Littérature et altérité
Analyse sectorielle : Littérature et altérité. Recherche parmi 298 000+ dissertationsPar Harneur • 30 Janvier 2015 • Analyse sectorielle • 10 234 Mots (41 Pages) • 615 Vues
Littérature et altérité
Penser l'autre
Pour W.
Introduction : les nouveaux horizons de la littérature, rencontrer l'autre
La question de l'Autre se pose d'une façon intense et spécifique à la découverte du
Nouveau Monde (1492) qui marque le début de l'ère moderne et engendre une nouvelle
mentalité1
. La rencontre de deux civilisations pose le problème de l'attitude envers
l'inconnu, l'étrange, l'autre. L'époque résume ce conflit dans l'opposition des termes,
supériorité/infériorité, humanité/animalité, civilisation/sauvagerie. La première des
tentations de l'Europe fut de convertir ces nouveaux représentants du genre humain : il
fallait qu'ils soient chrétiens pour être considérés comme des hommes. 1492 est aussi
l'année de l'expulsion des Juifs du royaume d'Espagne et des conversions forcées. Tout
ceci indique une incapacité à penser la différence. Mais avec la découverte du Nouveau
Monde, des questions se posent aussi : puisque des gens si différents existent, qui ont
d'autres dieux, est-ce que notre culture européenne est parfaitement juste, nos croyances
parfaitement vraies ? Apparaît alors le mythe du « bon sauvage » qui met en question la
société française et européenne.
Dès 1580, Montaigne, citoyen du monde (II, 26), dans la première édition des Essais,
1
1492 est le point de départ de notre réflexion mais on s'intéressera plus particulièrement à la période du
XVIIIème
au XXème
siècle. Pour le moyen âge, voir Jurgis Baltrusaitis, Le Moyen âge fantastique,
Champs, Flammarion, Paris 1993, et pour le XVIème
siècle, la thèse de Klára Csûrös, Variétés et
vicissitudes du genre épique. De Ronsard à Voltaire. (à paraître chez Champion, Paris), qui analyse le
changement qui s'est opéré dans les mentalités à l’époque de La Renaissance (faisant référence au
livre de Michel de Magnon, La Science Universelle en vers héroïques 1663), entre autres, par les
découvertes géographiques. Klára Csûrös pense qu'au XVIème
siècle, il n’y a ni refus, ni volonté
d’assimilation, elle rappelle que le livre du dominicain Bartolomé De Las Casas, Bref récit de la
destruction des Indes 1542, fut traduit en français dès 1582. Enfin elle souligne que la découverte de
l'autre conduit à remettre en question les anciennes convictions et à relativiser le système des valeurs.
Revue d’Études Françaises ¾ 1/1996
rassemble ses réflexions sur la découverte du « nouveau monde » dans le chapitre Des
Cannibales.
Il dépeint les Amérindiens, par rapport au système de références qui est le sien, le
système européen. Les « sauvages » sont ainsi présentés par une série de propositions
négatives : chez eux « il n'y a aucune espèce de trafic ; nulle connaissance de lettres ;
nulle science de nombres, nul nom de magistrat... »
Ces négations ne sont pas privatives: il s'agit de reconnaître l'Autre dans sa
différence. L'Autre est d'abord quelqu'un qui n'est pas Moi. Les Indiens ne sont pas ce
que nous sommes, nous ne sommes pas ce qu'ils sont.
Le propos de Montaigne, alternant description « ethnologique » et discussion
philosophique, s'organise autour de l'opposition civilisation/sauvagerie et établit la
supériorité de la vie sauvage sur la vie civilisée.
Il s'appuie sur la référence à la nature, considérée comme règle de vie. Dans le texte,
Des Coches III, 6, Montaigne dénonce les crimes inspirés par l'appétit de richesses du
Nouveau Monde :
« Tant de villes rasées, tant de nations exterminées, tant de millions de peuples
passés au fil de l'épée, et la plus riche et belle partie du monde bouleversée pour la
négociation des perles et du poivre! »
Montaigne estime que le Nouveau Monde a connu de brillantes civilisations
(Mexique, Pérou) qui ont impressionné le conquérant européen. Est-il un primitif ou un
civilisé ? Au lieu de trancher, il fait intervenir la notion de colonisation, c'est-à-dire la
relation qui s'est établie entre Européens et Américains.
Il ouvre ainsi une réflexion sur le phénomène colonial, qu'il dénonce, et imagine que
la rencontre des deux mondes aurait pu avoir une forme différente.
Accepter l'altérité de l'étranger, la diversité de ses usages implique que l'on
s'abstienne de juger les différences en termes
...