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Suffit-il De Se Souvenir Pour écrire Un récit Autobiographique ?

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Par   •  13 Novembre 2012  •  3 287 Mots (14 Pages)  •  2 306 Vues

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Suffit-il de se souvenir pour écrire un récit autobiographique ?

A — François René de Chateaubriand [1768-1848], Mémoires d’outre-tombe, livre premier, chapitre III (manuscrit de 1847).

B — Jean-Jacques Rousseau [1712-1778], Les Confessions, livre premier, 1771.

C — Georges Perec, [1936-1982], W ou le Souvenir d’enfance, © Denoël, 1975.

D — Nathalie Sarraute [1900-1999], Enfance, © Éditions Gallimard, 1995.

Texte A — François René de Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe

[Le chapitre III du livre premier est daté par l’auteur du 31 décembre 1811.]

La maison qu’habitaient alors mes parents est située dans une rue sombre et étroite de Saint Malo, appelée la rue des Juifs : cette maison est aujourd’hui transformée en auberge. La chambre où ma mère accoucha domine une partie déserte des murs de la ville, et à travers les fenêtres de cette chambre on aperçoit une mer qui s’étend à perte de vue, en se brisant sur des écueils. J’eus pour parrain, comme on le voit dans mon extrait de baptême, mon frère, et pour marraine la comtesse de Plouër, fille du maréchal de Contades. J’étais presque mort quand je vins au jour. Le mugissement des vagues soulevées par une bourrasque annonçant l’équinoxe d’automne, empêchait d’entendre mes cris : on m’a souvent conté ces détails ; leur tristesse ne s’est jamais effacée de ma mémoire. Il n’y a pas de jour où, rêvant à ce que j’ai été, je ne revoie en pensée le rocher sur lequel je suis né, la chambre où ma mère m’infligea la vie, la tempête dont le bruit berça mon premier sommeil, le frère infortuné qui me donna un nom que j’ai presque toujours traîné dans le malheur. Le Ciel sembla réunir ces diverses circonstances pour placer dans mon berceau une image de mes destinées.

Texte B — Jean-Jacques Rousseau, Les Confessions

[Jean-Jacques Rousseau est âgé de dix ans quand il est mis en pension chez le pasteur Lambercier, à Bossey, près de Genève.]

Près de trente ans se sont passés depuis ma sortie de Bossey sans que je m’en sois rappelé le séjour d’une manière agréable par des souvenirs un peu liés, mais depuis qu’ayant passé l’âge mûr je décline vers la vieillesse, je sens que ces mêmes souvenirs renaissent tandis que les autres s’effacent, et se gravent dans ma mémoire avec des traits dont le charme et la force augmentent de jour en jour ; comme si, sentant déjà la vie qui s’échappe, je cherchais à la ressaisir par ses commencements. Les moindres faits de ce temps-là me plaisent par cela seul qu’ils sont de ce temps-là. Je me rappelle toutes les circonstances des lieux, des personnes, des heures. Je vois la servante ou le valet entrant dans la chambre, une hirondelle entrant par la fenêtre, une mouche se poser sur ma main, tandis que je récitais ma leçon : je vois tout l’arrangement de la chambre où nous étions ; le cabinet de M. Lambercier à main droite, une estampe représentant tous les papes, un baromètre, un grand calendrier; des framboisiers qui, d’un jardin fort élevé dans lequel la maison s’enfonçait sur le derrière, venaient ombrager la fenêtre, et passaient quelquefois jusqu’en dedans. Je sais bien que le lecteur n’a pas grand besoin de savoir tout cela ; mais j’ai besoin, moi, de le lui dire. Que n’osé-je lui raconter de même toutes les petites anecdotes de cet heureux âge, qui me font encore tressaillir d’aise quand je me les rappelle. Cinq ou six surtout… composons. Je vous fais grâce des cinq, mais j’en veux une seule ; pourvu qu’on me la laisse conter le plus longuement qu’il me sera possible, pour prolonger mon plaisir.

Texte C — Georges Perec, W ou le Souvenir d’enfance

J’ai trois souvenirs d’école.

Le premier est le plus flou : c’est dans la cave de l’école. Nous nous bousculons. On nous fait essayer des masques à gaz ; les gros yeux de mica, le truc qui pendouille par-devant, l’odeur écœurante du caoutchouc.

Le second est le plus tenace : je dévale en courant — ce n’est pas exactement en courant : à chaque enjambée, je saute une fois sur le pied qui vient de se poser ; c’est une façon de courir à mi-chemin de la course proprement dite et du saut à cloche-pied très fréquente chez les enfants, mais je ne lui connais pas de dénomination particulière —, je dévale donc la rue des Couronnes, tenant à bout de bras un dessin que j’ai fait à l’école (une peinture même) et qui représente un ours brun sur fond ocre. Je suis ivre de joie. Je crie de toutes mes forces : « Les oursons ! Les oursons ! »

Le troisième est, apparemment, le plus organisé. À l’école on nous donnait des bons points. C’étaient des petits carrés de carton jaunes ou rouges sur lesquels il y avait d’écrit : 1 point, encadré d’une guirlande. Quand on avait eu un certain nombre de bons points dans la semaine, on avait droit à une médaille. J’avais envie d’avoir une médaille et un jour je l’obtins. La maîtresse l’agrafa sur mon tablier. À la sortie, dans l’escalier, il y eut une bousculade qui se répercuta de marche en marche et d’enfant en enfant. J’étais au milieu de l’escalier et je fis tomber une petite fille. La maîtresse crut que je l’avais fait exprès ; elle se précipita sur moi et, sans écouter mes protestations, m’arracha ma médaille.

Je me vois dévalant la rue des Couronnes en courant de cette façon particulière qu’ont les enfants de courir, mais je sens encore physiquement cette poussée dans le dos, cette preuve flagrante de l’injustice, et la sensation cénesthésique1 de ce déséquilibre imposé par les autres, venu d’au-dessus de moi et retombant sur moi, reste si fortement inscrite dans mon corps que je me demande si ce souvenir ne masque pas en fait son exact contraire : non pas le souvenir d’une médaille arrachée, mais celui d’une étoile épinglée2.

1 Sensation organique, due à une impression générale d’aise ou de malaise.

2 Allusion à l’étoile jaune que Georges Perec, qui était juif, dut porter pendant l’Occupation.

Texte D — Nathalie Sarraute, Enfance

[Enfance se présente comme un dialogue entre Nathalie Sarraute et elle-même.]

Exactement à gauche des marches qui montent vers la large allée conduisant

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