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La post-humanite, question ultime de la bioethique

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Par   •  2 Février 2014  •  5 206 Mots (21 Pages)  •  949 Vues

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LA POST-HUMANITÉ, QUESTION ULTIME DE LA BIOÉTHIQUE ?

À mesure que les savoirs et les techniques du vivant se développent, les débats sur les conséquences éthiques et politiques de leur expansion se multiplient, jusqu’à envahir l’espace du débat public.

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En dépit de leur extrême diversité et de leur grande technicité, les difficultés soulevées par les progrès des biotechnologies semblent aujourd’hui se réduire à une seule question, aussi simple que massive : l’humanité est-elle une espèce en voie de disparition, va-t-elle bientôt céder la place à une nouvelle espèce biologique : la post-humanité ? Une certaine unanimité, assez inattendue en ces matières disputées, se dégage pour considérer la question de la post-humanité comme le problème architectonique des controverses bioéthiques contemporaines. Scientifiques professionnels et moralistes d’occasion, religieux horrifiés et scientistes enthousiastes, tous prophétisent à l’unisson la fin prochaine de l’humanité. Les uns s’en réjouissent et combattent les « obscurantistes » qui voudraient entraver l’essor de la science. Les autres le déplorent et tentent d’éviter le prochain « suicide de l’humanité ».

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Dans ce débat, trois voix originales se sont fait entendre, celles de Francis Fukuyama, celles de Jürgen Habermas et celles de Dominique Lecourt. Beaucoup de différences séparent leurs trois ouvrages. Les questions auxquelles chacun entreprend de répondre sont nettement distinctes et, surtout, leurs thèses respectives sont radicalement divergentes. Mais tous ont en commun le projet de reprendre à nouveaux frais ces débats trop vite simplifiés.

TROIS APPROCHES DIVERGENTES DE L’ÉTHIQUE DE LA VIE

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La création et la diffusion de nouvelles biotechnologies ne suscitent pas, loin s’en faut, les mêmes interrogations chez les trois philosophes.

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Pour Fukuyama, le problème est avant tout historique et politique. Le volcan de l’histoire, assoupi, après la chute du Mur de Berlin, est sur le point d’entrer dans une nouvelle éruption aux conséquences catastrophiques. Les valeurs démocratiques, autour desquelles tous les hommes et tous les pays étaient, selon La fin de l’histoire, censés s’unir progressivement après la fin des totalitarismes, sont aujourd’hui en péril : la génétique, la pharmacologie, la robotique et l’informatique sont désormais susceptibles de modifier le corps et l’esprit humains de façon irréversible : elles sont capables de créer une nouvelle espèce biologique. Or, selon Fukuyama, les régimes démocratiques reposent sur une certaine conception de la nature humaine et de ses caractéristiques biologiques fondamentales. Le problème est donc simple à formuler selon lui : est-il souhaitable de modifier l’état biologique actuel de l’homme au risque d’entrer dans l’ère de la post-humanité et de la post-démocratie ?

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Fukuyama décline cette question liminaire en plusieurs interrogations. Il demande pour quelle raison il serait meilleur de maintenir l’humanité dans son état actuel plutôt que de se servir des progrès des biotechnologies pour débarrasser la condition humaine de certains de ses attributs les plus amers, comme les maladies héréditaires ou la dépression chronique. L’homme n’est-il pas cet animal capable de se perfectionner constamment lui-même ? Fukuyama met même en question le caractère souhaitable de l’allongement indéfini de l’existence humaine. Dans l’examen de ces problèmes, Fukuyama n’accorde pas d’emblée à l’humanité actuelle une valeur intangible. Il donne au contraire leur chance aux thèses eugénistes et estime qu’il lui incombe de montrer que la « nature humaine » doit être préservée dans la forme que l’évolution lui a aujourd’hui donnée, et que la charge de la preuve repose sur ceux qui veulent limiter le développement des biotechnologies.

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En somme, Fukuyama pose avec netteté et sans a priori moral ou religieux des questions qui, pour n’être pas radicalement nouvelles dans le débat bioéthique, n’en sont pas moins fondamentales.

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Pour Lecourt, en revanche, ce qui pose problème, dans les débats bioéthiques contemporains, c’est surtout le statut des discours qui s’y affrontent. Certes, Humain, post-humain aborde aussi la question de la nature humaine, mais sa première préoccupation est de montrer que les controverses actuelles mettent aux prises deux types de discours dont l’antagonisme marque l’apparition d’un malaise et d’un schisme dans la civilisation occidentale : d’un côté, ceux que Dominique Lecourt baptise les « bio-prophètes » ; de l’autre, ceux qu’il nomme les « bio-catastrophistes ». Pour les premiers, la révolution biotechnologique est un progrès et marque une nouvelle étape dans l’affranchissement des hommes à l’égard de la nécessité naturelle. Pour les seconds, en revanche, l’essor des biotechnologies conduit l’humanité au suicide.

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Pour le bioéthicien contemporain tout le problème, contrairement à ce que croit Fukuyama, n’est pas de choisir son camp mais de chercher d’où vient cette gigantomachie et le malaise qui en résulte afin de les dépasser. Pour dissiper le brouillard néfaste d’irrationalité qui nimbe ces controverses, il faut mettre au jour la généalogie religieuse de chacun de ces credo. Il faut les déconstruire patiemment afin de montrer que cet affrontement est en fait d’une antinomie de la déraison religieuse et de restaurer la raison dans ses droits en matière de bioéthique.

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Pour Habermas aussi, une approche métaphysique des débats bioéthiques doit être évitée car elle risque de ranimer de vieux démons dogmatiques. Longtemps, la philosophie s’est crue capable de trancher des questions que pose aujourd’hui la bioéthique, par exemple de distinguer la « vie la meilleure » des formes d’existence dévoyées ou diminuées. Mais cette présomptueuse posture lui a passé : la raison philosophique a reconnu ses limites, a adopté une prudente réserve en éthique et en politique et ne défend plus de normes substantielles et positives. Elle se contente aujourd’hui d’élaborer des procédures susceptibles de déterminer des normes dans le respect du pluralisme.

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Pourtant, selon Habermas, la circonspection et le procéduralisme éthique ne sont plus de

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