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Annie Ernaux, La femme gelée

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Par   •  3 Février 2024  •  Commentaire de texte  •  2 149 Mots (9 Pages)  •  62 Vues

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Objet d’étude – La littérature d’idées et la presse du XIXe au XXIe

Séquence 2 : Parcours autour de l’émancipation féminine

Annie Ernaux, La femme gelée

Ecrivaine et philosophe française contemporaine, Annie Ernaux n’a cessé de défendre la cause des femmes et s’est attachée au combat pour la condition des femmes. Elle naît en 1940 dans une famille d’ouvriers devenus ensuite petits commerçants (ils tiennent un café-épicerie). Elle suit des études supérieures de lettres et devient enseignante. Or, cette ascension sociale lui a donné le sentiment de trahir son milieu d’origine. Sa culture croissante et la découverte d’autres modes de vie ou d’autres valeurs l’ont amenée à porter dans ses livres un regard distancié sur ses origines populaires, à la fois critique et admiratif.

En 1974, elle publie son premier roman Les Armoires vides. Son œuvre devient de plus en plus autobiographique. Elle y explore par exemple son adolescence dans Ce qu’ils disent ou rien en 1977, l’ascension sociale de ses parents dans La Place, prix Renaudot en 1984 ou ses expériences de femme du XXème siècle comme l’échec de son mariage dans La Femme gelée en 1981. Dans ce roman dont nous allons étudier un extrait, elle montre en particulier les limites de l’émancipation féminine dans les années 60. Mariée à un étudiant en droit pourtant pétri de théories idéales sur l’égalité des sexes, elle est pourtant vite happée par un conditionnement imposé par la société qui dépasse largement sa conception du couple. C’est seule qu’elle accomplit  toutes les tâches ménagères et se sent très vite dépossédée d’elle-même. Le lecteur observe la jeune femme pleine d’enthousiasme et de curiosité pour les études et l’avenir, perdre peu à peu son élan, ses propres désirs de liberté et devenir comme tant d’autres une « femme gelée ».

Problématique(s) 

  • En quoi ce texte rend-il compte des difficultés de la lutte féminine pour l’égalité ?
  • En quoi ce texte fait-il le réquisitoire d’une société inégalitaire ?
  • En quoi ce texte questionne-t-il sur la place de la femme dans notre société contemporaine ?

I Une égalité théorique

  1. Image du couple parfait 

Les premières lignes de cet extrait nous donnent une image d’un jeune couple uni. Annie Ernaux utilise ici le présent de narration pour essayer de restituer un moment du récit. Dans les premières lignes du premier paragraphe, les pronoms personnels « nous », répétés à trois reprises et « on » sont des éléments qui marquent l’unité, la fusion. « Unis, pareils » l.7 montre cette unité entre ces deux jeunes gens. La phrase nominale tombe comme un constat inébranlable.

  1. Un discours d’égalité 

L’expression qui désigne le jeune couple « moderno-intellectuel » l.3 souligne l’idée que la narratrice a cru à une égalité respectée. Egalité intellectuelle «on a parlé ensemble» l.51, égalité professionnelle « il souhaite que je réussisse au concours de prof, que je me « réalise » comme lui » l.49-50, égalité domestique « il établit des plans d’organisation pour les courses, l’aspirateur » l.54.

Cette égalité de principe devant la cuisine s’exprime aussi par le fait que ni l’un ni l’autre n’a été « prédestiné » par son éducation à l’assumer : « Je ne savais pas plus que lui préparer un repas […]. Aucun passé d’aide culinaire […] ni l’un ni l’autre. » l.12-13-14. Cette égalité doit se concrétiser aussi dans le respect de la liberté de chacun « Intellectuellement, il est pour ma liberté. ». L’emploi du verbe d’état « être » renvoie à l’idée d’un état de fait non négociable.

  1. Un modèle parental 

La narratrice évoque alors le couple de ses parents qui a mis en pratique cette égalité devant les tâches domestiques : « Je revoyais mon père dans la cuisine » l.16, « Non je n’en ai pas vu beaucoup d’hommes peler des patates » l.19.

Et c’est là que la théorie se fissure. Si le jeune homme est « intellectuellement » l. 54 pour la liberté, cela ne se traduit pas par la pratique. Si « Dans la conversation, c’est toujours le discours de l’égalité » l.50, il faut comprendre en creux que dans les faits, c’est la pratique de l’inégalité. Cet idéal se limite chez le mari aux paroles ou aux pensées : « le discours de l’égalité », « il m’encourage », « il souhaite » l.49, « il me dit et me répète » l.53. Les termes d’union sont brutalement contredits (mis en opposition) par les faits : « ensemble/seule » (2 fois) ; « ressemblance/différence » ; « nous deux/Moi », « A toi d’apprendre » l.22. La réalité s’impose à travers une phrase très orale, et donc brutale, et sa syntaxe disloquée : « Le réel, c’est ça, un homme, et qui bouffe » l.35.

II Une inégalité de réalité dictée par la société

  1. Deux modèles d’éducation en opposition

Le modèle du couple formé par les parents de la narratrice est récusé par son mari « Mon modèle à moi n’est pas le bon » l.19, nouvel emploi du verbe d’état « être » qui assène une vérité mais sans justification raisonnable, par le mépris et la dérision : « Mes parents, l’aberration, le couple bouffon » l.18, le rythme ternaire et l’absence de verbe accentuent l’idée d’un jugement rapide qui ne laisse pas de place à l’objection. Le modèle de la jeune femme s’oppose au modèle de son mari. La métaphore « Le sien commence à monter à l’horizon » l.20 suggère une menace qui grandit et occupera bientôt tout l’espace. Il s’agit en fait, implicitement, d’une différence de milieu social (la narratrice appelle son beau-père « monsieur père » l.20 pour souligner ironiquement son statut social !) et de niveau intellectuel « lui si disert, cultivé » l.21. Le mari se comporte comme son père, il est disert ; il a le discours, les paroles mais non les gestes. L’origine sociale crée une opposition entre le jeune couple. Réapparait ici le modèle traditionnel de l’homme instruit et cultivé et de la « femme popote » l.53 : « monsieur père laisse son épouse s’occuper de tout dans la maison » l.21. L’opposition entre 2 conceptions éclate alors, soulignée par la sentence nominale courte rapportée au discours direct et mise en valeur par le point d’exclamation « Le genre de ton père, pas le mien ! » l.18.

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