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Étude Du Personnage La fée Tout-ou-Rien Dans Ah Quel Conte ! De Crébillon

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Par   •  21 Septembre 2014  •  5 390 Mots (22 Pages)  •  963 Vues

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Le personnage de la fée Tout-ou-Rien est introduit dès le deuxième chapitre de la première partie d'Ah quel conte !, licencieux conte oriental crébillonnien paru en 1757. Après avoir occupé la scène du conte pendant un peu plus d'un tiers de l'oeuvre, outrepassant ainsi le rôle restreint qu'accorde généralement le conte à l'auxiliaire magique, pour reprendre l'appellation de Vladimir Propp dans sa Morphologie du conte, Tout-ou-Rien la quitte finalement dans la troisième partie, à la fin du chapitre I. Dans un monde où la limite entre microcosme féerique et monde des mortels est poreuse, Tout-ou-Rien, présentée par le narrateur comme « l'une des plus puissantes et des plus aimables fées qui gouvernassent alors l'univers », est l'immémoriale puissance tutélaire du royaume d'Isma. A ce titre elle semble s'inscrire d'emblée dans la traditionnelle lignée médiévale des fées protectrices, telle la bien connue fée Mélusine, que reprend Jean d'Arras dans son roman éponyme paru en 1393, fondatrice et gardienne de la lignée des Lusignan. De même que Mélusine s'éprit du mortel Raymond de Lusignan, Tout-ou-Rien succombe aux charmes du prince Schézaddin, qui, dans l'attente d'un coup-de-foudre, se refuse farouchement aux plaisirs de l'amour, et, séduite autant par le jeune prince que par le défi qu'il représente, jure de s'en faire aimer. Elle a pour cela recours à un stratagème magique : elle présente aux prince endormi son image dénudée et réveille ses sens endormis. Le prince tombe amoureux de l'onirique vision et, lorsque, éveillé, il rencontre Tout-ou-Rien en personne, il croit à un coup du destin, et de fée tutélaire, Tout-ou-Rien rejoint la catégorie littéraire des fées amantes. Leur idylle est troublée par la révélation du stratagème, que, trop confiante, lui confesse Tout-ou-Rien. Schézaddin, humilié, quitte la fée, dont la vengeance prend alors la forme d'une bénédiction équivoque : elle lui promet le coup-de-foudre qu'il attend, mais sans préciser que, comme le lecteur le découvre par la suite, c'est d'un volatile dont le prince tombera éperdument amoureux, volatile qui s'avérera être la princesse Manzaïde, métamorphosée en oie. Ainsi, au premier abord, la fée se révèle bien être un instrument du destin, dont, étymologiquement, elle tient son nom puisque le mot fée vient du latin fata, signifiant destinée. Et en effet, fidèle à son rôle d'auxiliaire, Tout-ou-Rien débloque l'intrigue, figée par la frigidité de Schézaddin, et ce faisant permet ensuite la quête du prince et son accession au titre de héros, dont pouvait faire douter le début de l'oeuvre qui nous présentait un anti-héros sans motivations ni désirs. Néanmoins, Tout-ou-Rien, malgré une onomastique unidimensionnelle, se révèle à la lecture un personnage d'une complexité ambiguë et la clé de lecture que semblait offrir son nom apparaît comme un leurre. Si en effet elle assume bien la fonction d'auxiliaire que lui réserve le conte en tant que créature magique capable, selon le folklore et l'imaginaire populaire, d'influencer les destinées humaines, elle cumule aussi les fonctions de mandatrice en lançant par son imprécation la quête de Schézaddin, et d'adversaire puisque cette quête s'avérera déceptive : le véritable amour du prince est une oie, et l'inachèvement de l'oeuvre ampute le conte du traditionnel heureux dénouement. De plus, la manipulation onirique exercée sur Schézaddin pour gagner ses faveurs, contribue à faire de ce personnage, sensé être bénéfique, un personnage équivoque aux multiples facettes. A travers cette stratégie du songe érotique, Tout-ou-Rien, révèle en effet moins ces pouvoirs fantastiques que sa galanterie et s'affiche comme un fée libérée, voire libertine, au regard de ses nombreuses conquêtes. Elle détourne en effet le motif traditionnel de l'éveil à l'amour par celui de l'éveil à la sensualité et au désir, alors identifié à l'amour. Séductrice, elle inverse les rôles, et par un retournement de l'intrigue se substitue au sujet de la quête. Ainsi le merveilleux, qu'est censée incarner la fée, n'apparaît que comme une caractéristique secondaire, voire décorative : certes, elle est immortelle, a le pouvoir de dispenser des songes érotiques et des bénédictions équivoques, et même de téléporter Taciturne et son amant éconduit, mais reste, par exemple, impuissante face au désamour progressif de ce dernier. Si donc Tout-ou-Rien s'inscrit – partiellement toutefois – dans les codes traditionnels du conte de fées, il semble que ce ne soit que pour mieux les déjouer par son ambivalence. Au développement descriptif du fantastique, Crébillon, peintre de caractères autant que conteur, semble en effet préférer un portrait psychologique, dont le portrait physique est prétexte, et nous présente une coquette au caractère composite et contrasté, emblématique de l'esthétique rococo de son œuvre. Émancipée des codes sociaux comme littéraires, Tout-ou-Rien réussit le paradoxe d'incarner une libertine « honnête » aux aspirations romanesques, dont la tension parodique est constamment souligné par une ironie subtile dans la lignée du persiflage marivaudien, et devient emblématique de l'hybridité générique de l'oeuvre, entre conte et roman-conte.

Dans ce dossier en trois parties nous verrons d'abord comment Tout-ou-Rien apparaît comme une fée ambivalente à l'onomastique trompeuse, et par son caractère composite et contrasté, devient emblématique de l'esthétique rococo de l'oeuvre crébillonienne. Puis nous verrons comment Crébillon, passant du portrait physique au portrait psychologique de la fée, la présente comme une coquette émancipée qui s'affranchit des codes aussi bien sociaux que littéraires. Enfin, nous verrons comment, par le paradoxe d'un libertinage romanesque dont la tension parodique est sans cesse soulignée par une ironie proche du persiflage marivaudien, l'ambivalente Tout-ou-Rien est emblématique de l'hybridité générique de l'oeuvre, entre conte et roman-conte.

I A la croisée des schémas féeriques traditionnels, Tout-ou-Rien apparaît comme une fée

ambivalente à l'onomastique trompeuse et, par son caractère composite et contrasté, devient emblématique de l'esthétique rococo de l'oeuvre crébillonienne

1. Entre Mélusine et Morgane, un fée novatrice et ambiguë à la croisée de deux schémas médiévaux traditionnels des fées amantes

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