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Les animaux denatures, un recit dans la longue lignee de la tradition litteraire

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Par   •  16 Mars 2013  •  1 653 Mots (7 Pages)  •  1 086 Vues

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I LES ANIMAUX DENATURES, UN RECIT DANS LA LONGUE LIGNEE DE LA TRADITION LITTERAIRE

1) La figure de l’altérité

Des Essais à Cannibale

Les tropis, certes inventés par Vercors, trouvent leur place dans une réflexion amorcée depuis le XVIème siècle au moment de la découverte de nouveaux mondes. Les voyages dans ces contrées lointaines, racontés dans des récits célèbres comme Histoire d’un voyage en terre de Brésil de Jean de Léry, sont l’occasion de la rencontre entre le monde occidental et des peuplades qui sont appelées « primitives », « sauvages » ou encore « barbares » par les colonisateurs. Ainsi Montaigne y consacre deux célèbres chapitres de ses Essais, « Des Coches » et « Des Cannibales ». Sa discussion avec trois cannibales à Rouen l’amène à s’interroger : sont-ils plus barbares que nous ? Nos coutumes sont-elles civilisées comme nous le prétendons ? Et quelle conduite tenir à leur égard ? Montaigne donne une vision positive de ceux que nous nommons trop rapidement « sauvages » grâce à un portrait moral et intellectuel élogieux, qui forme une parfaite antithèse avec celui des colonisateurs vils, violents et cruels. Ces peuples purs et innocents vivent en harmonie entre eux, avec simplicité, franchise et sagesse. Ce « monde enfant » préfigure un mythe idyllique du XVIIIème siècle : celui du « bon sauvage » dont parlent notamment Diderot dans son Supplément au voyage de Bougainville, Voltaire avec ses personnages faussement naïfs- tel le Huron - qui jugent la société occidentale pervertie ou Rousseau et son Discours sur l’origine des inégalités entre les hommes, lieu d’une réflexion sur l’homme originellement bon dans la Nature et perverti par la Civilisation .

Ce mythe idéalisé présente hommes et Nature en osmose. Aucune contrainte, tant sociale que politique, ne dirige leur vie et leur morale naturelle n’est pas subordonnée à l’idée de religion. Leur liberté, leur ignorance de la corruption et leur respect pour autrui font l’admiration des philosophes des Lumières.

Ce débat offre une belle leçon de relativisme et appelle à la tolérance. « Nous appelons [en effet] barbares ce qui n’est pas de notre usage ». Ces peuplades, aux mœurs différentes des nôtres, ne doivent pas être jugées inférieures pour autant. La valeur que l’on donne à leur mode d’existence est purement subjective et donc dangereuse. Elle pousse à la volonté farouche de domination (par les armes et par la conversion forcée) et au colonialisme européen dont Montaigne dénonçait déjà les premiers effets en son temps. Le XXème siècle n’est pas exempt de ce débat. En 1931 l’Exposition coloniale attire par sa présentation des indigènes, notamment les Kanaks. Didier Daeninckx, en 1998, relate cet épisode honteux dans Cannibale. Mais ce n’est pas seulement de nos jours que cette atteinte à la dignité humaine avait été dénoncée. En effet, en mai 1931, les Surréalistes distribuaient un tract en ce sens.

Si vous souhaitez lire ce tract (PDF), cliquez sur ce lien.

Le cas des tropis

L’expédition de savants, qui souhaitent ardemment étudier ces fossiles vivants, tisse les premiers véritables liens avec les tropis les moins farouches :

« Capturer n’est pas le mot propre. Nous les avons attirés et séduits. Attirés avec du jambon, séduits avec la radio ».

Cette trentaine d’individus abdiquent volontiers leur liberté pour vivre heureux dans la « réserve » que les scientifiques leur ont construite afin de pouvoir les observer et leur apprendre quelques techniques qu’ils réussissent plus ou moins à imiter, comme allumer du feu avec des allumettes. Leur rapport se situe sur le plan de maître à animal domestiqué. Ces tropis ressemblent donc davantage à de grands singes évolués qu’à des hommes. La société marchande, en la personne de Vandruysen, décèle son intérêt économique dans la découverte de ces « animaux » si dociles. Même s’il ne s’agit plus du sucre comme dans Candide mais de la laine, on pourrait donc asservir une communauté à la vie exemplaire et la dominer. Cette confrontation permet à Vercors d’épingler ironiquement la société capitaliste pervertie et dévoyée.

Pourtant, à côté de ces premiers tropis apparaît rapidement une deuxième catégorie : un « vieux tropi, tout seul » vient visiter le camp, d’une démarche paisible, lente et altière. Sa venue est on ne peut plus pacifique :

« Simplement il vit le tropi prendre de la main gauche le coup-de-poing qu’il avait dû, tout ce temps-là, tenir dissimulé dans la main droite, et lentement se passer celle-ci sur sa poitrine velue, dans un geste de douceur pacifique ».

Ce tropi, d’une sagesse exemplaire et d’une « noblesse tranquille », est décrit avec « l’allure flâneuse, un peu distante, d’un visiteur à l’Exposition ».

Vercors s’amuse ainsi à renverser ironiquement les valeurs : les bêtes que l’on vient voir, ce sont les scientifiques ! Cette deuxième catégorie de tropis semble donc accréditer la thèse de leur humanité. Comme

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