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Échos d’une rémission sans complétude

Commentaire d'arrêt : Échos d’une rémission sans complétude. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  1 Février 2024  •  Commentaire d'arrêt  •  12 489 Mots (50 Pages)  •  33 Vues

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Échos d’une rémission sans complétude

 Réflexions sur le « mystère Estelle »

La rémission ordonnée des drames est l’objectif à valeur civilisationnelle pour lequel la recherche d’Estelle Mouzin a été érigée en totem. Nous avons  accepté le terme résilience comme métaphore d’une capacité, comme notre faculté à imaginer collectivement une voie de rémittence grâce à un faisceau de "panacées". Quand la monstruosité d’une instruction, voire les incohérences des audiences, disputent le légendaire, au conte sociétal de nos mobilisations, on ne peut que constater combien de chroniqueurs hésitent entre leur prise en otage par les réprouvés depuis le banc de accusés et leur mise au service des éprouvés qui sont parties civiles. Face à cette difficulté d’arracher "leur trophée" aux deux assassins, les rhétoriques judiciaires et les prises de parole médiatiques répètent des scènes parfois vaines. Et le conte, que j’ai souvent allégué, complète sa mosaïque de temps en faisant miroiter les mythes, les mémoires spectrales et les cruelles révélations pour une vraie dignité des victimes (le consentement de Me too). J’ai déjà pointé les réminiscences d’épreuves miliaires ardennaises que soulignait le printemps lumineux et covidé de 2020, puis les anniversaires douloureux de l’automne suivant.  Les échos des péripéties médiatico-judiciaires autour d’Estelle nous renvoient aussi à l’allégorie de notre époque : Écho et Narcisse. Il n’y a pas besoin d’être psychologue pour découvrir combien le narcissisme de Fourniret est une enflure pathologique de celui de notre société : il a culminé en un syndrome d’Erostrate qui n’est pourtant que son oripeau posthume ; mais Monique Olivier persiste dans le brouillage de l’écho d’Estelle depuis deux décennies. En consonance, notre époque narcissique qui a martyrisé l’écho primal des chauves-souris à Wuhan, pour produire des chimères épigénétiques en captivité, a fini par croiser sa némésis et multiplie depuis les tombeaux témoins de son hubris. Toutefois, les narrateurs des échos éloquents du drame d’Estelle essaient de réfuter toute vengeance tardive, tout réductionnisme judiciaire et toute artifice commode. Cette quête, loin des coercitions de jadis, fait se heurter les proches à la difficulté d’une rémission autour du deuil, alors que la disparition se perpétue. Suzanne Mouzin sait aujourd’hui que des preuves attestent les cauchemars qu’elle fuyait et Éric ne peut pas encore « prendre soin d’Estelle » comme il se l’est promis.  Idéalement, la justice proposerait des récits de réparation dans un registre proche des contes édifiants. Mais, on doit constater de faibles conciliations dans la perversité des réprouvés et donc une rémission inaccomplie pour les éprouvés !

Les textes rassemblés ici visent à éclairer la psychopathologie lue chez Dostoïevski ou Freud et l’évocation de gémellités cruelles d’un conte contemporain ; mais aussi, à faire clairement référence aux intellections de Cynthia Fleury, à leur pertinence pour une destinée emblématique aux influences légendaires, à leur noétique exhaussée dans les imaginations des poètes Rainer Maria Rilke, Andreï Tarkovski et dans toutes celles interpelées par son écho.  "Clairement", cela veut dire : en limitant le jargon disciplinaire tout autant que l’éditorialisation facile des sciences humaines, mais en privilégiant la poésie profonde d’une expérience collective. Et ce n’est pas si évident que cela ; en témoigne la nécessaire définition de "algodicée" (du grec "algo", la douleur et "dicée", sa prise en charge cognitive et civique). Ce vocable d’usage assez récent roule la langue d’analyse des panacées de notre conte.

