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Le nègre de Surinam (commentaire)

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Par   •  9 Février 2019  •  Commentaire de texte  •  1 913 Mots (8 Pages)  •  2 953 Vues

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Candide, Voltaire, 1759 : Extrait du chapitre XIX « le nègre de Surinam »

  • Introduction :

        Voltaire, auteur du XVIIIe siècle, et philosophe des Lumières publie en 1759 un conte philosophique intitulé Candide. Cette oeuvre retrace le parcourt initiatique d’un jeune homme naïf qui découvre le monde et affronte de nombreuses épreuves qui le forment sur le plan philosophique. Dans cet extrait Candide fait la rencontre d’un esclave qui lui fait part de ses conditions de vie, marquées par la misère et la maltraitance. A travers ce dialogue fictif, le héros prend conscience de la réalité sordide de la traite négrière ce qui l’amène à remettre en question l’enseignement de son précepteur Pangloss, philosophe optimiste, selon lequel « tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes ». Nous nous demanderons donc en quoi ce passage, sous les dehors plaisants du conte, constitue en réalité une dénonciation virulente de l’esclavage. Pour ce faire, nous mettrons d’abord en avant l’usage d’une argumentation indirecte en analysant les éléments propres au genre du conte philosophique. Dans un second temps nous analyserons le caractère subversif et original de cette dénonciation qui mêle l’humour au pathos.

  1. Un conte philosophique

  1. Les éléments propres au conte
  • Le récit est narré à la troisième personne, contrairement à ce qui se passe dans le cadre d’une argumentation directe où l’auteur prend directement la parole sans passer par un narrateur. « Ils rencontrèrent un nègre étendu par terre (…) » (l.1). Voltaire choisit de mettre en scène des personnages au sein d’une fiction : Candide, son compagnon Cacambo et le « nègre » (l.1).
  • Les personnages sont saisis en mouvement comme en témoigne l’usage du gérondif « en approchant » (l.1) qui indique une action en train de se dérouler. Le découpage du passage nous fait donc entrer directement dans le périple des personnages. Celui-ci est marqué par une rencontre imprévue qui est l’élément déclencheur de la scène qui va suivre. On peut noter l’emploi du passé simple « ils rencontrèrent » (l.1) qui fait ressortir cet évènement de premier plan (la rencontre avec le « nègre) tandis que l’imparfait est réservé aux actions de second plan et à la description « il manquait »(l.2) « il versait des larmes »(l.23)
  • Voltaire situe son histoire dans un pays qui paraît exotique aux yeux du lecteur français : l’Amérique du Sud (« Surinam » l.23, sonorités du nom « Cacambo »l.21, animaux exotiques « singes », « perroquets »l.15).
  1. Des personnages manichéens et symboliques

Comme dans un conte de fée, les personnages sont stylisés et ont une fonction symbolique et évoluent dans un univers manichéen.

  • « Candide » : un personnage naïf qui découvre la réalité du monde à travers un voyage initiatique. Son nom formé à partir d’un adjectif est symbolique et peu réaliste.

    Candide (cf candidus = blanc en latin) est absolument sans méchanceté : il se montre amical et    

    bienveillant avec le « nègre » comme l’indique l’apostrophe « mon ami » : on note la familiarité

    de cette appellation (= usage du pronom possessif « mon ») qui montre que Candide considère

    naturellement le nègre comme son égal malgré sa couleur de peau et son aspect misérable.

  • A l’inverse Venderdendur est un personnage absolument négatif comme l’indique le jeu de mot sur son nom  « vendeur qui a la dent dure » un nom lui aussi symbolique approprié pour un négociant d’esclaves âpre au gain et sans pitié.

  • Le nègre n’a pas de nom : cela lui confère une valeur archétypale et peut aussi faire écho à la déshumanisation des esclaves.
  1. L’évolution du personnage de Candide

Voltaire utilise donc la structure initiatique du conte pour afin de faire de Candide un relais pour le lecteur : ce personnage fictif a donc une vertu pédagogique. Son étonnement se traduit par des questions : « Est-ce M. Vanderdendur, dit Candide, qui t’a traité ainsi ? » (l.6) dont la naïveté qui permet par effet de contraste d’insister sur l’« abomination »(l.20) de l’esclavage.

- La surprise de Candide (interjection « eh ») laisse place à l’indignation puis au désarroi qu’il exprime son désarroi à travers l’interjection « Ô »  et la modalité exclamative (l.20), et finalement en « versant des larmes » (l.23). Ces réactions émotionnelles entrent en écho avec celles du lecteur, lui aussi destinataire du discours du « nègre de Surinam » : en prenant conscience des horreurs de l’esclavage nous accompagnons Candide dans son processus initiatique.

