LaDissertation.com - Dissertations, fiches de lectures, exemples du BAC
Recherche

Compte Rendu Du livre Littoral De Mouawad

Mémoires Gratuits : Compte Rendu Du livre Littoral De Mouawad. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  27 Janvier 2014  •  1 303 Mots (6 Pages)  •  1 122 Vues

Page 1 sur 6

Wajdi Mouawad, metteur en scène et écrivain libanais, a connu dans son enfance l'horreur de la guerre civile qui ravagea son pays d'origine. C'est probablement de sa propre vie, donc, qu'il s'inspire pour écrire Littoral, de ses propres interrogations, de ses propres angoisses. Et quoi de mieux que le théâtre pour exprimer ce genre d'émotions ? Très proche de l'antique tragique grec (puisqu'il a mis en scène trois des pièces de Sophocle l'année dernière), il retranscrit dans son œuvre une quête de réponses, de solutions, à travers une écriture tragique moderne. Très dense, sa pièce tente de conter le passage de l'enfance -ou de l'adolescence- à l'âge adulte, à l'aide de l'irruption de toutes ces questions que se pose tout jeune, ou tout être humain. Il aborde des thèmes universels, qui touchent absolument tout le monde, car qui n'a jamais mélancoliquement ressasser les évènements de sa jeunesse ? Ou qui, enfant, n'était pas effrayé par cette réalité, synonyme du monde adulte ? Qui n'a jamais eu peur de la mort, de la solitude, de l'isolement, du souvenir lorsque celui-ci est blessant ? Existences brisées, Mouawad met en scène des personnages tous profondément brisés quelque part, par la guerre et son horreur, mais aussi, voire surtout, par la peur de vivre.

Ses thèmes sont variés, il parle de la solitude, de la mort, de la vie, de l'enfance, de l'imagination, de la mémoire, du silence, autant de thèmes quotidiens que nous affrontons tous. Et si son livre commence par une scène relativement comique, Wilfrid, personnage principal, qui vient raconter à un juge la « meilleure baise de sa vie », cette même scène annonce vite la suite de la pièce. Son père est mort. C'est donc un drame que Wajdi Mouawad nous présente, un drame très original, très contrasté, avec des passages d'horreur, des passages de pure poésie, et d'autres de crises existentielles. Vaste, donc, cette œuvre. L'histoire principale est relativement simple : ce fameux Wilfrid veut trouver un lieu de sépulture pour son père, et il va décider de l'enterrer dans son pays d'origine. S'ensuit alors une quête, à laquelle viendront se greffer divers personnages tous marginaux, et cette quête s'étoffera, prendra de l'importance au fur et à mesure. D'autres thèmes viennent alors se greffer, notamment celui de l'amitié, puisque c'est grâce aux personnages qui l'entourent qu'il accomplira son objectif. Si certains passages sont écrits dans un registre familier, ou bien en usant de mots usuels du langage québécois (comme « je capote », par exemple), l'ensemble de l’œuvre est effroyablement poétique, et c'est probablement d'ailleurs ce fameux contraste qui renforce la beauté de certains passages. La pièce n'est pas vraiment ouverte à tout public, notamment pour ces scènes horribles de la guerre, et elle s'adresse particulièrement aux adolescents, ou du moins leur parle-t-elle plus. Composée de six actes (Ici, Hier, Là-Bas, L'autre, Chemin et Littoral) et de quarante-six scènes, on remarque que le dernier tableau porte le nom du livre, probablement pour symboliser l'objectif de toute une quête. Il y a certaines références au cinéma, notamment dans l'imaginaire de Wilfrid, avec l'irruption d'un réalisateur sans nom, accompagné de son équipe tout aussi anonyme. Et si tout au long de l'histoire, les personnages portent le lourd fardeau d'une peine indélébile, au terme de ce livre, tous semblent s'apaiser un peu.

