Commentaire composé Kafka, Amérika : la course poursuite
Commentaire de texte : Commentaire composé Kafka, Amérika : la course poursuite. Recherche parmi 302 000+ dissertationsPar Claire Lopes • 22 Mars 2021 • Commentaire de texte • 2 628 Mots (11 Pages) • 828 Vues
Commentaire composé sur Kafka,
extrait p. 227 (« Dans quel hôtel étais-tu employé ? ») à la page 237 (« sinon tu pourrais faire avec moi des expériences désagréables)
Amerika ou le Disparu est le premier roman de l’auteur Franz Kafka composé entre 1911 et 1914 et laissé inachevé, jusqu’à sa publication à titre posthume en 1927. Il s’agit d’une sorte de « roman d’apprentissage », ou de Bildungsroman dans la langue de Kafka, mais inversé et perverti, parce que la faute du jeune homme, Karl Rossmann, va le suivre pendant son périple américain. Bien loin de l’accomplissement voulu dans un roman d’apprentissage, la destinée suivie échoue à un échec total de l’expérience de vie américaine de Karl.
Cet extrait se situe à l’intermédiaire de la rencontre avec la chanteuse Brunelda et le licenciement de Karl de l’Hôtel Occidental, renvoi causé en partie par Robinson. Il retrace l’interrogatoire subi par Karl de la part de l’agent de police, lorsque Karl essaie de prendre congé des deux plaies que sont Robinson et Delamarche. Ce départ est constamment retardé et repoussé de sorte que Karl est contraint de s’associer une seconde fois avec ses ennemis.
En quoi cet extrait pousse-t-il le personnage, qui court à sa propre perte, vers une destinée misérable (en s’alliant à ses bourreaux), tout en détournant le sérieux de l’interrogatoire ?
Ainsi, dans un premier temps, il s’agit de se consacrer à la mise en scène théâtrale et mélodramatique : le sérieux de l’interrogatoire est détourné et amené au ridicule, de façon à ce qu’il perde toute crédibilité auprès du lecteur. Ensuite, dans un second temps, il est important d’analyser le personnage de Karl, qui, dans cette Amérique inconnue, court à sa propre perte. Finalement, dans un dernier temps, il est primordial de voir en quoi le roman de Kafka prend le contre-pied du Bildungsroman : il s’appuie sur l’existence de vie de Karl, qui est déjà préétablie dès son arrivée en Amérique, ou bien même dès la faute commise dans son pays natal. Karl est en effet impuissant face à la destinée misérable, à laquelle il ne peut échapper.
Le chapitre VII « Brunelda » dans lequel se situe notre extrait montre l’arrivée de Karl et de Robinson dans une ville aux allures fantasmagorique et désertique. Karl sortant du véhicule afin de prendre congé de son ennemi Robinson est interrompu par un agent de police. La rue devient rapidement le lieu d’un spectacle prodigieux, dont la mise en scène vire au mélodrame.
Cette scène met en avant le personnage de Karl Rossmann, qui subit un interrogatoire par un agent de police dans un état déplorable. En effet, son départ imminent et précipité de l’Hôtel Occidental a provoqué l’oubli (après celui du parapluie et de la mallette dans le bateau et de la casquette dans la villa Pollunder) de sa veste et donc de ses papiers d’identité. Karl ne paie pas de mine : au niveau de son apparence physique, il se tient « en bras de chemise » devant les pouvoirs publics. Il ressemble fortement à un personnage farcesque et figure comme un dindon de la face. Son apparence est alourdie par le propos qu’on pose sur lui : Il est caractérise comme une « fripouille », donc comme une personne malhonnête, un escroc, une crapule. Loin de la vraie personnalité de Karl en tant que garçon naïf, les « insultes » tenus contre lui correspondent bien plus à ses ennemis. A travers cet extrait, une mauvaise image est donnée du garçon, dont le lecteur suit le périple depuis son arrivée aux États-Unis : on dit de lui que « cela parait être un garçon buté » et encore ce n’est là pas son pire défaut, alors que cet entêtement et obstination se contredisent plus loin lors des hésitations de Karl pour le choix de route à prendre.
La mise en scène théâtrale du spectacle de rue se manifeste aussi par rapport au positionnement des personnages dans l’espace. Comme la ville est l’espace d’un malentendu permanant, le lecteur se rend vite compte que Karl est seul contre tous. Au début de l’extrait, Karl fait face à l’agent de police, mais peu à peu il est encerclé par un grand nombre, alors que le quartier dans laquelle habite Brunelda est censée être un endroit désert. L’ironie portée sur cette rue à l’apparence désertique s’oppose à la présence de multiples personnages comme le gars du porche, de la femme qui se tient à côté de lui, les débardeurs, etc., et elle enlève le sérieux de l’interrogatoire mené par le policier. Kafka tourne la scène à la dérision et provoque le rire du lecteur, accentué d’autant plus au moment où Karl prend la fuite. Néanmoins, l’encerclement progressif de la proie est indiqué par le verbe « venir » : « Delamarche en venant se place à côté de l’agent de police » ou encore les enfants « vinrent se ranger près de Delamarche ». Il atteint point culminant, lorsque les débardeurs viennent s’ajouter encore, car ils « avaient formé derrière Karl un arc de cercle dense ». Karl se retrouve encerclé, presque emprisonné, pris au piège par ses ennemis et la fuite semble jusque-là impossible.
Non seulement, le personnage de Karl se perd dans son apparence physique minable et médiocre et dans l’espace de la rue dominé par ses adversaires, mais il se perd aussi géographiquement, dans cet endroit inconnu et dans cette ville américaine aux apparences labyrinthiques. La ville est perçue comme un lieu de mise en procès et un espace de questionnement harcelant sur l’identité. Le trajet de Karl est marqué par une progression de la violence présenté par le lexique du corps avec la main et le bras qui reviennent à plusieurs reprises. Il ne reste à Karl plus que l’espoir de la fuite, mais elle n’aboutira pas, car l’espace labyrinthique n’offre aucune issue. Karl est jusque-là dominé par ses ennemis et encerclé de sorte à ne pas pouvoir fuir. Quand soudain, « il se sentit libre » et se mit à courir dans ce quartier ouvrier. Il enclenche ainsi une course poursuite avec l’ordre public : il court le long d’une longue rue en pente, qui permet de voir au loin. Mais cette rue est traversée par de nombreuses rues transversales dangereuses pour Karl, car derrière ces dernières pourrait se cacher un commissariat ou une impasse. Karl décide de courir droit devant lui, afin de ne pas se perdre dans cette ville à l’aspect labyrinthique. Cette rue en pente donne l’illusion au lecteur de la difficulté de la gravir : le lecteur comprendra plus tard que la pente n’est pas ascendant ce qui augmenterait l’effort produit lors de la course poursuit, mais qu’elle est en effet descendante, car Karl « volait ou, mieux, dégringolait la rue de plus en plus en pente ». le lecteur est ainsi dupé et berné, lui qui est victime d’une illusion verticale, en hauteur, de la ville. L’aspect comique est renforcé, car Karl n’est pas le seul à se perdre en Amérique.
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