Le génie Littéraire

QU'EST-CE QU'UN « GÉNIE LITTERAIRE » ?

Interrogeons-nous, pour commencer, sur les notions de « littérature universelle », de « chef-d’œuvre mondial », de « génie transéculaire ».

Qu’est-ce qu’un écrivain génial ? Qu’est-ce qu’un chef-d’œuvre qui traverse les âges ? A quoi reconnaît-on un géant littéraire d’un écrivain talentueux ? Ces questions recouvrent celle du bien-fondé de notre sélection : comment légitimer cette pléiade de dix écrivains ? Pourquoi ces auteurs figurent-ils au « top ten », et pas d’autres ? Pourquoi Goethe et pas Marc Lévy ? Pourquoi Cervantès et pas Guillaume Musso ? Pourquoi Homère et pas Nathalie Nothomb ? Pourquoi Tolstoï et pas Stephen King ? Et même : Pourquoi Hugo et pas Maupassant ? Pourquoi Sade et pas Rousseau ?

Il y a une part d’arbitraire dans notre choix qu’il serait malhonnête de dissimuler... D’autres noms auraient pu aussi bien être joints à la liste : en premier lieu, en France : Rabelais, Molière, Balzac, Baudelaire, Flaubert, Mallarmé, Proust, Céline. Et à l’étranger : Hemingway (Etats-Unis), Faulkner (Etats-Unis), Tagore (Inde), Cao Xueqin – l’auteur du Rêve dans le Pavillon rouge – (Chine), Borges (Argentine), Mahfûz (Egypte), Gibran Khalil Gibran (Liban), Léopold Sédar Senghor (Sénégal), Mishima (Japon), Ibsen (Norvège), Strindberg (Suède), Conrad (Angleterre), etc. Certaines femmes de lettres auraient également mérité leur place dans ce corpus : Virginia Woolf, George Sand, Jane Austen, Mme de Sévigné, Marguerite Duras...

Au-delà de l’arbitraire, il existe des raisons objectives de considérer que les écrivains retenus appartiennent à la « caste supérieure » des génies littéraires, à cette catégorie à part des créateurs hors pair. Pourquoi ? Cela tient à plusieurs raisons que l’on peut ramener à cinq concepts: monumentalité, radicalité, originalité, universalité, séminalité (ou fécondité).

Avant de définir ces cinq critères, faisons un détour par Hugo. L’auteur des Misérables, dans un ouvrage consacré à Shakespeare, a écrit un chapitre intitulé « les Génies », dans lequel il fait une liste d’écrivains, différente de la nôtre, il va sans dire – et pour cause, il la réalise en 1864... Or voici la définition qu’il propose du génie :

« Comme l’eau qui, chauffée à cent degrés, n’est plus capable d’augmentation calorique et ne peut s’élever plus haut, la pensée humaine atteint dans certains hommes sa complète intensité. [Suit une liste de 13 noms où l’on retrouve : Dante, Cervantès et Shakespeare, à côté de Beethoven et Michel- Ange] Tous ces hommes, poursuit-il, marquent les cents degrés du génie. [...] Les génies sont une dynastie [...]. Chacun d’eux représente toute la somme d’absolu réalisable à l’Homme. ».

LES 5 CRITÈRES DU GÉNIE

1/ MONUMENTALITÉ

Un point commun à tous ces écrivains réside d’abord dans le caractère monumental de leurs productions. Monumental, ici, ne renvoie pas nécessairement à la taille des livres (le caractère volumineux d’une œuvre n’est pas un critère suffisant – à ce titre-là, Dumas figurerait en tête des génies...). Monumental renvoie plutôt à l’idée d’amplitude de profondeur et de complexité. L’Iliade et l’Odyssée, Don Quichotte, La Divine Comédie, Guerre et Paix, les pièces de Shakespeare, Ulysse, l’œuvre poétique de Hugo, en imposent au lecteur par la matière incommensurable que leurs auteurs y brassent et embrassent. Les œuvres géniales couvrent généralement des durées longues (des décennies), parcourent des espaces considérables (plusieurs pays), et font intervenir des dizaines, voire des centaines de personnages. Mais la monumentalité se traduit aussi bien par un brassage impressionnant des langues, des discours, des styles, des tons, des genres. Tout se passant comme si le Génie littéraire voulait enfermer la totalité du Monde dans le Livre. Au final, le lecteur, face à ces œuvres « monstrueuses », se trouve un peu comme le croyant devant les livres saints (Bible, Coran, Talmud), tétanisé, paralysé, en un mot : écrasé.

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