LaDissertation.com - Dissertations, fiches de lectures, exemples du BAC
Recherche

Mémoires romanes

Thèse : Mémoires romanes. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  15 Juin 2013  •  Thèse  •  6 653 Mots (27 Pages)  •  700 Vues

Page 1 sur 27

3. Le roman-mémoires

Le roman-mémoires a pour ancêtres directs les « pseudo-mémoires », selon l’expression de René Démoris 744 , qu’on peut aussi appeler faux mémoires, mémoires imaginaires, ou encore mémoires apocryphes, et les mémoires authentiques, qui existaient depuis le Moyen Âge – avec des auteurs comme Villehardouin ou Joinville, par exemple. Dans les pseudo-mémoires un auteur retrace, à la première personne, la vie d’une personnalité historique ayant réellement existé. La formule a été inventée par Courtilz de Sandras, dont la première œuvre de ce type fut les Mémoires de M.L.C.D.R. 745 . D’autres œuvres suivront, par exemple les Mémoires de M. d’Artagnan 746 , les Mémoires de M. de B*** 747 , ou encore les Mémoires de la vie du comte de Gramont de Hamilton 748 , pour ne citer que les plus célèbres. René Démoris situe l’« épicentre » de la vogue de ce genre vers 1700 749 . En ce qui concerne les mémoires authentiques, Georges May remarque :

‘[…] entre 1717 et 1731 avaient été livrés pour la première fois au public certains des plus remarquables mémoires du siècle précédent, dont l’intérêt et la valeur ne pouvaient manquer d’accroître la vogue d’une forme narrative déjà populaire en 1715, comme en témoigne le succès de certains des mémoires apocryphes de Courtilz de Sandras parus à la fin du XVIIe et au début du XVIIIe siècle, et les Mémoires du comte de Gramont parus en 1713. Coup sur coup paraissent, en effet, les mémoires de Retz (1717), de Brienne (1717), de Pontchartrain (1720), d’Henriette d’Angleterre (1720, dus à la plume de Mme de Lafayette), de Mme de Motteville (1723), de Gourville (1724), de Montglat (1727), de Lenet (1729), de Mlle de Montpensier (1729), de Mme de Lafayette (1729), etc. 750 ’

La distinction entre pseudo-mémoires et mémoires authentiques est rendue d’autant plus difficile que certains de ces derniers furent écrits non par la personnalité désireuse de publier sa vie, mais par un auteur commandité pour cela, comme on peut le constater avec les mémoires d’Henriette d’Angleterre rédigés par Mme de Lafayette. Micheline Cuénin signale également que c’est Gomberville qui a en partie rédigé les mémoires du duc de Nevers et Segrais ceux du duc de Choiseul 751 . C’est dans cet environnement propice à la forme autobiographique que naît le roman-mémoires, ou mémoires d’un personnage fictif. Comme l’écrit Georges May :

‘À l’époque envisagée ici, et qui s’étend à peu près de 1660 à 1730, nous allons voir qu’une nouvelle fusion de l’histoire et du roman se produisit, non plus dans l’épopée, mais dans les formes littéraires les plus familières et les plus personnelles du genre historique : la biographie et la chronique, et, plus particulièrement, l’autobiographie, ou plutôt les mémoires, sortis eux-mêmes des anciennes chroniques. À partir des mémoires authentiques, tels ceux, par exemple, de Commynes ou de La Rochefoucauld, on passe sans solution de continuité aux mémoires apocryphes ou pseudo-historiques d’un Courtilz de Sandras ou d’un Hamilton, puis au roman-mémoires, par exemple à Gil Blas, qui commence à paraître en 1715. Cette évolution est essentielle dans l’histoire du roman français. 752 ’

Mais le véritable créateur du genre est moins Lesage, dont le Gil Blas fort composite a subi des influences multiples, que l’abbé Prévost, comme le montre Jean Sgard dans son ouvrage Prévost romancier 753 . À partir des Mémoires et aventures d’un homme de qualité qui s’est retiré du monde 754 , le roman-mémoires va connaître une véritable mode, comme en témoignent les statistiques : selon Silas P. Jones, sur les neuf cent quarante-six œuvres qu’il a répertoriées dans la première partie du siècle, au moins cent vingt portent le terme « mémoires » dans leur titre ou leur sous-titre 755 . Jean Sgard précise qu’« une quinzaine d’entre eux seulement sont antérieurs à 1728, et [que] la multitude de ceux qui viennent ensuite devront quelque chose à Prévost » 756 . Sur le plan qualitatif, Georges May fait remarquer que « tous les romans, ou presque, de l’époque [étudiée par S. P. Jones], qui devaient être retenus par la postérité, sont écrits dans cette forme » 757 . Le grand succès de la formule est attesté par l’avis d’un journaliste anglais, Tatler, qui, le 22 octobre 1709, écrivait : « J’appelle l’attention de tous les libraires et traducteurs et de tous ceux qui pourraient être intéressés que le mot ‘mémoire’ signifie, en français, ‘roman’ » 758 . On voit que l’intention des romanciers de camoufler leurs ouvrages était bel et bien débusquée – et jusqu’en Angleterre ! – mais outre que l’intention demeure et qu’il faut l’étudier comme telle, on peut penser au moins qu’elle jetait un doute sur la vraie nature des textes, et aussi que, même si certains lecteurs étaient convaincus de s’être procuré un texte de fiction, une fois qu’ils en avaient commencé la lecture, cette prévention tombait, commençant à laisser place à la « suspension de l’incrédulité » qui ferait les beaux jours de la fiction moderne 759 .

Un des changements les plus importants introduit dans le roman par cette imitation des mémoires est l’option pour la première personne au détriment de la troisième. Même si, avant le roman-mémoires, il existe des exemples de narration à la première personne, celle-ci apparaît presque toujours dans des récits intercalés et n’a pas pour référent le narrateur principal – on a vu que chez Mme de Tencin elle-même on avait des exemples de ce type dans Le Siège de Calais et dans les Anecdotes de la Cour et du Règne d’Édouard II, Roi d’Angleterre 760 , qui, s’ils indiquent la prédilection de l’auteur pour la confidence autobiographique, ne sauraient avoir le même statut que le roman-mémoires. La différence est en effet sensible et participe de l’illusion du vrai à laquelle vise le roman travesti en document authentique.

Anna Jaubert souligne que ce qui est à l’origine de l’écriture pseudo-autobiographique, c’est la perception que la vérité ne se trouve pas dans l’énoncé, mais dans l’énonciation, donc, en particulier, dans les personnes et les temps verbaux :

‘[…] s’agissant de la parole comme acte, la vérité n’est pas dans les énoncés, mais dans les leur mise en rapport avec une référence, c’est-à-dire dans le fait d’une certaine énonciation. Or l’énonciation au passé simple élude toute information sur l’authenticité ou la fiction du récit, puisque les événements se racontent d’eux-mêmes ; mais, réciproquement une vie passée au filtre du récit arbore une étoffe substantielle, et un air d’objectivité,

...

Télécharger au format  txt (42.2 Kb)   pdf (346.2 Kb)   docx (25.7 Kb)  
Voir 26 pages de plus »
Uniquement disponible sur LaDissertation.com