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Splendeurs Et Misères Des Courtisanes, Commentaire

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Par   •  2 Mai 2014  •  3 637 Mots (15 Pages)  •  1 346 Vues

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« Vous êtes filles, vous resterez fille […], on ne peut devenir ici-bas que ce qu’on est » , telle est la sentence prononcée par le faux abbé espagnol à la pauvre Esther au chapitre XIII. Cette phrase, si elle n’est pas dans notre extrait, en contient néanmoins toute la substance. Esther revenue à la vie morale, élevée spirituellement par la grâce de Dieu ou par la volonté du très protéiforme Jacques Collin, ne pourra souffrir de réaliser cette prédiction et accepter de redevenir la fille impure qu’elle était, dont le « corps-carrefour » et les mœurs impudiques meurtrissaient l’âme. Mais en homme tout puissant dont les simples paroles scellent le destin des êtres, Jacques Collin, sous la forme de l’abbé Carlos Herrera, prophétise avec exactitude la suite des événements. Aussi, lorsque dans notre extrait Esther découvre avez stupeur la souillure à laquelle celui-ci la prépare depuis le début, la seule solution qu’elle entrevoit pour y échapper est de quitter cet « ici-bas » où elle ne pourra jamais être autre chose que la Torpille. Elle choisit donc de mourir, mais pas tout de suite. Est-ce Carlos Herrera lui même qui ouvre la porte du suicide à Esther ? La précision faite de l’ « ici-bas » pourrait le laisser penser. L’abbé sous-entendrait alors qu’ailleurs, elle pourrait être ce à quoi elle aspire. Cette idée nous donne à apercevoir toute l’étendue du pouvoir de ce génie du mal qu’est Jacques Collin, à la fois acteur, marionnettiste et metteur en scène de ce drame parisien. De cet extrait en particulier, situé au carrefour entre la vie sans ombres menée par Lucien et Esther pendant cinq ans et le futur obscur qui a été façonné par Jacques Collin, il est intéressant de voir en quoi le discours explicatif du narrateur et la focalisation interne sur le personnage d’Esther offrent une anticipation sur la suite des événements et sur la finalité du récit. Trois types d’événements sont présagés à la lumière de cet extrait et constituerons les trois parties du développement : la mort inévitable d’Esther, la participation de celle-ci à l’extorsion de la fortune de Nucingen et enfin la confirmation du caractère supérieur et invincible de Trompe-la-mort.

Dans cet extrait, Esther découvre avec horreur les dettes que Vautrin-Herrera-Collin a créées de toute pièce afin de réunir la fortune nécessaire à l’ascension sociale de Lucien et qui vont la forcer à assouvir l’amour du baron de Nucingen. Le dialogue laisse place à une intrusion dans les pensées d’Esther. Nous sommes en dehors du temps du récit, Esther n’entend plus « Europe-Eugénie-Prudence Servien » , elle est comme dans un songe maladif. Forte depuis cinq ans de sa totale dévotion à l’homme qu’elle aime et admire, se sentant purifiée de toutes les infamies auxquelles elle a participé, Esther est tirée de force hors du royaume immaculé dont Herrera l’avait fait reine et rendue à son bourbier originel. Cette idée se retrouve dans la construction même du récit. Nous pouvons noter deux temps dans l’introspection : le rappel de la nouvelle condition d’Esther, l’insistance faite sur la figure idéalisée de la courtisane repentie au grand cœur, puis l’explication de l’impossibilité pour elle de vivre avec le poids de l’infidélité, impossibilité qui ne lui offre comme solution que la mort. Ces deux temps du récit introspectif participent à construire l’image de la fille repentie, victime du phallocrate Vautrin. Elle incarne parfaitement la courtisane romantique, fille démoniaque devenue ange, comme se fut le cas pour la Marion de Lorme de Victor Hugo, comme ce le fut ensuite pour la Marguerite Gauthier de Dumas fils. De cette Esther poursuivie par les erreurs de son passé, à qui donc le pardon n’est pas accordé, nait un pathétisme brulant renforcée par le lexique employé. En effet, les termes et expressions suivantes : « vertueusement », « cloîtrée dans sa passion », « pauvre fille », « dévouement », « cette fille amoureuse », « blanche comme un ange », « bel amour pur », « blanche », « pure », « noble », « Hermine », donne une image virginale de la nouvelle Esther, celle du présent du récit. Si la narration insiste autant sur cette nature angélique nouvellement acquise par la fille, nous pouvons faire la supposition que c’est parce qu’il n’est pas forcément évident que le lecteur croit en sa sincérité et donc à son envie réelle de mourir. En effet, Esther aillant vécue depuis son plus jeune âge dans la corruption, il est difficile d’imaginer qu’elle ne puisse pas s’accommoder d’une petite infidélité, d’autant que celle-ci doit être, comme ne manque pas de le lui rappeler Europe, particulièrement fructueuse financièrement. Mais Esther a été véritablement transformée par le couvent, le narrateur met l’accent sur cette idée encore une fois, « ceci n’était en elle ni calcul ni poésie, elle éprouvait un sentiment indéfinissable et d’une puissance infinie » . Cette « puissance infinie » ne peut être que la puissance divine. Esther a reçu le salut divin, elle n’est plus capable de vivre dans le péché. Néanmoins, il persiste une incohérence majeure, comment un être touché par la foi, dans le foyer catholique qu’est le couvent, peut-il choisir le suicide comme solution échappatoire ? Comment le lecteur peut-il croire à la fois à la rédemption d’Esther et à son suicide proche?

S’il est vrai qu’Esther a été graciée par la bonté divine, il est faut de dire que celle-ci n’a qu’un seul et unique Dieu. En effet, Esther est restée enfermée pendant cinq ans pour l’amour d’un seul homme et pour cause « ceux qui connaissent l’amour dans son infini savent qu’on n’en éprouve pas les plaisirs sans en accepter les vertus ». Seule la courtisane peut aimer ainsi, en étant entièrement dévouée à l’homme, détachée de toutes les coquetteries du monde extérieur. Cet amour « infini » elle le voue donc également à Lucien et c’est la seule et unique raison qui la rattache à la Terre. Juste après notre extrait, Esther se lève affirmant préférer « finir dans la Seine » . Ce qui la fait se rasseoir est la mention par Europe de la perte que ce suicide occasionnerait à Lucien. À ce moment, Esther comprend donc que, ne pouvant abandonner Lucien, elle devra assurer la continuité des manigances de Vautrin, et ne pouvant non plus abandonner sa nouvelle vertu, elle devra se donner la mort pour laver ses pêchés. La mort d’Esther revient trois fois dans le passage, c’est pourquoi il est difficile de ne pas voir toute la vision prospective qu’offre ce court extrait. En particulier, « que Lucien élevât l’édifice de sa fortune avec les pierres du tombeau d’Esther » importe

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