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La Fontaine De Sang

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Par   •  25 Novembre 2012  •  2 938 Mots (12 Pages)  •  1 845 Vues

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Préambule du manuscrit de Neuchâtel

Le préambule annonce une triple révolution : psychologique (un nouveau modèle de la personnalité et un nouveau type de communication entre les hommes), (valeur exemplaire du vécu de l’homme indépendamment de sa position sociale) et littéraire (nécessité d’inventer pour l’autobiographie un nouveau langage).

LES CONFESSIONS DE J. J. ROUSSEAU

Contenant le détail des événements de sa vie,

et ses sentiments secrets dans toutes les situations où il s'est trouvé.

J'ai remarqué souvent que, même parmi ceux qui se piquent le plus de connaître les hommes, chacun ne connaît guère que soi, s'il est vrai même que quelqu'un se connaisse ; car comment bien déterminer un être par les seuls rapports qui sont en lui-même, et sans le comparer avec rien ? Cependant cette connaissance imparfaite qu'on a de soi est le seul moyen qu'on emploie à connaître les autres. On se fait la règle de tout, et voilà précisément où nous attend la double illusion de l'amour-propre ; soit en prêtant faussement à ceux que nous jugeons les motifs qui nous auraient fait agir comme eux à leur place ; soit dans cette supposition même, en nous abusant sur nos propres motifs, faute de savoir nous transporter assez dans une autre situation que celle où nous sommes.

J'ai fait ces observations surtout par rapport à moi, non dans les jugements que j'ai portés des autres, m'étant senti bientôt une espèce d'être à part, mais dans ceux que les autres ont portés de moi ; jugements presque toujours faux dans les raisons qu'ils rendaient de ma conduite, et d'autant plus faux pour l'ordinaire, que ceux qui les portaient avaient plus d'esprit. Plus leur règle était étendue, plus la fausse application qu'ils en faisaient les écartait de l'objet.

Sur ces remarques j'ai résolu de faire faire à mes lecteurs un pas de plus dans la connaissance des hommes, en les tirant s'il est possible de cette règle unique et fautive de toujours juger du cœur d'autrui par le sien ; tandis qu'au contraire il faudrait souvent pour connaître le sien même, commencer par lire dans celui d'autrui. Je veux tâcher que pour apprendre à s'apprécier, on puisse avoir du moins une pièce de comparaison ; que chacun puisse connaître soi et un autre, et cet autre ce sera moi.

Oui, moi, moi seul, car je ne connais jusqu'ici nul autre homme qui ait osé faire ce que je me propose. Des histoires, des vies, des portraits, des caractères ! Qu'est-ce que tout cela ? Des romans ingénieux bâtis sur quelques actes extérieurs, sur quelques discours qui s'y rapportent, sur de subtiles conjectures où l'Auteur cherche bien plus à briller lui-même qu'à trouver la vérité. On saisit les traits saillants d'un caractère, on les lie par des traits d'invention, et pourvu que le tout fasse une physionomie, qu'importe qu'elle ressemble ? Nul ne peut juger de cela.

Pour bien connaître un caractère il y faudrait distinguer l'acquis d'avec la nature, voir comment il s'est formé, quelles occasions l'ont développé, quel enchaînement d'affections secrètes l'a rendu tel, et comment il se modifie, pour produire quelquefois les effets les plus contradictoires et les plus inattendus. Ce qui se voit n'est que la moindre partie de ce qui est ; c'est l'effet apparent dont la cause interne est cachée et souvent très compliquée. Chacun devine à sa manière et peint à sa fantaisie ; il n'a pas peur qu'on confronte l'image au modèle, et comment nous ferait-on connaître ce modèle intérieur, que celui qui le peint dans un autre ne saurait voir, et que celui qui le voit en lui-même ne veut pas montrer ?

Nul ne peut écrire la vie d'un homme que lui-même. Sa manière d'être intérieure, sa véritable vie n'est connue que de lui ; mais en l'écrivant il la déguise ; sous le nom de sa vie, il fait son apologie ; il se montre comme il veut être vu, mais point du tout comme il est. Les plus sincères sont vrais tout au plus dans ce qu'ils disent, mais ils mentent par leurs réticences, et ce qu'ils taisent change tellement ce qu'ils feignent d'avouer, qu'en ne disant qu'une partie de la vérité ils ne disent rien. Je mets Montaigne à la tête de ces faux sincères qui veulent tromper en disant vrai. Il se montre avec des défauts, mais il ne s'en donne que d'aimables ; il n'y a point d'hommes qui n'en aient d'odieux. Montaigne se peint ressemblant mais de profil. Qui sait si quelque balafre à la joue ou un œil crevé du côté qu'il nous a caché, n'eût pas totalement changé sa physionomie. Un homme plus vain que Montaigne mais plus sincère est Cardan. Malheureusement ce même Cardan est si fou qu'on peut tirer aucune instruction de ses rêveries. D'ailleurs qui voudrait aller pêcher de si rares instructions dans dix tomes in-folio d'extravagances ?

Il est donc sûr que si je remplis bien mes engagements j'aurai fait une chose unique et utile. Et qu'on n'objecte pas que n'étant qu'un homme du peuple, je n'ai rien à dire qui mérite l'attention des lecteurs. Cela peut être vrai des événements de ma vie : mais j'écris moins l'histoire de ces événements en eux-mêmes que celle de l'état de mon âme, à mesure qu'ils sont arrivés. Or les âmes ne sont plus ou moins illustres que selon qu'elles ont des sentiments plus ou moins grands et nobles, des idées plus ou moins vives et nombreuses. Les faits ne sont ici que des causes occasionnelles. Dans quelque obscurité que j'aie pu vivre, si j'ai pensé plus et mieux que les Rois, l'histoire de mon âme est plus intéressante que celle des leurs.

Je dis plus. A compter l'expérience et l'observation pour quelque chose, je suis à cet égard dans la position la plus avantageuse où jamais mortel, peut-être, se soit trouvé, puisque sans avoir aucun état moi-même, j'ai connu tous les états ; j'ai vécu dans tous depuis les plus bas jusqu'aux plus élevés, excepté le trône. Les Grands ne connaissent que les Grands, les petits ne connaissent que les petits. Ceux-ci ne voient les premiers qu'à travers l'admiration de leur rang et n'en sont vus qu'avec un mépris injuste. Dans des rapports trop éloignés, l'être

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