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La Prose Du Transsiberien

Fiche de lecture : La Prose Du Transsiberien. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  16 Avril 2013  •  Fiche de lecture  •  2 869 Mots (12 Pages)  •  1 809 Vues

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En ce temps-là j'étais en mon adolescence

J'avais à peine seize ans et je ne me souvenais

Déjà plus de mon enfance

J'étais à seize mille lieues du lieu de ma naissance

J'étais à Moscou, dans la ville des mille et trois

Clochers et des sept gares

Et je n'avais pas assez des sept gares et des mille

et trois tours

Car mon adolescence était si ardente et si folle

que mon cœur, tour à tour, brûlait

comme le temple d' Éphèse ou comme la Place Rouge

de Moscou quand le soleil se couche.

Et mes yeux éclairaient des voies anciennes.

Et j'étais déjà si mauvais poète

que je ne savais pas aller jusqu'au bout.

Le Kremlin était comme un immense gâteau tartare

croustillé d'or, avec les grandes amandes

des cathédrales toutes blanches

et l'or mielleux des cloches...

Un vieux moine me lisait la légende de Novgorode

J'avais soif et je déchiffrais des caractères cunéiformes

Puis, tout à coup, les pigeons du Saint Esprit

s'envolaient sur la place

et mes mains s'envolaient aussi, avec des bruissements d'albatros

et ceci, c'était les dernières réminiscences du dernier jour

du tout dernier voyage

Et de la mer.

Pourtant, j'étais fort mauvais poète.

Je ne savais pas aller jusqu'au bout.

J'avais faim

Et tous les jours et toutes les femmes dans les cafés

Et tous les verres

j'aurais voulu les boire et les casser

Et toutes les vitrines et toutes les rues

Et toutes les maisons et toutes les vies

Et toutes les roues des fiacres qui tournaient en tourbillon

sur les mauvais pavés

j'aurais voulu les plonger dans une fournaise de glaives

Et j'aurais voulu broyer tous les os

Et arracher toutes les langues

Et liquéfier tous ces grands corps étranges et nus

Sous les vêtements qui m'affolent...

Je pressentais la venue du grand Christ rouge

de la révolution russe...

Et le soleil était une mauvaise plaie

qui s'ouvrait comme un brasier.

En ce temps-là j'étais en mon adolescence

J'avais à peine seize ans et je ne me souvenais

déjà plus de ma naissance

J'étais à Moscou, où je voulais me nourrir de flammes

Et je n'avais pas assez des tours et des gares

que constellaient mes yeux

En Sibérie tonnait le canon, c'était la guerre

la faim le froid la peste le choléra

Et les eaux limoneuses de l'Amour

charriaient des millions de charognes

Dans toutes les gares je voyais partir les derniers trains

Personne ne pouvait plus partir car on ne délivrait plus de billets

et les soldats qui s'en allaient auraient bien voulu rester...

Un vieux moine me chantait la légende de Novgorode.

Moi, le mauvais poète, qui ne voulais aller nulle part,

je pouvais aller partout

Et aussi les marchands avaient encore assez d'argent

pour aller tenter faire fortune.

Leur train partait tous les vendredis matin.

On disait qu'il y avait beaucoup de morts.

L'un emportait cent caisses de réveils et de coucous

de la Forêt-Noire

un autre, des boîtes à chapeaux, des cylindres

et un assortiment de tire-bouchons de Sheffield

Un autre, des cercueils de Malmoë remplis de boîtes de conserve

et de sardines à l'huile

Puis il y avait beaucoup de femmes

Des femmes, des entre-jambes à louer qui pouvaient aussi servir

Des cercueils

Elles étaient toutes patentées

On disait qu'il y avait beaucoup de morts là-bas

Elles voyageaient à prix réduits

et avaient toutes un compte-courant à la banque.

Or, un vendredi matin, ce fut enfin mon tour

On était en décembre

Et je partis moi aussi pour accompagner le voyageur

en bijouterie qui se rendait à Karbine

Nous avions deux coupés dans l'express et trente quatre coffres

de joaillerie de Pforzheim

De la camelote allemande "Made

...

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