Le Théâtre Parle-t-il Au Spectateur De La Vie réelle
Analyse sectorielle : Le Théâtre Parle-t-il Au Spectateur De La Vie réelle. Recherche parmi 298 000+ dissertationsPar romain86 • 4 Mars 2015 • Analyse sectorielle • 1 372 Mots (6 Pages) • 662 Vues
LISETTE, COLETTE, BLAISE, MERLIN
MERLIN
Allons, mes enfants, je vous attendais ; montrez-moi un petit échantillon
de votre savoir-faire, et tâchons de gagner notre argent le mieux que
nous pourrons ; répétons.
LISETTE
Ce que j'aime de ta comédie, c'est que nous nous la donnerons à nousmêmes
; car je pense que nous allons tenir de jolis propos.
MERLIN
De très-jolis propos ; car, dans le plan de ma pièce, vous ne sortez point
de votre caractère, vous autres : toi, tu joues une maligne soubrette à qui
l'on en fait point accroire, et te voilà ; Blaise a l'air d'un nigaud pris sans
vert, et il en fait le rôle ; une petite coquette de village et Colette, c'est la
même chose ; un joli homme et moi, c'est tout un. Un joli homme est
inconstant, une coquette n'est pas fidèle : Colette trahit Blaise, je néglige
ta flamme. Blaise est un sot qui en pleure, tu es une diablesse qui t'en
mets en fureur ; et voilà ma pièce. Oh ! Je défie qu'on arrange mieux les
choses.
BLAISE
Oui ; mais si ce que j'allons jouer allait être vrai ! Prenez garde, au moins
; il ne faut pas du tout de bon : car j'aime Colette, dame !
MERLIN
À merveille ! Blaise, je te demande ce ton nigaud-là dans la pièce.
LISETTE
Écoutez, Monsieur le joli homme, il a raison ; que ceci ne passe point la
raillerie ; car je ne suis pas endurante, je vous en avertis.
MERLIN
Fort bien, Lisette ! Il y a un aigre-doux dans ce ton-là qu'il faut conserver.
COLETTE
Allez, allez, Mademoiselle Lisette ; il n'y a rien à appriander pour vous ;
car vous êtes plus jolie que moi ; Monsieur Merlin le sait bien.
MERLIN
Courage, friponne ; vous y êtes, c'est dans ce goût-là qu'il faut jouer votre
rôle. Allons, commençons à répéter.
LISETTE
C'est à nous deux à commencer, je crois.
MERLIN
Oui, nous sommes la première scène ; asseyez-vous là, vous autres ; et
nous, débutons. tu es au fait, Lisette. (Colette et Blaise s'asseyent comme
spectateurs d'une scène dont ils ne sont pas.) Tu arrives sur le théâtre, et
tu me trouves rêveur et distrait. Recule-toi un peu, pour me laisser
prendre ma contenance.Qu'est-ce que le talent du comédien ? L'art de se contrefaire, de revêtir un autre caractère que le sien, de paraître différent de ce qu'on est, de se passionner de sang-froid, de dire autre chose que ce qu'on pense aussi naturellement que si on le pensait réellement, et d'oublier enfin sa propre place à force de prendre celle d'autrui. Qu'est-ce que la profession du comédien ? Un métier par lequel il se donne en représentation pour de l'argent, se soumet à l'ignominie et aux affronts qu'on achète le droit de lui faire, et met publiquement sa personne en vente. J'adjure tout homme sincère de dire s'il ne sent pas au fond de son être qu'il y a dans ce trafic de soi-même quelque chose de servile et de bas. Vous autres philosophes, qui vous prétendez si fort au-dessus des préjugés, ne mourriez-vous pas tous de honte si, lâchement travestis en rois, il vous fallait aller faire aux yeux du public un rôle différent du vôtre, et exposer vos majestés aux huées de la populace ? Quel est donc, au fond, l'esprit que le comédien reçoit de son état ? Un mélange de bassesse, de fausseté, de ridicule orgueil, et d'indigne avilissement, qui le rend propre à toutes sortes de personnages, hors le plus noble de tous, celui d'homme qu'il abandonne.
Je sais que le jeu du comédien n'est pas celui d'un fourbe qui veut en imposer, qu'il ne prétend pas qu'on le prenne en effet pour la personne qu'il représente, ni qu'on le croie affecté des passions qu'il imite, et qu'en donnant cette imitation pour ce qu'elle est, il la rend tout à fait innocente. Aussi ne l'accusé-je pas d'être précisément un trompeur, mais de cultiver pour tout métier le talent de tromper les hommes, et de s'exercer à des habitudes qui ne pouvant être innocentes qu'au théâtre, ne servent
...