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L'importance du chagrin dans les romans

Analyse sectorielle : L'importance du chagrin dans les romans. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  14 Mai 2015  •  Analyse sectorielle  •  2 579 Mots (11 Pages)  •  693 Vues

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Goethe et Zola ont certes bâti leur carrière sur le malheur de leurs personnages au point d’à leur

tour, après avoir utilisé le sentiment universel de malheur, avoir eux-mêmes généré des comportements

ou des usages relatifs au malheur : Werther personnage de papier créé par le romancier allemand a

précipité nombre de jeunes lecteurs vers le suicide, tandis que pour Zola, il a amené à un nouveau type de

malheur, hyperbolique, et que l’on résume par la locution rentrée dans le langage courant : « à la Zola. »

Tout ce que l’on comprend, c’est que plus que le malheur, le paroxysme du malheur à partir de la

littérature ne peut plus être dit de la même façon après Zola.

On a vite fait alors d’assimiler la création littéraire avec l’exploitation du drame humain, comme si

l’inverse (une création à partir du bonheur) ne serait… que pure fiction. La littérature ne saurait se

résumer à des exemples, fussent-ils montés en chapelet : même quand Aragon reprend l’adage selon

lequel « les gens heureux n’ont pas d’histoire » dans le Fou d’Elsa, c’est aussitôt à l’octosyllabe suivant

prendre ses nettes distances avec l’assertion populaire : « c’est du moins ce que l’on prétend. » Au fond le

problème est là : le bonheur en littérature n’est-il vraiment qu’une exception ? De quel bonheur parle-t-on

de l’idée ? De l’idée du bonheur seulement ? Le malheur serait-il une condition sine qua non du récit

romanesque ou de l’héroïsme dans le roman ?

Pour interroger la pertinence du malheur dans le projet romanesque (et son éclat), demandonsnous

ce que le malheur a d’utile pour être si souvent vu comme le socle de la destinée romanesque ; puis

examinons ses limites pour enfin questionner le danger à recourir au malheur en tant que tel.

Le malheur est incontestablement, statistiquement un levier romanesque efficace, ne serait-ce que

pour créer cette connivence capitale entre un récit (un personnage en étant le plus souvent le relais) et le

lecteur, et encore plus lorsque cette connivence est rendue nécessaire au fil de longues pages de longs

chapitres de romans.

Le malheur est paradoxalement un heureux mécanisme romanesque : le malheur est à voir comme un

catalyseur d’action, apte à laisser l’action gagner en ampleur. Comparativement, pour qu’il y a ait en fin

d’ouvrage apothéose ou triomphe, il faut qu’en amont le héros ait vécu le pire. Le malheur a donc une

fonction purement dramaturgique dans le roman : il conditionne sa bonne progression. Julien Sorel est

orphelin (de mère), Etienne Lantier a été abandonné par son père et la figure de la mère est de toute façon

défaillante (il a pour mère Gervaise, noyée dans l’alcool, la jeune Macquart trompée et battue par ses

maris successifs) et Lucien de Rubempré était lui orphelin de père. L’orphelinat constituant quasiment un

passeport pour l’héroïsme, en ce qu’il garantit une ascension émotionnelle, forcément, puisque le héros

est placé, au départ, en situation d’extrême misère affective. De victime il deviendra acteur de son

existence et sera à l’image du romancier, le véritable démiurge de sa propre histoire.

Le malheur a aussi cela pour lui qu’il est universel et touche donc une large frange de lecteurs, ce qui

assure à l’ouvrage un retentissement certain. Le malheur possède une vertu commerciale : il est

fédérateur. Un personnage sans malheur n’accède qu’avec peine au statut de héros : Anne Desbarèdes la

protagoniste principale de Moderato Cantabile reste loin du lecteur (alors que techniquement elle occupe

tout le roman et que plusieurs scènes sont vues au travers de son regard.) A l’inverse, même un

personnage moralement condamnable pourra toucher son public avec du malheur vibrant : cela vaut pour

le mariage raté de Thérèse Desqueyroux qui excuse presque son crime, et même rend Meursault, pourtant

criminel, héroïque, qui acquiert enfin un destin romanesque avec les coups de révolver « frappés sur la

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porte du malheur » dit le texte de Camus. A ce moment-là même les lecteurs ne s’étant senti aucune

sympathie pour ce petit fonctionnaire blanc à la vie monotone et devenu meurtrier d’arabe, peuvent

s’identifier à Meursault dès lors qu’il est placé en position de victime. Plus largement, il se fait juger par la

foule (qui lui lance en fin de roman « ses cris de haine ») et le simple fait qu’il soit dominé par le groupe (un

groupe qui ne se définit que par l’épaisseur du pluriel et par l’animalité du bruit en guise de discours) cela

renvoie le lecteur à son sentiment d’être différent, marginal, que quel qu’il soit, d’où qu’il soit, parce que

c’est inhérent à sa condition d’être humain, il a forcément ressenti. C’est précisément dans le moment

d’exclusion que la communauté des lecteurs peut se retrouver, unie.

Et puis, un héros insolemment heureux se poserait en héros d’exception, or tout le dosage dans la relation

héros/lecteur consiste à donner à voir un être

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