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Le totalitarisme comme événement négatif

Fiche de lecture : Le totalitarisme comme événement négatif. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  7 Décembre 2013  •  Fiche de lecture  •  2 082 Mots (9 Pages)  •  604 Vues

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Les thèmes du livre :

Le totalitarisme comme événement négatif :

Le totalitarisme désigne, pour Arendt, un type de régime politique inédit apparu à l’ère moderne, destiné à organiser la vie des masses. A ce titre, ce totalitarisme est réfléchit comme un événement. Mais il n’est pas un événement de plus au sens où l’emploie l’historien pour désigner ce qui scande un pas supplémentaire dans le cours normalisé de l’histoire, il définit une sorte d’événement au carré, un événement d’un type nouveau, qui rompt avec tout autre type d’événement, et avec l’histoire elle-même comme séquence d’événements plus ou moins marquants. Le mot de crise est sans doute celui qui traduit le mieux le phénomène que veut désigner ici Hannah Arendt et à ce titre on peut avancer que le totalitarisme définit la crise globale de la civilisation occidentale. Il est donc une sorte de brèche dans l’histoire en général et dans l’histoire du politique en particulier, ce qui pourrait se traduire comme suit : le totalitarisme constitue une rupture radicale avec tous les régimes possibles ou ayant existé, et en particulier ceux qui peuvent en être rapprochés, qu’ils soient despotiques, tyranniques ou dictatoriaux.

Malgré tout ceci, Arendt tente d’élaborer une sorte d’essence du totalitaire : elle lui trouve une assise dans un certain type de société (la société de masse) et dans un certain type d’expérience humaine fondamentale (la désolation). Cette sociologie apparente est trompeuse : Arendt, dans le même temps qu’elle établit des caractères fondamentaux et élucide des règles de fonctionnement du totalitaire, travaille à rebours de la constitution d’un modèle positif, car l’événement totalitaire est purement négatif. Il détruit le politique, l’homme et le monde avec. Du côté de son inscription sociale, il est le produit de l’effondrement de la société de classes et du système des partis hérités du XIXe siècle, et il coïncide avec l’apparition d’une masse apolitique d’individus soumis à l’isolement et à l’atomisation, privés de toute appartenance. Mais ceci ne constitue pas cette société de classes en une sorte de modèle positif perdu. Elle portait au contraire en germes tous les éléments qui vont trouver leur assemblage dans le syndrome totalitaire : la populace, qui désigne pour Arendt le nombre croissant des individus maintenus en dehors du système d’identification et d’inscription sociale des classes et des partis, et dont le totalitarisme signera la revanche le jour où elle et ses valeurs prendront le pouvoir, la bourgeoisie et l’instrumentalisation croissante, à l’ère impérialiste, de la sphère publique au profit de l’intérêt privé, la corruption et l’hypocrisie comme marques signalétiques d’une société où les institutions sont de pures façades, l’individualisme raffiné de l’élite qui trouvera là l’occasion d’une étrange alliance avec la populace. L’Etat-nation et la société bourgeoise impérialiste portent donc en eux les linéaments de leur propre effondrement et désagrégation que le ciment nationaliste ne parviendra guère à retenir : le totalitarisme cristallisera ces éléments épars et leur donnera une forme achevée dans la société de masse. Celle-ci s’explicite, d’un point de vue sociologique, comme l’apparition, sur la scène publique, d’une populace restée jusque là dans l’ombre et à l’écart de la société de classes, rassemblant d’un même mouvement un bohême tel que Goebbels, un sadique tel que Streicher, un illuminé tel que Rosenberg, un fanatique à la Hitler ou un aventurier comme Goering. Reste qu’une fois au pouvoir, la populace prend un autre visage, plus « normal », sous la forme de cette masse amorphe et dépolitisée, dont Himmler est aux yeux d’Arendt un représentant beaucoup plus caractéristique, image parfaite de ces employés consciencieux et bons pères de famille, complices et acteurs du meurtre de masse.

La désolation comme expérience constitutive du totalitaire :

Cette « forme Masse » se constitue à travers la perte d’un monde commun et d’un espace public à partir duquel les hommes puissent vivre ensemble, mais aussi à travers le sentiment pour eux d’une radicale perte d’appartenance au monde qu’Arendt appelle désolation. La désolation est bien pour Arendt une sorte de sentiment que les philosophes existentialistes allemands appellent « stimmung », traductible par tonalité ou disposition, et qui désigne non pas une part de vécu affectif intérieure au sujet, mais un « tour » que prend toute chose dans le vécu du sujet, une manière qu’a le monde et la totalité des objets de se donner, de se présenter à nous, un sentiment donc, qui concerne la totalité du vécu des hommes et de la façon dont les choses leur apparaissent. Arendt reprend l’idée de Montesquieu selon laquelle chaque régime politique trouve son fondement dans un principe d’action : c’est l’honneur dans une monarchie, la vertu dans une république, la crainte dans une tyrannie. Là encore, la désolation ne peut être qu’un substitut de principe d’action en tant qu’elle ne désigne qu’une perte d’appartenance au monde des hommes, une sorte de déracinement radical s’accomplissant comme inutilité de l’homme. Ce déracinement produit par l’effondrement de la société de classes et de ses fonctions sociales prive les hommes d’un monde commun, mais aussi de la condition de pluralité constitutive de ce monde (pluralité de perspectives sur un même monde qui en atteste et reconduit l’existence). Il signifie pour les hommes non pas seulement l’isolement comme repli sur la sphère privée consécutif à la destruction de la sphère publique de la vie, mais l’expérience pour le moi d’une impossible coexistence avec lui-même, et, en définitive, la perte du moi lui-même, dès lors que la vie privée également se trouve détruite. Dans la désolation, le moi est privé de la possibilité, que suppose encore la solitude, d’un dialogue de soi avec soi, où l’autre se trouve représenté intérieurement, car la solitude présuppose la possibilité attestée de l’amitié, qui confirme ou infirme, avant ou après, un tel dialogue intérieur, et sauve le moi d’une incertitude fondamentale quant à sa réalité et celle de ses pensées. Michel Tournier illustra de manière exemplaire dans Vendredi ou la vie sauvage le risque que court Robinson d’une telle déréalisation du moi et du monde lorsqu’il se trouve privé d’autrui. Et Epictète déjà, nous rappelle Arendt, était parvenu à distinguer entre la solitude d’une part, où se maintient une forme de rapport à l’autre, et

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