Des Traces Dans Le Corps - Chapitre XIV - Éléments De Philosophie (Alain)
Commentaires Composés : Des Traces Dans Le Corps - Chapitre XIV - Éléments De Philosophie (Alain). Recherche parmi 298 000+ dissertationsPar CucuPraline • 12 Avril 2014 • 795 Mots (4 Pages) • 936 Vues
Je pense à cette cathédrale d'Amiens, qui est bien loin de moi ; il me
semble que je la revois ; je la reconstruis sans chercher ailleurs qu'en moi-
même. Il est clair que cette reconstitution d'un souvenir ne serait pas possible
si je n'emportais quelque trace des choses que j'ai perçues. Et comme j'empor-
te partout avec moi ce corps vivant, toujours reconnaissable, et qui d'ailleurs
ne supporterait pas des changements soudains, il est naturel de supposer que
c'est quelque partie de mon corps qui garde de mes perceptions une espèce
d'empreinte, comme celle que laisse la bague dans la cire. Cette métaphore
suffisait aux anciens auteurs ; et un Platon, certainement, n'en était pas dupe,
ayant appris à bien distinguer les états du corps et ses mouvements des
perceptions ou pensées. Mais depuis, par une connaissance plus exacte de la
structure du corps, la métaphore a voulu prendre figure de vérité. Et c'est un
des points où le philosophe doit porter son attention. D'abord, s'il a bien saisi
ce qui précède, il ne voudra rien recevoir qui ressemble à ces petites images
des naïfs épicuriens, qui entraient par les sens et se gravaient dans les parties
molles et plastiques du cerveau. Mais la vraie réflexion à faire là-dessus n'est
pas qu'on connaît mal ce qui se passe le long des nerfs et dans le cerveau ;
c'est que le cerveau, les nerfs et le cheminement qu'on suppose, aussi bien que
le milieu physique et la chose même, sont une perception au milieu d'autres
perceptions, indivisible comme toutes, et pensée comme toutes, avec des rap-
ports, des distances, des parties extérieures les unes aux autres ; et le cerveau,
en ces images, n'est jamais qu'une partie du monde, qui ne peut contenir le
tout. Pour parler autrement, il n'y a dans le cerveau que des parties de cerveau,
et il ne s'y peut inscrire que des formes et mouvements de ces parties. Au reste
ces formes et ces mouvements sont parfaitement ignorés du penseur, au
moment où il pense le monde d'après ses impressions et ses souvenirs. C'est
ma pensée qui seule est une pensée pour moi ; tout le reste est chose. Et, pour
tout dire, dans un cerveau agrandi autant qu'on voudra, on ne pensera toujours
que cerveau, et nullement les autres choses de l'univers.
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