La question serait de savoir pourquoi. Et Mouawad semble donner plusieurs réponses possibles. La première qui m'a paru importante, c'est la notion de fuite. En effet, tous les personnages du livre fuient constamment quelque chose. Wilfrid fuit la réalité à travers l'imagination, avec ses divagations de films, le chevalier, son père qui parle, etc. Simone, elle, fuit la solitude et la douleur par le bruit, le chant, les cris. Quelque peu semblables, Massi et Sabbé fuient tout deux l'horreur et la peur par le rire. Amé, lui, fuit sa peine par le silence, le repli sur lui-même, et l'agressivité. C'est probablement le personnage le moins enclin à l'espoir qui guide tous les autres. Joséphine semble fuir l'oubli par l'obsession de se souvenir des noms. Même le père de Wilfrid a fuit tout au long de sa vie : il a voyagé, abandonné son fils, évité de le contacter, et, étrangement, au terme de sa vie, il ne veut plus dériver, comme s'il avait compris, lui aussi, que la fuite ne menait pas au bonheur. Et c'est lorsque chacun cesse de fuir que l'apaisement progressif se produit, Wilfrid abandonne son chevalier, Simone va arrêter de chanter seule pour parler aux autres, et les autres la suivront. Joséphine abandonne ses bottins pour le père. Et c'est cette prise de conscience de l'altérité qui semble les pousser à arrêter leur fuite effrénée. La notion de l'autre est essentielle dans ce livre. Elle est aussi à la source de la relation avec la mort, de la façon d'honorer ses défunts, elle définit l'amitié qui se crée entre les personnages, et elle est aussi la solution à bien des choses. Mais plus essentiel encore, c'est le fait de raconter qui sauve les protagonistes. Chacun cache ses plaies, jusqu'à les raconter, et une fois leur histoire exprimée, ils semblent tous se calmer peu à peu. Raconter pour ne pas oublier. Pour ne pas oublier l'importance de vivre, pour ne pas oublier les morts qui ont vécu, pour ne pas oublier sa propre identité et celle de sa famille et de ses amis, pour ne pas oublier l'horreur. C'est un livre de la mémoire, et de la façon d'aborder les pires souvenirs que l'on enfoui en soi.

C'est important de raconter, et c'est aussi le travail de l'écrivain. L'écriture, c'est raconter quelque chose d'important d'une certaine manière, et la prose de Mouawad est hallucinante de poésie et de beauté. Ce fameux contraste évoqué plus haut, il participe à l'équilibre de l’œuvre : il la façonne. Ainsi, la beauté du langage poétique ressort mieux au milieu de l'horreur, l'espoir est plus touchant lorsqu'il apparaît dans le cœur d'âmes brisées. Et cet effacement presque constant de la frontière entre la fiction et la réalité installe une atmosphère onirique, empreinte de cauchemardesque. Cette balance incessante entre esthétisme et abomination, c'est ce qui fait une grande partie du charme de l’œuvre de Mouawad, et c'est ce radicalisme dans ses thèmes, qu'il exploite au maximum, notamment en renforçant le dégoût que l'on pourrait éprouver pour le personnage d'Hakim lorsqu'il raconte l’écœurante histoire du père et de sa fille, mutilés. Les questions qu'il aborde sont si universelles qu'elles sont sujettes à différentes perceptions, interprétations, selon le bagage culturel et personnel de chaque lecteur, et c'est ce qui me plait le plus dans cette pièce. La densité des thèmes, l'universalité des questionnements, la beauté de sa prose, la façon novatrice d'aborder l'altérité et la solitude, dans un contexte dépaysant, alors qu'il nous touche aussi à Montréal. L'apparition des nouvelles technologies mène l'être humain à se replier sur lui-même de plus en plus, à s'enfoncer dans sa solitude. Cette apologie de la sociabilité est donc tout à fait moderne. Mouawad impose aux lecteurs des questionnements par dizaine, le poussant à réfléchir à certaines choses de sa vie.

Ainsi, cette pièce de théâtre d'une grande poésie raconte l'histoire de la vie à travers une quête. La quête d'identité, très probablement. Le souvenir. Et s'il est vrai que c'est le but de l'auteur de raconter son histoire, Mouawad l'a peut-être simplement fait pour apaiser son âme à lui. Et pourtant, le lecteur est perforé par cette histoire d'une finesse rare. En apaisant son propre esprit, il apaise aussi celui de ses personnages, de ses lecteurs, et très sûrement de ses spectateurs. C'est la mort qui domine tout au long de son ouvrage, et pourtant c'est un hymne à la vie. Il semble dire que pour vivre vraiment, il faut cesser de fuir. Et comme disait Camus dans son Etranger : « Il n'était même pas sûr d'être en vie puisqu'il vivait comme un mort. ».

...

Télécharger au format  txt (8.1 Kb)   pdf (83.3 Kb)   docx (8.7 Kb)  
Voir 5 pages de plus »