  • Le passage est en effet structuré par l’évolution du personnage de Candide qui progresse dans sa compréhension du monde. La structure est similaire à celle d’un apologue : une exposition, un dialogue et une morale à la fin de l’extrait. Ce passage constitue d’ailleurs un tournant dans l’oeuvre puisque Candide remet en cause l’idéologie optimiste de son précepteur « C’en est fait, il faudra qu’à la fin je renonce à ton optimisme » (l.20-21). Voltaire dresse ici une satire acerbe de la philosophie optimiste inspirée de Leibnitz : à travers le terme  péjoratif « rage » (l.22), ce courant de pensée est présentée comme une véritable maladie de la pensée et du jugement. Figure par excellence du penseur engagé Voltaire dénonce ici les philosophes qui refusent de se confronter à la réalité du monde.

  1. Une dénonciation originale et subversive de l’esclavage
  1. Les horreurs de l’esclavage dénoncées avec une pointe d’humour
  • A travers une description succinte, Voltaire insiste sur la misère matérielle de l’esclave : « n’ayant plus que la moitié de son habit » (l.1), et sur des conditions de travail dangereuses (« quand la meule nous attrape le doigt »l.9) associées à des traitements inhumains : « on nous coupe main » (l.8) « on nous coupe la jambe » (l.9). L’auteur s’appuie ici sur des éléments réalistes qui reprennent certains éléments précis du Code Noire, texte juridique promulgué en 1685 et qui fixait les droits et devoirs des maîtres envers leurs esclaves : « c’est l’usage. On nous donne un caleçon de toile pour tout vêtement deux fois l’année »(l.6-7) (=> article 25 du code noir)
  • Mais l’originalité de cette dénonciation réside dans le choix des registres : Votaire mêle le pathétique et l’humour, notamment à travers l’ironie. Le pathétique s’exprime à travers le champs lexical de l’horreur et de la misère « pauvre » (l.3) « état horrible » (l.4), « malheureux » (l. 15),« horrible » (l.19), « abomination » (l.20). Il est accentué par l’usage d'une hyperbole : « mille fois moins malheureux »(l.15). La comparaison avec les animaux, mieux traités que les esclaves, met l’accent sur la déshumanisation subie par ces hommes que le droit considère comme des « meubles ».
  • Mais malgré la gravité du sujet, on peut déceler une pointe d’humour, parfois grinçant, dans ce passage. Par exemple, Voltaire joue sur un effet de décalage entre le contenu choquant des informations délivrées, et le ton neutre avec lequel elles sont énoncées : par ex. l.2 « il manquait à ce pauvre homme la jambe gauche et la main droite », on peut parler d’euphémisme (verbe très neutre « manquer » pour évoquer la mutilation) et plus encore l.7, lorsque le nègre désigne à travers le terme anodin d’« usage »(l.7) le traitement barbare dont il est la victime.
  • Au vu de l’état atroce dans lequel se trouve le « nègre » les propos de sa mère produisent un effet de décalage : ils ne s’agit pas d’une antiphrase, car elle pense ce qu’elle dit, toutefois ces propos sont si décalés que l’on perçoit l’ironie de l’auteur face à cette naïveté, notamment à travers l’oxymore « l’honneur d’être esclave ».
  1. Donner la parole à un « nègre »

Voltaire choisit de donner la parole à un homme noir qui parle au nom de tous les esclaves. Ce choix stylistique en lui même est subversif car Voltaire le présente comme un être capable de raisonner au même titre que les blancs.  En effet il place dans sa bouche un discours argumentatif efficace.

  • L’esclave élargit la portée de son discours : il ne parle pas en son nom seul mais se fait le porte parole des tous les esclaves. On le voit à travers l’emploi du pronom personnel « nous » répété à de nombreuses reprises l.6-9.
  • Il livre un discours structuré : en trois temps : l.6-10 l’esclave décrit ses conditions de travail, l.10-13 il raconte l’histoire de sa vente, l.14-19 il énonce son point de vue personnel notamment en abordant la question de la religion.
  • Il maîtrise de certains procédés oratoires :  recours au parallélisme « quand nous travaillons aux sucreries (…) on nous coupe la main, quand nous voulons nous enfuir, on nous coupe la jambe » (l. 7-9), à interpellation de l’interlocuteur pour l’impliquer dans ses propos « c’est à ce prix que vous mangez du sucre en Europe » l.10 : à travers ce pronom c’est Candide, mais aussi le lecteur de l’époque qui est visé.

  1. La satire du discours religieux

Candide n’est pas français mais hollandais. La Hollande est un pays protestant ce qui permet à Voltaire de critiquer l’Eglise catholique sans la nommer, à travers la satire des « fétiches hollandais » (l.16)

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