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Roman Jakobson

Étude de cas : Roman Jakobson. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  12 Janvier 2013  •  Étude de cas  •  2 382 Mots (10 Pages)  •  620 Vues

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Roman JAKOBSON

[…] Le DESTI¬NATEUR envoie un message au DESTINATAIRE. Pour être opérant, le message requiert d’abord un contexte auquel il renvoie (c’est ce qu’on appelle aussi, dans une terminologie quel¬que peu ambiguë, le « référent »), contexte saisissable par le desti¬nataire, et qui est, soit verbal, soit susceptible d’être verbalisé ; ensuite, le message requiert un CODE, commun, en tout ou au moins en partie, au destinateur et au destinataire (ou, en d’autres termes, à l’encodeur et au décodeur du message) ; enfin, le mes¬sage requiert un CONTACT, un canal physique et une conne¬xion psychologique entre le destinateur et le destinataire, con¬tact qui leur permet d’établir et de maintenir la communication. Ces différents facteurs inaliénables de la communication verbale peuvent être schématiquement représentés comme suit :

CONTEXTE

DESTINATEUR MESSAGE DESTINATAIRE.

CONTACT

CODE

Chacun de ces six facteurs donne naissance à une fonction linguistique différente. Disons tout de suite que, si nous distin¬guons ainsi six aspects fondamentaux dans le langage, il serait difficile de trouver des messages qui rempliraient seulement une seule fonction. La diversité des messages réside non dans le monopole de l’une ou l’autre fonction, mais dans les différences de hiérarchie entre celles-ci. La structure verbale d’un message dépend avant tout de la fonction prédominante. Mais, même si la visée du référent, l’orientation vers le CONTEXTE – bref la fonction dite « dénotative », « cognitive », REFERENTIELLE – est la tâche dominante de nombreux messages, la participation secondaire des autres fonctions à de tels messages doit être prise en considération par un linguiste attentif.

La fonction dite « expressive » ou émotive, centrée sur le destinateur, vise à une expression directe de l’attitude du sujet à l’égard de ce dont il parle. Elle tend à donner l’impression d’une certaine émotion, vraie ou feinte ; c’est pourquoi la déno¬mination de fonction « émotive », proposée par Marty s’est révélée préférable à celle de « fonction émotionnelle ». La couche purement émotive, dans la langue, est présentée par les inter¬jections. Celles-ci s’écartent des procédés du langage référentiel à la fois par leur configuration phonique (on y trouve des séquen¬ces phoniques particulières ou même des sons inhabituels par¬tout ailleurs) et par leur rôle syntaxique (une interjection n’est pas un élément de phrase, mais l’équivalent d’une phrase com¬plète). « Tt ! Tt ! dit McGinty » : l’énoncé complet, proféré par le personnage de Conan Doyle, consiste en deux clicks de succion. La fonction émotive, patente dans les interjections, colore à quelque degré tous nos propos, aux niveaux phonique, gram¬matical et lexical. Si on analyse le langage du point de vue de l’information qu’il véhicule, on n’a pas le droit de restreindre la notion d’information à l’aspect cognitif du langage. Un sujet, utilisant des éléments expressifs pour indiquer l’ironie ou le courroux, transmet visiblement une information, et il est certain que ce comportement verbal ne peut être assimilé à des activités non sémiotiques comme celle, nutritive, qu’évoquait, à titre de paradoxe, Chatman (« manger des pamplemousses . » La différence, en français, entre [si] et [si :], avec allongement empha¬tique de la voyelle, est un élément linguistique conventionnel, codé, tout autant que, en tchèque, la différence entre voyelles brèves et longues, dans des paires telles que [vi] « vous » et [vi :] « sait » ; mais, dans le cas de cette paire-ci, l’information diffé-rentielle est phonématique, tandis que dans la première paire elle est d’ordre émotif. Tant que nous ne nous intéressons aux invariants que sur le plan distinctif, /i/ et /i :/ en français ne sont pour nous que de simples variantes d’un seul phonème ; mais si nous nous occupons des unités expressives, la relation entre invariant et variantes se renverse : c’est la longueur et la briè¬veté qui sont les invariants, réalisés par des phonèmes variables. Supposer, avec Saporta , que les différences émotives sont des éléments non linguistiques, « attribuables à l’exécution du mes¬sage, non au message lui-même », c’est réduire arbitrairement la capacité informationnelle des messages.

Un ancien acteur du théâtre de Stanislavski à Moscou m’a raconté comment, quand il passa son audition, le fameux metteur en scène lui demanda de tirer quarante messages différents de l’expression Segodnja vecerom « ce soir », en variant les nuances expressives. Il fit une liste de quelque quarante situations émo¬tionnelles et émit ensuite l’expression en question en conformité avec chacune de ces situations, que son auditoire eut à recon¬naître uniquement à partir des changements dans la configura¬tion phonique de ces deux simples mots. Dans le cadre des recher¬ches que nous avons entreprises (sous les auspices de la Fondation Rockefeller) sur la description et l’analyse du russe courant con¬temporain, nous avons demandé à cet acteur de répéter l’épreuve de Stanislavski. Il nota par écrit environ cinquante situations impliquant toutes cette même phrase elliptique et enregistra sur disque les cinquante messages correspondants. La plupart des messages furent décodés correctement et dans le détail par des auditeurs d’origine moscovite. J’ajouterai qu’il est facile de soumettre tous les procédés émotifs de ce genre à une analyse linguistique.

L’orientation vers le DESTINATAIRE, la fonction CONATIVE, trouve son expression grammaticale la plus pure dans le vocatif et l’impératif, qui, du point de vue syntaxique, morphologique, et souvent même phonologique, s’écartent des autres catégories nominales et verbales. Les phrases impératives diffèrent sur un point fondamental des phrases déclaratives : celles-ci peuvent et celles-là ne peuvent pas être soumises à une épreuve de vérité. Quand, dans la pièce d’O’Neill, La Fontaine, Nano « (sur un violent ton de commandement) » dit « Buvez ! », l’impératif ne peut pas provoquer la question « est-ce vrai ou n’est-ce pas vrai ? », qui peut toutefois parfaitement se poser après des phrases telles que : « on buvait », « on boira », « on boirait ». De plus, con¬trairement aux phrases à l’impératif, les phrases déclaratives peuvent être converties en phrases interrogatives : « buvait-on ? », « boira-t-on ? », « boirait-on ? »

Le modèle traditionnel du langage, tel qu’il a été

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