Le corps des textes est donc introductif à l’algodicée sociétale qui s'attache un peu plus chaque année au "mystère Estelle"

Vinciane Despret a publié au sujet des Nouveaux commanditaires : « L'œuvre des morts ». Il s’agit ici d'une démarche exploratoire dans cette philosophie du "Care" avec un périmètre créatif à s’approprier !

https://www.fondationdefrance.org/fr/cat-culture-et-creation/l-action-nouveaux-commanditaires

Dans sa leçon inaugurale de la chaire « Humanités et santé » au CNAM, Cynthia Fleury a exposé une voie pour un être « capable de mettre à nu son horreur et son spectre » et « sublimer les manques pour échapper aux ressentiments ». C’est cela dont j’ai fait mention en évoquant un conte poignant tourmenté par un être d’incomplétude.

Isabelle Teillet, la psychiatre venue témoigner le 11 décembre 2023, a explicité les topiques du conte cruel : « Toute l'histoire de Monique Olivier et Michel Fourniret emprunte à la trame des contes cruels » (…) « Monique Olivier ne peut supporter d'avoir de rivales... Elle était jalouse… » (…) « On est dans des liens presque siamois, un jumelage » (gémellité et fausse gémellité, encore !)

La dernière tentation des démons

« Supplicier des jouvencelles ou l’Antéchrist à portée du cul-terreux » aurait dit Louis Ferdinand Céline s’il avait connu Émile Louis, Marc Dutroux ou Michel Fourniret. Ce dernier se veut joueur émérite aux échecs mais quelques témoins avertis ont revu cette énième prétention à la mesure des rodomontades habituelles. Il développe par contre une tactique orientale devenue référence douloureuse chez "les paras" et avec cette baroque projection de sa culture militaire, il a circonvenu la justice et l’ordre social comme le Viêt Minh assiégea le camp retranché de Diên Biên Phù : prélevant à la société ses victimes comme les défenses avancées du corps expéditionnaire qui chutèrent les unes après les autres avant le vain plaidoyer des défaites ; "Isabelle" comme toute les autres "Huguette" qu’il pourrait numéroter... Concernant la légende militaire du tueur, on ne peut que regretter que les témoignages sur le "déniaisement militaire" de Fourniret, ses séquelles et ses "certifications funestes " n’aient pas été plus exploré.

Cynthia Fleury a beaucoup communiqué sur l’actualité et l’historicité du ressentiment en présentant « Ci-gît l’amer ». Dans le conte cruel qui nous a impactés, l’amer a tracé sa géographie. Julia, une mère excessive et son "petit poucet" malingre, à l’intelligence noueuse, se sont pervertis dans une rancœur ancrée dans leur terre ardennaise : c’est le ressentiment qui avait dopé les troupes allemandes de 1940 pour réussir à passer là, c’est le ressentiment vis-à-vis des humiliations faites à la famille qui a alimenté la quête d’un récit de justification, d’une fiction vivable en fantasmes, d’un arbitrage entre culpabilité et désirs inassouvis. L'adolescence a vu l’enkystement du complexe : le pervers s’est mis en posture de circonvenir ceux qu’il dépossédait, puis d’asservir à ses fantasmes tout ce qu'il pouvait. Alors, un jour, après le durcissement des sanctions sociales, c’est le ressentiment contre la prétention de la justice à sanctionner des comportements viscéraux, qui a trouvé à s’exprimer lorsque l’institution a commis l’erreur d’entrer en familiarité avec Fourniret : accouchant de cette « autorisation à l’indécence » dont il a trouvé la racine littéraire dans la latitude de ténèbres russes. Et la présence d'une alter-ego, tirant une jouissance aussi grande que la sienne, a décuplé sa volonté de sévir. Quid de la psychologie vraiment tordue de Monique Olivier ? La « Bovary du crime » que ses voisins décrivaient figée, tenant une fiction de Stephen King dont elle ne tournait plus les pages et une cigarette se consumant seule... A quoi pensait-elle cette Monique ? Au "Popeye" qui l'emmenait dans une vie d'aventure, au jardin secret au bout d'une aigreur dostoïekienne, à l’empire criminel qu’elle embrassait ? 1

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