole (pas d'ironie par le geste) et souvent réside dans le ton.

L'ironie est agressive. L'ironiste est un idéaliste en quelque sorte, qui rêve d'un monde meilleur. La réalité le déçoit, alors il se moque, il tourne en dérision les humains, il les méprise avec dédain. Si un auteur fait de l'esprit, use d'ironie, cela veut dire aussi qu'il fait un clin d'œil au lecteur. Ce qui implique une complicité entre l'auteur et le narrateur, ou, au théâtre, entre le comédien et le spectateur. L'ironie est toujours une manière un peu malicieuse de s'exprimer. On la retrouve fréquemment sous la plume du fabuliste La Fontaine - dans la fable intitulée « La Fille », par exemple - qui emploie à l'égard de ses personnages un ton badin, voire méprisant ou légèrement dédaigneux. L'ironiste ne dit pas ouvertement, nettement ce qu'il pense : il le laisse deviner en donnant en quelque sorte un coup de coude au lecteur. L'ironie comporte une feinte (art du faux-semblant), une fausse naïveté (ironie socratique). Elle est toujours une moquerie, qu'elle soit bénigne, badine ou bien agressive, acerbe, acidulée, voire vipérine. Elle peut s'appliquer à tout et devenir explosive si elle est employée avec une volonté destructive, de contestation ou de rébellion. Cette violence peut conduire à l'absurde (ce que les Anglais appellent nonsense), ce qui sera souvent exploité au Siècle des Lumières par Montesquieu et Voltaire.

L'ironie est protéiforme, elle peut associer des formes macrostructurales (organisation textuelle) ou microstructurales (procédés de rhétorique spécifiques). Autrement dit, elle peut correspondre à une forme argumentative, narrative ou dramatique, énonciative...

Quels sont les procédés spécifiques utilisés ici par Voltaire ?

- L'antiphrase ou distorsion, disproportion entre ce que l'on dit et ce que l'on pense véritablement ; en rhétorique, l'antiphrase est une figure par laquelle, par ironie, par moquerie, on emploie un mot, un nom propre, une phrase, une locution, avec l'intention d'exprimer le contraire de ce que l'on a dit...

- Le propos allusif, les allusions à l'histoire romaine, aux mœurs de la romanité (distorsion entre des pratiques ancestrales et l'esclavage moderne, une forme anachronique), qu'on peut rapprocher du raisonnement lapidaire ou faux-raisonnement. Le décalage est la figure maîtresse de l'ironie : la fausse caution de l'histoire permet à Voltaire de souligner l'anachronisme des pratiques inquisitoriales de la torture. Les « mœurs fort douces » des filles d'Opéra (des femmes de petite vertu, des filles faciles) n'ont rien à voir avec l'ensemble des comportements spécifiques à un groupe humain, à une société, considérés dans leurs rapports avec une morale collective (le libertinage ne saurait être assimilée à une morale). Ici, l'allusion se rapproche de la fausse louange, du faux éloge... La même remarque s'impose au sujet des « danseurs d'Opéra qui

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