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Henri Michaux - explorateur de l’infini des signes et des images

Commentaire de texte : Henri Michaux - explorateur de l’infini des signes et des images. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  9 Septembre 2018  •  Commentaire de texte  •  9 095 Mots (37 Pages)  •  1 317 Vues

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Henri Michaux, explorateur de l’infini des signes et des images[pic 1]

Peinture à l'encre de Chine, 1962, 75 x 105 cm, Grenoble, Musée de Grenoble

L’œuvre de Henri Michaux peut être dérangeante, surprenante à la première lecture, au premier regard. Il déconstruit les codes traditionnels de lecture et nous ouvre à de nouveaux possibles.

Contemporain de plusieurs générations d’artistes ayant conjugués écriture et peinture, Michaux prolonge la réflexion. Comme à la manière des « -ismes » du XXe siècle, notamment le surréalisme et la période Dada, Michaux met à mal la langue française. Mais il se distingue des autres artistes dans le sens où il réunit l’iconique et le scriptural tout au long de sa vie. Le poète, en distordant le signifié et le signifiant, remet en scène l’essence même de ce qu’est notre langage : le signe. Henri Michaux démantèle le système linguistique dans ses écrits ainsi que la forme même des lettres dans ses peintures pour créer ses propres Alphabets, notamment. Dans ces derniers, les formes des lettres sont disparates. Il y subsiste, toutefois et toujours, une certaine forme de lisibilité. Il est alors inévitable d’y voir une réminiscence de la page d’écriture, qui sans l’imiter, donne un effet, sinon une perception de celle-ci.

Nous verrons que l’expressivité du poète connaîtra plusieurs mouvances jusqu’aux expériences de la mescaline, drogue qu’il prendra durant de nombreuses années. Ses œuvres, essentiellement effectuées à l’encre de Chine – technique qu’il préférait à l’huile ou la gouache pour sa malléabilité – lui permettront de coucher sur papier frénésie, inspiration, exaltation.

Partant de ces « collants partenaires » que sont les mots pour Michaux, nous allons donc tenter de saisir comment il dissocie le signifiant du signifié et ce qui va l’amener à créer son propre langage qu’il voudrait compréhensible pour tout un chacun ; regarder comment il l’exprime lorsqu’il écrit et lorsqu’il dessine.

« Faut-il une déclaration ? Ne voit-on pas que

je peins pour laisser là les mots, pour arrêter

la démangeaison du comment et du pourquoi ?[1] »

1. Michaux « poètre »

  1. L’ekphrasis selon Michaux

Dans son œuvre si riche, Michaux commente plusieurs tableaux d’artistes, notamment ceux de Magritte, de Paul Klee ou encore de Zao Wou-Ki dans Dessins commentés ou Lecture par Henri Michaux de huit lithographies de Zao Wou-Ki. Michaux a toujours été proche des peintres. Lorsqu’il s’attèle à la tâche de mettre en mots les œuvres auxquelles il fait face, il veille à ne les éclairer que de manière indirecte. Cette démarche est explicative, plus largement, de ses rapports aux mots, aux dessins.

Dans Dessins commentés, on décèle deux approches : « l’une fondée sur le parti pris des choses et le compte tenu des mots suivant le principe de l’observation-description ; l’autre fondée sur la virtualité et l’onirisme, obéissant avant tout au plaisir des mots et à la liberté de création »[2]. Le travail d’écriture ekphrastique de Michaux insuffle au genre « classique » - qui a(vait) pour fonction initiale de décrire verbalement et de représenter un objet artistique sur le postulat de la convergence entre les arts visuels et les mots - un nouveau modèle d’expression. Michaux ne cherche pas « […] à reproduire verbalement l’image en tant que simulacre transparent car lisible ; l’écriture intègre chez lui l’image en partant de ses effets afin d’en parcourir les possibilités »[3].

Alors que les mots nomment, les images donnent à voir. Celles-ci préexistent, dans le cas précis, à l’écriture. Ce qui rend le travail de l’écrit complexe.

Un exemple illustre se trouve en début de la première partie des Dessins commentés lorsque Michaux parle, pour ne pas dire décrit, trois personnages :

« Ce sont trois hommes sans doute ; le corps de chacun, le corps entier est embarrassé de visages ; ces visage s’épaulent et des épaules maladives tendent à la vie cérébrale et sensible »

(I 436).

L’utilisation de la locution « sans doute » exprime ce qui semble visible dans le dessin. Elle laisse libre cours, à la perception du spectateur, d’y voir ce qu’il souhaite. Michaux continue sa description en mentionnant que ces trois personnes supposées « […] ont médité de faire bouche, nez, oreilles et surtout de se faire yeux […] » (I 436). Certes, l’écrivain use de mots relatifs au visage humain mais ne place pas ces détails sur le visage ni dans l’espace ; c’est à l’imagination, sinon à la perception de chacun de les placer où bon lui semble, un peu à la Picasso. L’écrivain joue sans cesse sur « la réalité visible du dessin et la perception du visible avec l’imagination. »[4] 

En 1950, un an après la rencontre d’Henri Michaux et Zao Wou-KI, le poète écrit huit poèmes – Lecture par Henri Michaux de huit lithographies de Zao Wou-Ki. Il écrit ces textes une nuit après avoir vu, pour la première fois, les œuvres de son ami.

Le terme « lecture » n'est pas choisi au hasard ! Michaux s'en explique. Lire un livre, dit-il, en substance, est très ennuyeux car « le chemin y est tout tracé par les lignes et les pages » (II 262). Aucune liberté de cheminement ! En revanche, dans un tableau, la promenade y est possible : « à gauche, aussi, à droite, en profondeur, à volonté. Pas de trajet, mille trajets, et les pauses ne sont pas indiquées. Dès qu’on le désire, le tableau, à nouveau, entier. Dans un instant tout est là. […] C’est ici qu’il faut commencer à lire »

(Passage, II 283). Nous sommes donc lecteurs des lithographies.

Chaque double page du volume de la Pléiade présente, à gauche, le texte de Michaux, à droite, une reproduction d'une des lithographies. Première constatation : les textes se présentent comme des poèmes avec des correspondances visuelles entre les deux pages.

Michaux dessine aussi littéralement son texte, en graphiste, en typographe et en peintre, déployant ses phrases dans l'horizontalité, jouant sur la longueur des vers pour traduire les lignes de force haut/bas, droite/gauche, devant/derrière qu'il découvre dans le tableau.

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