Rhinocéros, Eugène Ionesco

Le 20e siècle a été marqué par la Seconde Guerre mondiale suite à la montée fulgurante du nazisme. Cet évènement a redéfini la face du monde et a permis au peuple européen d’avoir une remise une question de l’humanisme et des valeurs conservatrices. D’ailleurs, cela a provoqué l’apparition de deux nouveaux courants, c’est-à-dire l’existentialisme et le théâtre absurde, dans lesquels on relate les problématiques des conditions humaines. Eugène Ionesco, écrivain et dramaturge de cette époque, n’hésite pas à exposer l’absurdité de la vie du peuple de ces années à travers ses pièces de théâtre. Il conteste et dénonce ce que subit l’homme suite à l’invasion de son pays d’origine, la Roumanie, par l’idéologie nazie qu’il transpose dans Rhinocéros, une pièce parue en 1959, qui détaille l’affolement des habitants d’une petite ville aux prises avec des transformations d’humains en rhinocéros. Cette pièce se retrouve à être une représentation vigoureuse et dangereuse du phénomène de la massification. Il sera possible de constater que l’auteur y expose, de façon implicite et suggestive, sa propre vision absurde de l’homme au travers une mise à scène et un développement des personnages s’éloignant de façon marquée du théâtre traditionnel.

La composition scénique décrite par Ionesco est très caractéristique de l’absurde. D’abord, l’utilisation de l’image du rhinocéros comme élément central de l’intrigue témoigne de ce désir qu’a l’auteur de mettre en relief l’insouciance de l’homme en lui attribuant les caractéristiques d’une bête brutale et pauvre en raisonnement logique. Cet animal, qui s’avère à être le synonyme de fléau dans la pièce, est également le reflet de l’abrutissement de l’homme à travers ses idéologies et conceptions de masse. Ensuite, l’auteur cherche, en disloquant le langage, à illustrer le phénomène de massification, et ce, à travers des commentaires comiques des personnages concernant le premier passage d’un rhinocéros où on peut y lire : Jean : « Oh! Un rhinocéros! » […] « La serveuse : « Oh! Un rhinocéros! » […] L’épicier : « Oh! Un rhinocéros! » (p.42). Cette répétition a été mise en place par l’auteur afin de faire perdre le sens des conversations, en plus de montrer que les personnages sont interchangeables. En effet, ces derniers se retrouvent au sein d’une même situation et tous sont entraînés par un même raisonnement, comme le ferait un animal au gré du troupeau. Somme toute, en utilisant l’animal pour faire référence aux capacités intellectuel des êtres humains et en utilisant un procédé d’écriture non traditionnel, qui tend à produire un effet d’harmonie et à traduire la voix d’une conscience collective, on dénote bien clairement le phénomène de masse et la suppression de l’identité humaine.

Cette perte d’humanisme peut également être considérée dans les personnages de la pièce d’Ionesco. En fait, la personnification limitée de ces derniers permet encore une fois de démontrer le phénomène de massification. Ceux-ci sont nommés selon une certaine extension de leur personnalité ou encore de leur occupation, comme M. Bœuf ou M. Logique. En omettant volontairement de nommer les personnes selon la forme complète, cela vient confirmer l’absence des principes individualistes. Aussi, il est possible de constater que les personnages sont dirigés par une seule et même pensée totalitaire. À travers cette pièce de théâtre, on peut y lire : « Après tout, les rhinocéros sont des créatures comme nous, qui ont le droit à la vie au même titre que nous! » (p. 104) Cette phrase, mentionnée par Jean, prouve qu’il devient peu à peu victime de l’épidémie en affichant une attitude simpliste et dépourvue de réflexion, sachant qu’au début de l’histoire, il s’avérait comme étant un être moralisateur et cultivé. Bref, Eugène Ionesco réussit à mettre à profit un environnement propice au conformisme et montre que les personnages sont similaires et facilement assimilables, éléments pouvant menés au phénomène de massification.

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