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Faut-il s'abêtir pour croire en Dieu ?

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Par   •  9 Septembre 2023  •  Commentaire d'oeuvre  •  91 480 Mots (366 Pages)  •  198 Vues

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Faut-il s’abêtir pour croire en Dieu ?

Essai sur un texte de Blaise Pascal

« “Infini rien”. Je le confesse, je l’avoue, mais encore n’y a-t-il point moyen de voir le dessous du jeu ? oui l’Écriture et le reste, etc. Oui mais j’ai les mains liées et la bouche muette, on me force à parier, et je ne suis pas en liberté, on ne me relâche pas et je suis fait d’une telle sorte que je ne puis croire. Que voulez-vous donc que je fasse ? – Il est vrai, mais apprenez au moins que votre impuissance à croire vient de vos passions. Puisque la raison vous y porte et que néanmoins vous ne le pouvez, travaillez donc non pas à vous convaincre par l’augmentation des preuves de Dieu, mais par la diminution de vos passions. Vous voulez aller à la foi et vous n’en savez pas le chemin. Vous voulez vous guérir de l’infidélité et vous en demandez les remèdes, apprenez de ceux, etc. qui ont été liés comme vous et qui parient maintenant tout leur bien. Ce sont gens qui savent ce chemin que vous voudriez suivre et guéris d’un mal dont vous voulez guérir ; suivez la manière par où ils ont commencé. C’est en faisant tout comme s’ils croyaient, en prenant de l’eau bénite, en faisant dire des messes, etc. Naturellement même cela vous fera croire et vous abêtira. Mais c’est ce que je crains. – Et pourquoi ? qu’avez-vous à perdre ? mais pour vous montrer que cela y mène, c’est que cela diminue les passions qui sont vos grands obstacles, etc. » Pascal, les Pensées, Laf. 418. 

OUVERURE

        Dans une première approche, nous examinerons l’accueil fait aux Pensées et à sa célèbre formule « Cela vous abêtira », puis nous analyserons la lecture historique d’É. Gilson sur l’abêtissement en ses multiples acceptions. Il est entendu que la sentence irrévérencieuse de Pascal prend pleinement son sens dans le cadre du pari dont nous dresserons un récapitulatif. Puis, chemin faisant, nous étudierons le double objectif de l’apologie et ses multiples facettes jusqu’au sentiment du corps. Ensuite, nous passerons à l’étude de la machine en son double sens de la machine perçue comme objet technique (La pascaline) et comme objet textuel dont l’enjeu est de saisir le sens de l’abêtissement machinal. C’est selon cette ligne que nous examinerons ce qu’il en est de la Machine en rapport avec l’automate, le corps jusqu’à l’intelligence de la Machine. Puis, nous aborderons le corps-machine et la bête allant jusqu’à l’idée du corps du Christ en passant par notre condition existentielle. Il ne serait question d’examiner le sens de l’abêtissement sans faire référence au dualisme cartésien de l’âme et du corps dont Pascal, à juste titre, exerce une fine critique, le tout pour mieux comprendre l’équation automate-machine-abêtissement. Cette dernière triplicité implique des considérations éthiques ou morales avec la question du statut de l’animalité. Enfin, nous étudierons la perspective épistémologique de la théorie de l’abêtissement. Dans ce dernier chapitre, nous montrerons que son activité peut être réduite au fait d’une activité mnémotechnique qui se passe de toute activité rationnelle, et que ce caractère comporte un avantage certain dans l’ordre de la connaissance. Il s’agit ici de montrer que la répétition des prières comporte un avantage gnoséologique, en subordonnant l’activité de l’esprit aux mécanismes secrets de la mémoire. L’importance de cette particularité de la prière sera expliquée en insistant, en conclusion, sur le rapport qu’entretient la gnoséologie des preuves de la vérité du christianisme avec le modèle d’automate que constitue la machine arithmétique.

I. Le vocabulaire pascalien du verbe « s’abêtir »

I.1.  La réception historique du verbe

La réception historique immédiate du fragment du pari jette sur le choix du verbe « abêtir » un regard critique qui, pour le lecteur contemporain, est tombé en désuétude. Croire en s’abêtissant revêt dans les termes une connotation péjorative, presque blasphématoire. C’est du moins ce qu’ont pensé l’édition des Pensées par Port-Royal. En tous cas, l’expression sied mal à un auteur pour qui la foi est l’objet d’une quête censée dépasser de loin l’intelligence humaine[1].

La suppression du mot « abêtir » et sa restitution par V. Cousin[2] Les premiers lecteurs de Pascal, hormis les éditeurs de l’édition de Port-Royal de 1670 qui disposaient des papiers, n’ont pas eu l’occasion d’être embêtés par la signification de cet hapax qu’est le verbe « abêtir » chez Pascal. En effet, les amis jansénistes du philosophe l’ont supprimé du fragment. Plus encore, c’est tout le paragraphe qu’ils ont reformulé : le texte des papiers trouvés, qui indiquait « c’est en faisant tout comme s’ils y croyaient, en prenant de l’Eau bénite en faisant dire des Messes etc. naturellement même cela vous fera croire et vous abêtira » est remplacé dans l’édition de Port-Royal par « imitez leurs actions extérieures, si vous ne pouvez encore entrer dans leurs dispositions intérieures »[3]. Cette nouvelle tournure a ainsi été reproduite dans les éditions subséquentes, notamment celle de Condorcet en 1776 et celle de l’abbé Bossut en 1779. Quant aux fragments référant à « la Machine », et qui auraient pu faire l’objet de commentaires préparatoires à l’interprétation du mot « abêtir », aucun de ces fragments ne sont non plus retenus par l’édition de Port-Royal[4]. La nature de l’abêtissement pascalien n’a donc commencé à susciter d’interrogations qu’à partir de la publication, par Cousin, d’un texte intitulé Des pensées de Pascal : rapport à l’Académie française sur la nécessité d’une nouvelle édition de cet ouvrage, dans le Journal des savants d’avril-novembre 1842, où l’historien de la philosophie montrait, à partir de nombreux exemples dont celui-ci, que le texte pascalien avait jusque-là subi d’importantes altérations[5]. Et ce réquisit, qui conduit en 1844 à la publication par Faugère de la première édition conforme aux manuscrits originaux, répudiait pour une première fois l’utilisation par Pascal du verbe « abêtir », dans une formule souvent rapportée dans la littérature : « Quel langage ! Est-ce donc là le dernier mot de la sagesse humaine ? La raison n’a-t-elle été donnée à l’homme que pour en faire le sacrifice, et le seul moyen de croire à la suprême intelligence est-il, comme le veut et le dit Pascal, de nous abêtir ? [...] Comme si, d’ailleurs, lorsqu’on a hébété l’homme, il en était plus près de Dieu ».[6] 

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