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Sara Ahmed et "Quelques minutes après minuit" / Analyse Romanesque sur La Théorie De l’affect

Cours : Sara Ahmed et "Quelques minutes après minuit" / Analyse Romanesque sur La Théorie De l’affect. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  18 Avril 2022  •  Cours  •  6 002 Mots (25 Pages)  •  249 Vues

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SARA AHMED ET QUELQUES MINUTES APRÈS MINUIT :

Une Analyse Romanesque Sur La Théorie De l’affect

Alors que nous traitions, l’enseignante, les étudiantes et nous-mêmes, de la théorie des affects selon la théoricienne féministe Sara Ahmed, il nous a été accordé de choisir un roman, peu importe sa provenance, et de tenter de l’analyser sous l’angle de sa perspective à elle. Nous avons alors songé à une œuvre qui nous avait marqués par sa sensibilité et que nous jugions regorgeant de ressources. Il s’agit du roman jeunesse Quelques minutes après minuit[1] de Patrick Ness. La question sur laquelle nous souhaiterions nous pencher est toute simple, mais épineuse : comment les théories d’Ahmed peuvent-elles s’appliquer à un roman jeunesse où il est question d’un jeune homme ?

Ce travail propose d’explorer le récit dans son ensemble, en résumant les passages jugés les plus importants, puis en y allant de propos de la théoricienne pour éclairer notre problématique. Pour ce faire, nous nous appuierons notamment sur deux de ses ouvrages, soit Living a Feminist Life[2] et Happy objects[3], et élaborerons notre pensée à partir de ceux-ci. Nous soulèverons également la question de l’état mental du protagoniste, à savoir s’il pourrait être ou non victime d’une névrose, d’une psychose, ou d’autre chose encore. Nous nous baserons sur trois différents écrits afin de nous éclairer et, espérons-le, nous donner la réponse.

ANALYSE

L’œuvre se déroule en Angleterre et nous raconte comment un jeune adolescent de treize ans, Conor O’Malley, assista aux derniers instants de vie de sa mère atteinte d’un cancer en phase terminale. Une nuit, alors qu’il venait de faire un cauchemar récurrent de « ténèbres », de « vent » et de « hurlement » (Ness, 2012: 11), Conor entendit appeler son nom à l’extérieur, mais lorsqu’il se rendit à la fenêtre pour y voir, seuls le presbytère, le cimetière et le grand if qui trônait en son centre, étaient visibles. Alors, le garçon aperçut l’if, ce grand arbre, se mouvoir et s’approcher de lui. Curieusement, Conor ne ressentit aucune frousse à la vue du monstre, car celui de son cauchemar était bien plus terrible encore. Même lorsque le monstre mentionna à Conor être « venu [l]e chercher » (Ness, 2012: 18), ce dernier le mit au défi de le faire. Le monstre avala Conor et celui-ci se réveilla, le plancher de sa chambre couvert d’épines d’if.

Il descendit ensuite et déjeuna seul, sa mère étant restée couchée, trop faible en raison du nouveau traitement qu’elle expérimentait. Avant de partir, elle fit tout de même une apparition, son crâne chauve retournant l’estomac de l’enfant (Ness, 2012: 25). À son grand dam, elle lui annonça faiblement que sa grand-mère viendrait passer les prochains jours avec eux, car selon elles, Conor ne devrait pas avoir à s’occuper de lui-même tout seul.

Vint alors la scène du collège, avec Conor se relevant et sentant « déjà le goût du sang dans sa bouche » (Ness, 2012: 28). Il s’agit d’une scène d’intimidation classique ou trois élèves s’en prennent à un seul et se servent, par-dessus le marché, de la maladie de sa mère pour le railler. Nous pourrions déjà faire un rapprochement avec ce que dit Sara Ahmed dans son ouvrage intitulé Happy Objects[4], lorsqu’elle affirme :

Anxiety is sticky: rather like Velcro, it tends to pick up whatever comes near. Or we could say that anxiety gives us a certain kind of angle on what comes near. Anxiety is, of course, one feeling state among others. If bodies do not arrive in neutral, if we are always in some way or another moody, then what we will receive as an impression will depend on our affective situation (Ahmed, 2010: 36).

Comme le dit elle-même Ahmed, « l’anxiété n’est qu’une émotion parmi tant d’autres » [traduction libre], alors nous pouvons certes utiliser cette idée et la transposer à la rage. Conor souffre énormément de la bataille que se livrent les émotions contradictoires en lui. D’un côté, il a du mal à accepter le départ d’un être cher, et de l’autre, il se sent indigne d’avoir envie que tout cela se termine. Conor dirige donc une grande colère envers lui-même. Nous pourrions alors en déduire que cette colère ait pu se transférer (de manière collante, ou « sticky ») sur certains de ses camarades de classe, qui ont extériorisé cet affect par la violence physique. On peut voir ici à quel point les affects peuvent véhiculer d’un corps à un autre. Cette scène de violence, donc, se termine par l’arrivée d’une amie de Conor, Lily, qui vient malgré lui à sa rescousse et écope d’une sanction pour s’en être prise à l’un des tortionnaires.

L’extrait suivant nous laisse comprendre que, outre la maladie de sa mère, la vie de Conor est pleine de déceptions. En effet, le narrateur explique que des années plus tôt, soit avant l’apparition du cancer, le père de Conor les a quittés, sa mère et lui, pour aller fonder une nouvelle famille aux États-Unis. Conor se remémore aussi avec nostalgie la soirée de rêve passée avec sa mère au restaurant, la veille avant qu’elle lui annonce la mauvaise nouvelle. Ce douloureux exercice mnémonique a été engendré par les directives de l’institutrice de son école, qui a demandé aux élèves d’écrire un texte sur leur vie, « histoires vécues ». Tout en se rappelant ces évènements, Conor mentionne à quel point il ne veut pas écrire sur ceux-ci (Ness, 2012: 33-37). On constate dès lors une incapacité, ou à tout le moins une réticence à nommer les affects et leurs déclencheurs. On peut supposer qu’écrire sur les motifs de notre douleur ne peut que faire remonter celles-ci à la surface et raviver la meurtrissure, et cela est d’autant plus vrai lorsque nous sommes au cœur de l’action, à l’instar du jeune protagoniste.

Or donc, la nuit suivante, le monstre se présenta de nouveau dans la cour derrière la maison de Conor. Le monstre s’offusqua quand il se fit interroger sur « ce qu’il [était] ». La question aurait dû être « qui il [était] », car le monstre affirme être « quelqu’un » (Ness, 2012: 41), puis il se décrit en ces mots :

Je suis l’échine où s’accrochent les montagnes ! Je suis les larmes que pleurent les rivières ! Je suis les poumons qui soufflent le vent ! Je suis le loup qui tue le cerf, le faucon qui tue la souris, l’araignée qui tue la mouche ! Je suis le cerf, la souris et la mouche qui sont mangés ! Je suis le serpent du monde qui dévore sa queue ! Je suis tout ce qui est sauvage et indomptable ! […] Je suis cette terre sauvage venue te chercher, Conor O’Malley (Ness, 2012: 44).

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