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Langage et notion de mort dans la poesie de Senghor

Analyse sectorielle : Langage et notion de mort dans la poesie de Senghor. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  31 Janvier 2014  •  Analyse sectorielle  •  4 465 Mots (18 Pages)  •  1 192 Vues

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Auteur : Tié Emmanuel TOH BI [1]

La mort, chez le négro-africain, est tout un culte ; tant dans son esprit, elle meuble brillamment la sphère du sacré et jouit d’une vitalité des plus impressionnantes. Les thanatologues s’y sont intéressés, chacun selon sa sensibilité et l’axe de sa recherche, ayant tous en commun d’être connectés au dénominateur de l’esprit scientifique, dévoilé par les concepts coutumiers d’observation, de méthode, de vérification, d’analyse, de syllogisme et synthèse.

Pour sa part, la négritude, mouvement par excellence de la promotion de la vision culturelle africaine, ne pouvait rester en marge de ce sujet à fortune intellectuelle certaine. De son aura d’organisation de connaissance, elle a singulièrement entretenu avec la mort “africaine“ des rapports, non analytiques, mais plutôt artistiques, par le moyen de son support médiatique privilégié qu’est la poésie.

La poésie, art du langage bien articulé, est le résultat linguistique des relations intuitive, subjective et émotive de l’artiste avec le mot et avec la réalité appréhendée. Léopold Sedar Senghor, figure charismatique de la négritude, nous paraît avoir entretenu avec la mort des rapports particuliers ; le sujet de la mort, tout comme celui de l’enfance qui a aussi prospéré dans la poésie de Senghor, relevant de la rêverie. Seulement, la mort a ceci de sacré qu’elle intègre les croyances des peuples et a trait au sacré ; émotion et sacré alimentant fortement la rêverie inhérente à l’activité poétique. A juste titre, Gaston Bachelard, dans Poétique de la rêverie [2], se préoccupe essentiellement d’inventorier « ces rêveries fondamentales » qui se composent de ces expériences où l’émotion du poète rejoint le sacré du mythe. Et les archétypes tracent l’itinéraire d’une certaine manière d’être que Durand, à la suite de Bachelard, essaie d’étudier dans une perspective anthropologique.

La mythocritique, des auteurs comme Brunnel et Durand l’ont rendue illustre en la portant sur des fonds baptismaux. Avec beaucoup de sobriété peut-être, elle pourrait être comprise au sens de la méthode par la quelle tout sachant se résout à percevoir intellectuellement une entité irréelle, échappant aux règles du ratio, telle que la mort. Cette étude, donc, se propose d’appréhender la mythocritique en deux niveaux d’analyse : le décryptage de l’énigme langagière et l’approche de l’énigme référentielle, solidaires de la dénaturation de la réalité médiatisée.

1. LANGAGE ET NOTION DE MORT DANS LA POESIE DE SENGHOR

Le succès intellectuel du thème de la mort fait écho dans le langage poétique. A toutes fins utiles, l’on devra souligner que le langage de la poésie est essentiellement lyrique. Ce lyrisme participe de l’énigme langagière – en témoigne la parade de formes tout aussi improvisées, affectives que captivantes – et de l’énigme référentielle, manifeste dans le déphase entre le monde proposé par le poème et celui scientifiquement ou objectivement vécu. Pour le besoin de la méthode, nous prisons, dans cette séquence, l’énigme langagière.

Comme établi sous forme de postulat, le langage de la poésie est principalement énigmatique. Et il semble qu’il l’est farouchement quand il doit médiatiser une notion qui, elle-même, met hors d’entrain l’esprit humain. Le poème « Initiation aux ancêtres in memoriam » servira de cadre à nos réflexions.

Ainsi, dans « In memoriam », du regard de l’analyste, l’ingéniosité esthétique du langage se noue en trois grappes stellaires : le temps, l’espace, la sémantique.

Le poème est le suivant :

1. C’est dimanche

2. j’ai peur de la foule de mes semblables au visage de pierre

3. De ma tour de verre qu’habitent les migraines, les Ancêtres impatients.

4. je contemple toits et collines dans la brume.

5. Dans la paix – les cheminées sont graves et nues.

6. A leurs pieds dorment mes morts, tous mes rêves faits poussières.

7. Tous mes rêves, le sang gratuit répandu le long des rues mêlé au sang des boucheries

8. Et maintenant, de cet observatoire comme de banlieue,

9. Je contemple mes rêves distraits le long des rues, couchés au pied des collines.

10. Comme les conducteurs de ma race sur les rives de la Gambie et du Saloum.

11. De la Seine maintenant, au pied des collines

12. Laissez-moi penser à mes morts !

13. C’était hier la Toussaint, l’anniversaire solennel du soleil.

14. Et nul souvenir dans aucun cimetière.

15. Ô Morts, qui avez toujours refusé de mourir, qui avez su résister à la mort.

16. Jusqu’en Sine Jusqu’en Seine, et dans mes veines fragiles, mon sang irréductible.

17. Protégez mes rêves comme vous avez faits vos fils, les migrateurs aux jambes minces.

18. Ô morts ! défendez les toits de Paris dans la brume dominicale.

19. Les toits qui protègent les morts.

20. Que de ma tour dangereusement sûre, je descende dans la rue.

21. Avec mes frères aux yeux bleus.

22. Aux mains dures.

Temps

L’esthétique poétique dans ce texte est encline à poétiser une disposition temporelle qui dévoile la subordination, sinon, la dévotion du présent au passé. Et le centre de gravitation de cette gymnastique langagière, c’est un mot, rayonnant, magnétique : “Mort“, cultuel, du reste. C’est, entre autres, ce mot qui rend cavaliers deux modes de vocabulaire, l’un, péjoratif, et l’autre, mélioratif, et dessine les deux parties du poème.

En effet, la force émotive du moi ( !) au vers 12 permet de séquentialiser le texte en deux mouvements d’ailleurs marqués par l’encadrement. [C’est – c’était].

Le poète s’échappe de la réalité pour « entrer » dans le passé, par l’emploi d’un vocabulaire purement

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