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Lecture Analytique Francion

Fiche de lecture : Lecture Analytique Francion. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  25 Mars 2015  •  Fiche de lecture  •  2 191 Mots (9 Pages)  •  514 Vues

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Pour conquérir Laurette, une jeune femme dont il convoite les charmes, Francion, le héros éponyme du roman de Sorel, L’Histoire comique de Francion, a mis au point une savante mystification. Elle a malheureusement tourné à son désavantage. Il se retrouve alors dans une auberge où il sympathise avec un gentilhomme, Raymond. Ce dernier va l’inviter chez lui, et dans le carrosse qui les mène à son château, Francion lui raconte l’étrange rêve qu’il a fait la nuit précédente : il s’est vu confronté à trois figures monstrueuses. Le défi lancé à la sagacité de Raymond – et du lecteur- est alors claire : quelle signification peut-on accorder à ces figures ? Notre étude nous amènera à étudier dans une premier temps comment Francion présente son rêve, de quelle habile façon il invite à en chercher le sens. Nous pourrons alors étudier la construction de ces figures monstrueuses et essayer d’en dégager une signification.

Le début de l’extrait peut être considéré comme la parfaite application d’un manuel de conversation. Si Francion et son interlocuteur, Raymond, sont bien des gentilshommes, c’est par leur langage qu’ils le signalent. Tous deux font en effet preuve de la même urbanité (« Monsieur, puisque votre bel esprit… » commence Francion, et Raymond de poursuivre : « Vous ne finirez jamais si vous attendez que je vous fisse taire… ») et le jeune homme prend bien garde, dès le début de son exorde, à préciser qu’il s’interdit d’ennuyer son interlocuteur, un des pires défauts dans l’art de la conversation mondaine au XVIIème siècle : « …s’il s’y trouve des fadaises qui vous ennuient, je le terminerai aussitôt… ». En outre, tous les deux partagent les mêmes références culturelles. Lorsque Francion évoque « Artimidore », il n’a pas besoin de donner plus de précisions, il sait que son interlocuteur partage la même culture et comprend la référence. Toutefois, pour éviter de paraître pédant – un autre défaut rédhibitoire ! – il emploie immédiatement après un mot familier « camus ». La conversation prend alors un tour naturel, avec un ton léger, adapté au sujet : des « rêveries ».

Après s’être assuré l’écoute bienveillante de Raymond, Francion peut évoquer son rêve.

Il commence par rapidement esquisser son état psychologique : « Je bâtissais des desseins incomparables, touchant mon amour et ma fortune, qui sont les deux tyrans qui persécutent ma vie ». De fait, un double malheur semble le frapper. Il poursuit de ses assiduités Laurette, la femme de Valentin, le « concierge » d’un château bourguignon – sans succès jusque-là ; et s’il est gentilhomme, il est le fils d’un noble ruiné. Quoi d’étonnant donc à ce qu’il songe aux moyens d’améliorer son état ! Mais l’expression « desseins incomparables » stigmatise déjà l’irréalité de ses projets.

De cette projection utopique, on passe alors très vite au monde des rêves. La structure même de la phrase épouse ce mouvement. La subordonnée de temps « comme j’étais en cette occupation… » renvoie encore au monde réel alors que la principale déclenche le basculement dans le rêve : « le sommeil me surprit sans que j’en sentisse rien… », un rêve qui se voit d’emblée placé sous le signe de l’hésitation : « Il me sembla… ». De fait, tout l’épisode se caractérise par son incertitude, les repères sont brouillés et l’interprétation se fait mal assurée : « croyant », « comme s’il m’eût voulu dire », « m’imaginai », « je ne sais de quelle sorte »… C’est cette perte de repères qui va donc imposer un effort d’interprétation, d’analyse… de Francion, mais aussi du lecteur.

Certes Francion dévalorise par avance son récit. Il s’agit tout au plus d’un divertissement, propre à faire passer le temps à un pair, comme en témoigne l’emploi du verbe « récréer ». On est bien là dans le cadre d’une conversation mondaine, et l’hyperbole « les plus extravagantes [rêveries] qui aient jamais été entendues » confirme le caractère futile de ce qui va être raconté. Et la réponse du gentilhomme – au début du moins - va dans le même sens. Grâce à une construction attributive, il établit que le rêve est nécessairement illogique et incohérent : « Encore que ce que vous avez songé soit sans raison et sans ordre… » Mais le tour restrictif (« encore que »), et la subordonnée de conséquence prouvent qu’on peut y mettre de l’ordre, qu’on peut trouver une logique au rêve malgré une apparence incohérente : « … si bien que j’en puisse trouver l’explication. » Notons la présence du déterminant défini : Raymond affirme clairement qu’il y a bien une vérité, et une seule, à tirer de cette expérience.

Les mises en garde initiales de Francion pourraient ainsi apparaître comme autant d’injonctions paradoxales à destination du lecteur. Il s’agirait en fait de l’inciter plus fortement encore à chercher un sens au rêve. Ainsi s’explique parfaitement la référence à Artimidore, auteur d’un ouvrage sur « L’interprétation des rêves ». Ainsi s’explique l’emploi inopiné du substitut « Le pèlerin » pour désigner Francion dans la phrase : « Je m’en vais vous contenter, dit le pèlerin, bien que je sois assuré qu’Artimidore même demeurerait camus en une chose si difficile ». Le pèlerin est en effet la fausse identité choisie par Francion pour mystifier le malheureux Valentin… Il s’agit bien pour le lecteur avisé d’une mise en garde : il ne faut pas prendre au sérieux ce qu’est en train de dire notre pèlerin, notre menteur donc. Le lecteur avisé… l’expression est juste si l’on songe à cette phrase de l’Avertissement au lecteur dans l’édition de 1623 : « La corruption de ce siècle où l’on empêche que la vérité soit ouvertement divulguée me contraint d’ailleurs à faire ceci, et à cacher mes principales répréhensions sous des songes qui sembleront sans doute pleins de niaiseries à des ignorants, qui ne pourront pas pénétrer jusqu’au fond ». On ne saurait être plus clair : le lecteur est fortement invité à chercher cette vérité.

Trois scènes, trois rencontres monstrueuses : un vieillard aux grandes oreilles, condamné au silence ; des langues vitupérant sur des arbres, un géant irascible… le rêve se poursuivant à la fin de l’extrait dans un univers complètement différent : « il advint que je me trouvai dans le ciel ». Une accumulation d’éléments hétéroclites donc qui justifierait l’appréciation péjorative initiale : « les rêveries les plus extravagantes ». Mais ce serait méconnaître la profonde cohérence des trois scènes : au mutisme du vieillard répond

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