La poésie face à la mort

Faire un poème , c'est prendre possession d'un au delà nuptiale qui se trouve bien dans cette vie très rattachée à elle et en même temps , à proximité des urnes de la mort .

         Eros et Thanatos sont les principes grecs que s’ approprie Freud et qui déterminent les moteurs essentiels de l’existence : construire et échapper à la destruction.Par delà leur dimension philosophique, ces valeurs enferment une esthétique omniprésente dans les œuvres littéraires : l’ origine et la finalité, fondements de toutes les interrogations. C'est également autour de ce thème , que rené Char dans La parole en archipel pose ses interrogations . La première partie de la citation semble immédiatement lourde de sens "faire un poème" . Si il est du sens commun que un poème est ouvrage en vers et plus récemment en prose il prend son origine dans le latin qui signifie "faire" ou "la chose faite" . La création , la construction est donc évoquée deux fois , juxtaposé .  Mais quelle sera la fonction de cette création ? Pourquoi le poème plutôt qu'un autre genre littéraire ? D'après René Char , le poème permet de "prendre possession d'un au delà nuptiale" . Le poète évoque alors l'état d'action par lequel on prend la propriété de quelque chose . Ce quelque chose ici semble évoquer un état supérieur à l'homme , un état qui le dépasse mais qu'il souhaite atteindre . La référence au nuptiale semble ainsi référer à l'union de cet état supérieur et d'un état autre . Cet état est donnée dans la suite de la citation : il s'agit de la vie . Traditionnellement , la vie est définie par le temps qui s'écoule entre naissance et la mort . En ce sens , elle apparaît comme quelque chose de fatal , et d’inquiétant . En plus d'être liée à l'au delà elle est également liée à la mort .  Cette liaison est également évoquée à travers la dernière partie de la citation " a proximité des urnes de la mort" puisque les urnes chez les anciens étaient des pots travaillés contenant soit les cendres des morts soit de l'eau condition même de la vie . Enfin la mort est le chaos l'arrêt de la vie , elle constitue quelque chose d’insaisissable d'incompréhensible mais elle peut également représenter une étape , un passage vers un nouveau monde

        Parce que la mort semble insaisissable , en quoi la poésie constitue t-elle un genre littéraire privilégié pour redonner au poète une place douée de sens au sein de ces trois phases du cheminement ?

        Comme la mort est effrayante et insaisissable , faire un poème permet de lui donner un sens qui prend souvent la forme de l'immortalité . Mais en même temps la mort est une réalité liée à la vie et elle lui est même indispensable . L'existence apparaît alors comme un chaos qui ramène toujours vers un état ou l'autre que se passe t-il dès lors lorsque la mort est refusée ?

        Tout d'abord c'est parce que la mort est effrayante , semblable à un chaos dépourvu de sens que le poème va intervenir . Par la création le poète cherche à donner un sens à la mort dont la réponse est souvent le passage vers l’immortalité . La mort en effet représente un cheminement de la vie qui apparaît comme effrayant , inquiétant , c'est pourquoi ce thème est central chez de nombreux poètes . Chez Philipe Jaccottet dans "Soit tranquille cela viendra" , le poète évoque sa crainte du temps qui passe et qui nous rapproche à chaque instant de la mort "Sois tranquille, cela viendra !" . Il déclare ainsi "Tu te rapproches,tu brûles ! Car le/mot qui sera à la fin/du poème, plus que le premier sera proche/de ta mort, qui ne s'arrête pas en chemin." Chaque vers est rejeté au vers suivant ce qui provoque un sentiment de déséquilibre comme si le premier vers rattrapait le second tout comme le temps qui nous rattrape .

Mais ce n'est pas tout en plus d'avoir un caractère inéluctable , la mort à un caractère effrayante prenant des apparences vivantes , parfois comparées à un insecte, d'autre fois à une ombre ou une faucheuse comme c'est le cas de Victor Hugo . Ainsi Il déclarait dans les Contemplations " Je vis cette faucheuse . Elle était dans son champ . Elle allait à grands pas moissonnant et fauchant , Noir squelette laissant passer le crépuscule . Dans l'ombre ou l'on dirait que tout tremble et recule , L'homme suivait des yeux les lueurs de la faux." Le poète recourt ici à la célèbre allégorie de "la grande faucheuse" qui vient retirer les vies de sa lame . Sa représentation dans la citation du poète romantique n'a rien de rassurant . Il évoque le fait qu'elle marche à grand pas comme pour évoquer le caractère soudain et brutal de la mort . Après la virgule , l'adjectif noir est immédiatement employé pour le mettre en valeur , il fait échos à crépuscule . La mort est noire , la mort est effrayante et chaotique . Enfin , la mort est particulièrement obscure dans la mesure ou elle ne semble pas avoir de signification de but et que l'on ignore ce qui se cache après . Ainsi sous forme de confidences , Sengor déclarait " si croyant que l'on soit la mort reste un énigme" pendant que Victor Hugo parlait de "l'énigme du cercueil".                                

        Pour ne pas sombrer dans le désespoirs , beaucoup de poète vont ainsi voir la mort comme le passage vers un au delà , un passage vers l'immortalité .  Dans son poème "l'immortalité" Alphonse Lamartine évoque la possibilité d'un passage vers un autre monde "Par quels nœuds étonnants, par quels secrets rapports /Le corps tient-il à toi comme tu tiens au corps ? /Quel jour séparera l'âme de la matière ?/Pour quel nouveau palais quitteras-tu la terre ?/As-tu tout oublié? Par-delà le tombeau,/Vas-tu renaître encor dans un oubli nouveau ? / Vas-tu recommencer une semblable vie ?" Tout le poème est construit sur des interrogations pour montrer les inquiétudes du poètes . Il s'interroge sur les moyens pour rejoindre le pays de l'immortel , il interroge la théorie dualiste de séparation de l'âme et du corps et il se demande comment sera ce monde . Bien que l'accès à l'au delà soit très incertain il constitue tout de même un espoir de donner une signification à la mort . Toutefois cette immortalité peut aussi servir à se conserver le souvenir d'un être chère . Bien qu'elle ne permette pas d'expliquer leur disparition , elle permet de créer à partir de cette mort de beaux souvenirs . Ainsi l'Eglise St Augustin avait écrit un poème destiné aux funérailles de Charles Péguy dans "je suis de l'autre côté du chemin" "La mort n’est rien,/je suis seulement passé, dans la pièce à côté./Je suis moi. Vous êtes vous./Ce que j’étais pour vous, je le suis toujours" A travers ce poème qui fait parler la voix d'un défunt , il évoque le fait qu'il sera toujours présent , à côté de ses proches mais de l'autre côté du miroir . C'est pourquoi de nombreux poètes se tournent vers la religion pour se rassurer face à la mort . Les propos de Senghor sont celui d’un fervent chrétien débordant d’adoration pour le Seigneur. Le poète voit en la sentence divine un acte de gratitude et de miséricorde. C’est même une sorte de bénédiction puisque « la mort est un très-pas un inter-itus » , c’est-à-dire, une transition qui mène à la vie éternelle. Il transforme la volonté divine en une forme de jouissance esthétique mais aussi spirituelle. La vraie vie est absente ; la mort dans ce monde ouvre les portes du merveilleux divin. Informé par les sentiments de croyance, la parole poétique est une invitation à communiquer avec Dieu. Le poète de la négritude déclare "Le christianisme est l’ultime religion du salut, la dernière qui sera/la première, celle qui exprimera avec plus de violence le plus de/ simplicité et le plus d’universalité l’appel de l’immortalité"

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