Lettre du poilu gaston Biron, 20 avril 1917, Reims

Lettre du poilu gaston Biron

20 avril 1917, Reims

Ma chère mère,

Je me demande par quel miracle suis-je sorti de cet enfer, mais tu n’as pas à t’inquiéter je me trouve en lieu sûr. Aujourd’hui, je viens tout juste d’être admis dans un hôpital militaire de la Croix Rouge, je me trouve au poste chirurgical 23 vers l’arrière. Ici, une infirmière est à ma disposition en raison de mes pansements qui doivent être changés tous les jours. Nous sommes plus de 20 soldats dans la même chambre. Lorsque j’arrivai dans le dortoir pour la première fois, je me rendis compte que j’eu beaucoup de chance en me prenant ce calibre 8 mm dans l’épaule. Des soldats gazés, d’autres ayant perdu leur jambe à cause d’obus : tous sont dans un état pitoyable. Les médecins empêchent l’infection des plaies en utilisant une toute nouvelle méthode nommée le « bistouri et le ciseau ». Je me demande à chaque instant pourquoi j’ai eu la chance de m’en sortir parmi tous mes camarades depuis le début de ce conflit. Je ne cesse de prier tous les soirs, avant de faire d’horribles cauchemars, revoyant sans cesse les corps de mes camarades entassés les uns sur les autres au milieu de la boue. De notre dortoir, nous entendons des tirs de pièces de 75 à bout portant sur des avions, je reconnais ces tirs entre mille. Nous avons beaucoup souffert. Et toi, comment vas-tu ? Comment se passe la moisson ? Apparemment, les temps sont durs à l’arrière du pays et les récoltes sont mauvaises depuis ces 5 dernières années à cause de la guerre. Hélas, j’ai également appris que les chevaux furent réquisitionnés dans les champs! Sois forte pour ma chère sœur Marie, protège-la et surtout sois heureuse car il faut que tu tiennes bon. De mon côté, plus de 200 tirailleurs sénégalais viennent d’arriver dans les tranchés pour se mobiliser lors de la Bataille du Chemin des Dames. Sur mon lit d’hôpital, je souffre de mes blessures si bien que les infirmières sont à mes soins. Je me revoie il y a de cela 2 ans lorsque je suis parti à la guerre, content de défendre ma patrie, mon pays. On nous disait que les balles allemandes étaient molles, inoffensives. Nous étions partis la fleur au bout du fusil. Evidemment, nous étions naïfs de croire ces stupides affiches de mobilisation à cause de cette propagande, aussi cruelle et mensongère ! Je me souviens que j’étais heureux de défendre mon pays en septembre 1914, lors de la bataille de la Marne. A l’heure ou je t’écris, je sens que la guerre prend une autre direction car nous venons d’apprendre que l’armée Américaine vient d’entrer en lutte contre l’Allemagne ! Il s’agit d’une nouvelle très importante puisque cela permettra à nos soldats de retrouver l’ espoir. Depuis quelque mois déjà, des rumeurs circulent , en Russie, une révolution menée par les bolcheviques contre le tsar est en train de faire chuter son régime. Il y aurait un homme qui aimerait prendre sa place au pouvoir, un certain Lénine.

Je suis angoissé par mon retour dans les champs, à cause de mon handicap physique.

Enfin, ces quelques mots pour te dire qu’il ne faut pas s’inquiéter. Durant les durs moments c'est à toi que je pense et je voulais que tu saches que je vous protège, toi et Marie.

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