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L'analogie entre la nourriture spirituelle, en d'autres termes, lire et nourrir le corps

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Par   •  16 Février 2015  •  Analyse sectorielle  •  2 459 Mots (10 Pages)  •  950 Vues

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Je m’avançai vers l’ange et le priai de me donner le petit livre.

Il me dit : Prends et mange-le

Il sera amer à tes entrailles,

mais dans ta bouche, il aura la douceur du miel.

Je pris le petit livre de la main de l’ange et le mangeai.

Dans ma bouche, il avait la douceur du miel,

mais quand je l’eus mangé, mes entrailles

en devinrent amères. (Apoc., 10 : 8-10)1

La métaphore qui survit à l’image biblique du texte sacré, dévoré par Jean à Pathmos, est celle, devenue banale, de la lecture comme absorption, ingestion, et digestion du texte. Qu’on pense à ces expressions françaises si courantes, « dévorer un roman », « un livre indigeste » … D’abord figure de l’incorporation du texte religieux notamment chez les mystiques aux XVIe et XVIIe siècles2 , l’expression métaphorique est devenue plus familière à mesure que le lectorat s’est élargi, féminisé, à mesure aussi que la lecture intensive du texte sacré a fait place à une lecture extensive des textes profanes3 , que l’on grignote les romans ou les avale gloutonnement, qu’ils soient substantiels ou inconsistants.

Cette analogie entre la nourriture spirituelle – autrement dit la lecture – et la nourriture du corps, va permettre de fonder une axiologie du bon ou du mauvais livre-aliment (livre nourrissant / livre poison), de la bonne ou de la mauvaise façon de lire. Et de la sorte, du bon ou du mauvais convive-lecteur.

En se penchant sur les traités de pédagogie de l’ancien régime, dont l’un des rôles consiste évidemment à recommander ou interdire les lectures, on constate d’une part que la métaphore de la lecture comme consommation revient plus particulièrement dans les traités d’éducation des filles et d’autre part que ce recours à la métaphore sanctionne toujours des lectures jugées « légères » parce qu’elles ne nourriraient pas correctement l’esprit et lui seraient dangereuses. Ces observations nous conduisent à deux postulats : 1/ La métaphore du livre avalé, en devenant métaphore de la lecture profane et extensive, a perdu de son prestige : elle n’est plus l’image du plus haut point d’incorporation du texte sacré, mais au contraire celle d’une lecture moralement condamnable 2/ Ce dénigrement de la lecture via la métaphore du livre avalé serait l’un des points d’achoppement d’une différence sexuelle de la lecture et permettrait de caractériser plus précisément une « lecture féminine ».

Les textes pédagogiques de la première moitié du XIXe siècle, ainsi que les traités de médecine, vont modifier ce point ; la métaphore du livre avalé, bien que reprise et toujours particulièrement associée à la lecture féminine, va perdre de son caractère imagé et acquérir un sens littéral nouveau. Littéralement, les lectrices vont manger les livres ; elles vont lire à table, échanger des livres contre des sucreries, pendant que les cliniciens de l’hystérie vont les inviter à modérer leur consommation de boissons, de nourritures excitantes et de romans. C’est le corps lui-même qui, directement atteint par la lecture- consommation , va faire l’objet d’un traitement, d’une purge des mauvais romans lus…

C’est ce passage de la métaphore du livre avalé à son acception littérale dans les discours et représentations de la lecture féminine que nous voudrions interroger : c’est lui qui sera au cœur de notre réflexion, parce qu’il stigmatise une lecture qui serait sexuellement différenciée, parce qu’aussi il modifie profondément la stratégie d’interdiction de lecture des romans. Celle-ci n’est plus dangereuse pour l’esprit et la bonne moralité de la lectrice mais pour sa santé nerveuse et physique. L’interdiction morale a cédé la place à une prophylactique qui considère la lectrice comme un corps, et dont l’argumentaire va reposer en partie sur la « littéralisation » de la métaphore du livre avalé.

1. L’analogie nourriture spirituelle/nourriture du corps

Reprenons trois traités pédagogiques qui parcourent l’Ancien Régime et le XIXe siècle. Dans De l’Éducation des filles , Fénelon s’appuie, le premier dans notre série, sur la métaphore de la nourriture spirituelle pour condamner la dangerosité morale de la lecture de romans :

Les filles mal instruites et inappliquées ont une imagination toujours errante. Faute d’aliment solide, leur curiosité se tourne toute avec ardeur vers les objets vains et dangereux. Celles qui ont de l’esprit s’érigent souvent en précieuses, et lisent tous les livres qui peuvent nourrir leur vanité ; elles se passionnent pour des romans […] (19-20, c.m.q.s.)

Un siècle plus tard, Laclos infléchit ce recours à la métaphore de la lecture-nutrition en postulant une analogie entre le développement du corps et de l’esprit qui rend la diététique spirituelle comparable à la diététique physique :

Le choix des aliments plus ou moins nourrissants, la vie sédentaire ou active sont des causes physiques qui contribuent, presque autant que le climat, à accélérer ou retarder le moment de la puberté. Le feu de l’imagination qui, dans la société, ne manque presque jamais d’être allumé […] par des discours ou des lectures peu chastes, et par les réflexions solitaires qui les suivent, est une cause morale, non moins puissante, pour hâter la nature. (19)

Nous avons dit en commençant cet écrit, qu’au moral comme au physique la nourriture devait être choisie suivant les tempéraments ; et aussi que les aliments pris sans plaisir ne profitaient point. En suivant cette idée, nous ajouterons que ce n’est pas ce qu’on mange qui nourrit, mais seulement ce qu’on digère. Il ne suffit donc pas de lire beaucoup, ni même de lire avec méthode, il faut encore lire avec fruit ; de manière à retenir et à s’approprier en quelque sorte ce qu’on a lu. (78)

La métaphore est ici filée d’une façon nouvelle : il ne s’agit plus de reprendre l’image figée de la nourriture spirituelle, mais bien de mettre en place une analogie parfaite entre le développement du corps et le développement

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