Meursault, héros Ou Anti-héros ?

Meursault, héros ou anti-héros ?

L’Etranger doit être lu comme le symptôme de la crise morale que traversait la Nation, l’un des signes du défaitisme : Meursault incarne cet « esprit de jouissance » qui avait conduit la France à sa perte1. Ce type de héros est inhabituel dans le paysage romanesque français. Meursault déroute. Indifférent à tout et surtout à sa propre réussite, il n’a pas de force de caractère, d’ambition (cf héros de Balzac ou de Stendhal). Modeste employé de bureau, il est presque vide de substance sociale qui donne leur sens aux figures inventées par Zola. Privé de toute culture, imperméable à toute forme de tourment. Il ignore ce face-à-face sordide ou héroïque avec l’Histoire qui fait la grandeur tragique de La Condition humaine et du Voyage au bout de la nuit. Tous les sentiments ordinaires de la nature humaine (amour, ambition, dévotion filiale) n’existent pas chez Meursault : insensible à la mort de sa mère, indifférent aux propositions de promotion ou devant les perspectives de son mariage. Toute analyse du personnage s’avoue vouée à l’échec. Meursault reste opaque, ambigu, « bizarre ». Son signe distinctif : néant. Il ressemblerait à ces anti-héros des romans contemporains : personnages à l’identité fuyante dont il n’est possible de proposer qu’une définition négative : Joseph K de Kafka, HCE de Joyce, Frédéric Moreau de Flaubert.

Ce portrait n’est pourtant pas satisfaisant.

Pour Camus, Meursault n’est pas une épave mais « un homme pauvre et nu, amoureux du soleil qui ne laisse pas d’ombres ». Cette pauvreté et cette nudité, c’est une forme originale de présence à soi-même et au monde, il n’est pas privé de sensibilité ni de morale.

C’est un individu qui semble avoir choisi de vivre de sensations plutôt que de sentiments (plaisir du corps mais incapable de ressentir de l’amour). Meursault est un être essentiellement physique, être de plaisir : la mer, le soleil et la plage lui procure son énergie et son identité.

Etranger au monde des conventions sociales et des sentiments affectés (créature dégradée et « monstre moral » aux yeux des juges), il est paradoxalement chez lui dans l’univers naturel que compose le paysage d’Alger.

Au procès, tous les témoins à décharge affirmeront que Meursault est « un homme », « un honnête homme », « un brave homme », droit, mesuré, compatissant qui, sans rien demander en échange, offre son amitié et ses services à Raymond, sa sympathie et son attention à Salamano.

Il n’appartient pas au monde sur lequel se penche d’ordinaire le roman psychologique.

Meursault a une densité romanesque irréductible. Loin d’être transparent, il a un caractère affirmé, incontestable, et une individualité hors du commun qui fait de lui un être qui n’appartient pas au monde réel, mais bien à un univers romanesque. Doté d’un caractère intransigeant, il a un destin exemplaire. Meursault est donc un type littéraire : l’Algérois. Figure exemplaire de l’étranger, du paria. Il est l’héritier du personnage du roman classique qui s’épanouit au XIXe siècle, et n’est pas le précurseur du Nouveau Roman. Son destin singulier et exemplaire évoque celui des grands personnages de romans du XIXe siècle, vivant

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