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"L’Oeuvre au noir", « La vie immobile », « L’abîme », Marguerite Yourcenar

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Par   •  2 Novembre 2021  •  Commentaire de texte  •  2 444 Mots (10 Pages)  •  792 Vues

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L’Oeuvre au noir, « La vie immobile », « L’abîme », Marguerite Yourcenar

        Au sein de l’Oeuvre au noir se meut le personnage de Zénon, médecin et alchimiste d’un XVIe siècle fictif,  mu lui-même par un résolu désir de savoir et de liberté, parcourant à cette fin le monde.
Le titre du roman que l’on associe à tort ou à raison avec une certaine formule alchimique, semble lui référer au moins autant qu’aux déambulations de ce promeneur solitaire, à ses pérégrinations en les dunes de Bruges, sa patrie natale, comme images narratives de son périple en les mystérieuses contrées de l’entendement humain…

En cet extrait le personnage de Zénon se substitue perceptiblement à l’image de l’ « œil », qui est d’abord le sien mais qui bientôt est une entité à lui seul, un symbolisme à la signification plus large que notre vagabond. Selon cette directive singulière de la recherche, qui est caractéristique de notre extrait, il est possible de se demander : en quoi ce regard porté, selon les différents degrés qui le forment, se révèle t-il constitutif de la connaissance ?
Questionnement auquel nous tâcherons de fournir écho selon deux perspectives majeures relatives à la nature de ce regard ; en tant qu’il expérience sensible, et en tant qu’il est caractéristique de la capacité auto-réflexive de la conscience.

        Alors que notre promeneur savant arpente le terrain de son investigation, les seuls outils qui soient les siens sont le regard et, à l’appui de celui-ci, la loupe si précautionneusement conçue. Désireux de découvrir, guidé par la curiosité et la volonté de connaître, l’herboriste donc, a pour seule arme sa vue. Sens, qui néanmoins se voit aidé du précieux objet qu’est la loupe, intermédiaire, medium, entre lui et l’objet de sa curiosité. L’extrait s’ouvre donc sur un tableau significatif ; notre chercheur floriste se lève de bon matin « au point du jour » et se rend à « l’orée des dunes », le lexique est celui d’un commencement, de l’amorce d’une ascension en une direction encore indéterminée. A ce point du récit s’esquisse déjà une idée qui l’occupera tout entier, à savoir la recherche de la connaissance par le biais de l’observation.
Ainsi déambule notre prospecteur, et ses yeux qui sont son instrument se posent sur des végétaux, dont on peut douter que la nature soit véritablement anodine. En effet, il s’agit de « radicelles et [de] graines », ce choix semble quelque peu spécifique et par conséquent justifié, les radicelles constituant une partie essentielle des racines, servant à la nutrition de la plante, elles sont donc -physiquement- au fondement de cette dernière, et les graines ne sont autres que l’embryon, le prototype source des répliques de cette plante même, vitales à la perpétuation de l’espèce, en la graine résident donc également les fondements de cette vie végétale. A ces termes s’associent ceux d’un langage scientifique (« examiner », « loupe »), amenant à considérer cette excursion champêtre comme le lieu d’une métaphore filée de la connaissance.

        Le personnage comme le texte sont alors mus par l’idée de l’expérience sensible comme source de connaissance, et le passage se révèle ainsi doté d’une certaine adhésion à la vision empirique. Car effectivement, le premier rôle joué par le regard est celui d’une expérience immédiate, d’un premier accès à la connaissance en tant que capacité innée et instantanée. Et c’est sur ce principe que repose l’évènement clef du passage, car ne pourrait être pertinent d’être narré le quotidien linéaire du promeneur si il n’était interrompu par l’expérience à-venir. Cette expérience singulière repose tout d’abord sur la rupture du rythme initial associé à la narration itérative de l’action (« au cours d’une de ses promenades »), et de la rupture de la directive même qui guidait le personnage par l’assoupissement de ce dernier. Rupture qui s’exprime de plus de manière symbolique ; la loupe gis sur le sable, la « main » qui la tenait a desserré son emprise… l’action de préhension se voit suspendue, et avec elle tout travail de com-préhension, d’ap-préhension… L’expérience qui fait évènement est alors celle qui découle du réveil, et ce parce que le passage par l’endormissement est au sein du récit la condition de régénération de celui-ci, il permet le renouvellement de l’expérience même, il constitue un point d’interversion du fil du récit, qui par la suite le nourrit.
        La richesse de cette expérience repose sur l’étonnement. Le sentiment de l’étonnement donne lieu à une attention toute particulière, qui à son tour justifie l’attachement et la croyance placés en l’objet source de surprise. Cette attention se retranscrit au sein du passage par la longueur et la part qui lui est accordé relativement au reste de la narration. Car, si cette expérience est bien constitutive d’un éveil chez notre personnage, comment mieux le faire savoir au lecteur qu’en la lui faisant éprouver ? Ainsi la narration est-elle celle de la perception du personnage de manière à communiquer fidèlement son caractère soudain, brut, tout en lui étant infidèle du fait du recours au langage, lui étant alors– peut-être – étranger. Afin de conférer à l’expérience son « effet », le lecteur demeure pour un temps aussi mal informé que le personnage, et est saisit par le langage féerique dû à l’étonnement que prodigue une vue aussi invraisemblable, ainsi l’auteur se joue de cet « effet » à l’aide de termes tels que « extraordinairement » et d’une métaphore revêtant l’objet alors inconnu d’un aspect animal ( : « poil », « carapace »). Car la surprise est le fruit de l’ignorance, caractérisée par l’« ombre » ;  l’objet est indistinct, et la méprise est grande « insecte ou mollusque ». Cette ignorance est elle aussi condition de l’expérience en tant que singularité ; elle rend possible une perception de l’objet exempte de toute appréhension raisonnée par l’esprit, et permet de ce fait la confusion. Or cette même confusion, cette perception erronée de la réalité est révélatrice de mécanismes interprétatifs autonomes… et c’est là notre sujet. L’exercice du regard est donc, en ces conditions, l’expérience de l’imaginaire, et ce qui est inconnu prend immédiatement la forme de ce qui effraye. Parce que l’objet est étranger à la connaissance, l’esprit lui attribue des caractères exubérants, il devient d’une certaine manière superstitieux. Il fait du moins l’expérience de l’altérité, « une vie presque effrayante habitait cette chose fragile »

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