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Philippe Jaccottet L'Effraie

Mémoire : Philippe Jaccottet L'Effraie. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  26 Novembre 2014  •  2 307 Mots (10 Pages)  •  1 474 Vues

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Philippe Jaccottet L’Effraie(14 poèmes)

1

La nuit est une grande cité endormie

où le vent souffle... Il est venu de loin jusqu'à

l’asile de ce lit. C'est la minuit de juin.

Tu dors, on m'a mené sur ces bords infinis,

le vent secoue le noisetier. Vient cet appel

qui se rapproche et se retire, on jurerait

une lueur fuyant à travers bois, ou bien

les ombres qui tournoient, dit-on, dans les enfers.

(Cet appel dans la nuit d'été, combien de choses

j’en pourrais dire, et de tes yeux...) Mais ce n'est que

l’oiseau nommé l'effraie, qui nous appelle au fond

de ces bois de banlieue. Et déjà notre odeur

est celle de la pourriture au petit jour,

déjà sous notre peau si chaude perce l'os,

tandis que sombrent les étoiles au coin des rues.

2

Tu es ici, loiseau du vent tournoie,

toi ma douceur, ma blessure, mon bien.

De vieilles tours de lumière se noient

et la tendresse entr'ouvre ses chemins.

La terre est maintenant notre patrie.

Nous avançons entre l'herbe et les eaux,

de ce lavoir où nos baisers scintillent

à cet espace où foudroiera la faux.

« Où sommes-nous ? » Perdus dans le coeur de

la paix. Ici, plus rien ne parle que,

sous notre peau, sous l'écorce et la boue,

avec sa force de taureau, le sang

fuyant qui nous emmêle, et nous secoue

comme ces cloches mûres sur les champs.

3

Comme je suis un étranger dans notre vie,

je ne parle qu’à toi avec d’étranges mots

parce que tu seras peut-être ma partie

mon printemps, nid de paille et de pluie aux rameaux,

Ma ruche d'eau qui tremble à la pointe du jour,

ma naissante Douceur-dans-la-nuit... (Mais c'est l'heure

que les corps heureux s’enfouissent dans leur amour

avec des cris de joie, et une fille pleure

dans la cour froide. Et toi ? Tu n’es pas dans la ville,

tu ne marches pas à la rencontre des nuits,

c’est l’heure où seul avec ces paroles faciles

je me souviens d’une bouche réelle…) Ô fruits

murs, source des chemins dorés, jardins de lierre,

je ne parle qu’à toi, mon absente, ma terre.

4

Je sais maintenant que je ne possède rien

pas même ce bel or qui est feuilles pourries

Encore moins ces jours volant d'hier à demain

à grands coups d'ailes vers une heureuse patrie

Elle fut avec eux, l'émigrante fanée

la beauté faible, avec ses secrets décevants

vêtue de brume. On l'aura sans doute emmenée

ailleurs, par ces forêts pluvieuses. Comme avant

je me retrouve au seuil d'un hiver irréel

où chante le bouvreuil obstiné, seul appel

qui ne cesse pas, comme le lierre. Mais qui peut dire

quel est son sens? Je vois ma santé se réduire

pareille à ce feu bref au-devant du brouillard

qu'un vent glacial avive, efface. Il se fait tard.

5

Comme un homme qui se plairait dans la tristesse

plutôt que de changer de ville ou bien d’errer,

je m’entête à fouiller ces décombres, ces caisses,

ces gravats sous lesquels le corps est enterré

que formèrent nos corps quand ils étaient serrés

sur un lit de passage avec des cris de liesse.

(C’est dans ce temps que notre ciel s’est éclairé,

d’un astre sombre, et que j’eus bientôt mis en pièces...)

Ah ! lâcher pour de bon ferraille, plâtre et planches !

Non, comme un chien je flaire un parfum répandu

et gratte si profond qu’enfin j’aurai mon dû :

de tomber à mon tour en poussière bien blanche

et de n’être plus rien qu’ossements vermoulus

pour avoir trop cherché ce que j’avais perdu.

6

Sois tranquille, cela viendra ! Tu te rapproches,

tu brûles ! Car le mot qui sera à la fin

du poème, plus que le premier sera proche

de ta mort, qui ne s’arrête pas en chemin.

Ne crois pas qu’elle aille s’endormir sous des branches

ou reprendre souffle pendant que tu écris.

Même quand tu bois à la bouche qui étanche

la

...

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