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« J’ai toujours été étonné de la méprise qui fait du roman, pour tant d’écrivains, un instrument de connaissance, de dévoilement ou d’élucidation. (Même Proust pensait que sa gloire allait se jouer sur la découverte de quelque grande loi

Dissertation : « J’ai toujours été étonné de la méprise qui fait du roman, pour tant d’écrivains, un instrument de connaissance, de dévoilement ou d’élucidation. (Même Proust pensait que sa gloire allait se jouer sur la découverte de quelque grande loi. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  4 Décembre 2018  •  Dissertation  •  2 702 Mots (11 Pages)  •  1 713 Vues

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Sujet de réflexion

« J’ai toujours été étonné de la méprise qui fait du roman, pour tant d’écrivains, un instrument de connaissance, de dévoilement ou d’élucidation. (Même Proust pensait que sa gloire allait se jouer sur la découverte de quelque grande loi de psychologie.) Le roman est un addendum à la création, addendum qui ne l’éclaire et la dévoile en rien. » Julien Gracq, En lisant en écrivant

Expliciter la conception du roman contre laquelle s’érige Gracq, celle qu’il tient pour une « méprise ».

À cause d’une trop grande ressemblance entre deux choses, une confusion peut être commise. De fait, Gracq a toujours été étonné de ce qu’il considère comme erreur pour la plupart des auteurs à utiliser le roman pour transmettre ou dévoiler des connaissances, pour chercher à faire part de faits réels, historiques, d’une expérience passée ou tout simplement à dévoiler une réalité ou une morale. Néanmoins, cet effet recherché à dépeindre la réalité est la grande affaire des auteurs et des lecteurs, entre envie de lire et envie d’écrire des histoires portées sur celle-ci. Il existe même aujourd’hui des maisons d’édition spécialisées dans la non-fiction, reconnues sous l’appellation ambivalente de littérature du réel, une ambivalence portée par une différence, voire même incompatibilité, entre la littérature qui n’est pas censée être réelle. Titré par les Inrocks en octobre 2016, « Adrien Bosc : nouveau boss de la littérature du réel », est le fondateur des éditions du sous-sol, maison-mère de la revue Feuilleton qui rassemble plusieurs écrivains de la littérature du réel, à mi-chemin du livre et du reportage. Cette maison d’édition, dont le nom provient tout droit des Carnets du sous-sol de Dostoïevski — récit qui se présente sous la forme d’un journal intime d’un narrateur anonyme —, a oeuvré à la reconnaissance d’une littérature hybride, « entre-deux ».

De même, les éditions du Seuil créent une collection appelée « Raconter la vie », une sélection de textes, témoignages, essais et romans qui donnent la paroles aux invisibles, le « roman vrai » de la société d’aujourd’hui dans le but de remédier à la mal-représentation qui ronge le pays. Des écrivains participent également à cette expérience, notamment Annie Ernaux, qui entreprend le journal de son expérience dans un hypermarché dont le titre trompeur ne fait pas du tout penser à une telle « aventure », Regarde les lumières mon amour. Y sont confirmées des réalités sociales déjà connues, telles que les conditions de travail souvent pénibles, la mise en place des caisses automatiques entraînant la disparition progressive de postes, le poids de la consommation, l’absence quasi-totale de repères culturels, etc.

Cette littérature du réel provient du journalisme littéraire (ou narratif) né à l’aube du XXè siècle, aux États-Unis. Jack London, auteur de romans dont les thèmes de prédilection sont l’aventure ou la nature sauvage (Croc-Blanc, L’Appel de la forêt), écrit Le Peuple de l’abîme, publié en 1903. Il s’agit d’une enquête de terrain, où l’auteur témoigne des conditions de vie dans l’East End de Londres, logeant parfois dans des hospices pour pauvres ou dormant dans la rue, allant jusqu’à se déguiser en clochard afin d’observer les bas-fonds de la ville.

Dans une même continuité, le genre littéraire du true crime vise à dépeindre la réalité des crimes et des criminels, en opposition avec le roman policier, les auteurs cherchant à décrire des faits le plus fidèlement possible. Il fait son apparition à la moitié du siècle, dont le chef d’oeuvre du genre, écrit par Truman Capote, De sang-froid, publié en 1966, fait le récit du quadruple meurtre d’Holcomb, de sa préparation jusqu’à l’exécution des meurtriers.

Ainsi est revendiquée la parenté de ce genre avec le nouveau journalisme (expression utilisée pour la première fois par Tom Wolfe, journaliste et essayiste américain), style de journalisme faisant appel à certaines techniques littéraires, adopté principalement dans la presse écrite à partir des années 1960. L’écriture se rapproche davantage de la littérature dans la forme, sans pour autant occulter la minutie des enquêtes et la précision des faits rapportés, définie comme une « investigation artistique ». Employant le plus fréquemment le récit à la première personne, le journaliste devient ainsi narrateur et donne des impressions subjectives, rapprochant le sujet plus au roman qu’au reportage, à ceci près d’être réel.

En France, Emmanuel Carrère fait partie de ces écrivains-journalistes du réel. Il part de faits divers pour constituer des livres qu’on a du mal à classer, et son écriture convoque les récits littéraires : on y retrouve une mise en scène, une subjectivité assumée du narrateur, des personnifications, etc. D’autres vies que la mienne raconte la vie de gens ordinaires, à qui il arrive des événements moins ordinaires (parents qui voient mourir leur enfant dans le tsunami, une mère qui meurt d’un cancer, etc). Il raconte la vie de personnes, et non de personnages et, même si Carrère a déjà écrit sur Limonov, écrivain russe à qui il est arrivé des péripéties incroyables, dans un livre éponyme et qui est également un excellent rappel des époques lugubres traversées par la Russie dans les années 1990, les protagonistes de D’autres vies semblent les plus réels, car ils sont plus ordinaires et moins extraordinaires.

Avant même le réalisme, il y avait l’Abbé Prévost avec Manon Lescaut, en 1731. Même si son récit relève plus de l’esthétique classique, nous sommes pourtant tenté d’en faire le précurseur du réalisme, pour la présence d’énormément de détails très précis sur divers lieux bien réels ou sur la société, avec une précision étonnante sur le plan chronologique, qui n’était pas le souci de l’époque, qu’il s’agisse du temps effectué pour les déplacements ou bien la cohérence entre les événements. Bien que le souci de Prévost n’était pourtant pas la vérité historique ni même d’orienter son roman vers une esthétique réaliste, on y sent quelques influences des romanciers anglais de l’époque, comme Defoe ou Richardson, dans l’attention portée aux détails socio-historiques ainsi qu’à la description urbaine, assurant la vraisemblance.

Avant d’écrire son oeuvre, Balzac publie en 1829, Physiologie du mariage, à la fois méditation scandaleuse et essai polémique pour l’époque, en abordant des questions peu morales sur le mariage et

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