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Repression Coloniale

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Par   •  22 Février 2013  •  8 374 Mots (34 Pages)  •  948 Vues

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Les avocats métropolitains dans les procès du Rassemblement démocratique africain (1949-1952) : un banc d’essai pour les collectifs d’avocats en guerre d’Algérie ?

par Sharon Elbaz

En octobre 1946 le Congrès de Bamako donne naissance au Rassemblement démocratique africain (RDA)[2], dont Félix Houphouët-Boigny assume dès l’origine la présidence, consacrant par là même le rôle moteur de la section ivoirienne, le Parti démocratique de la Côte d’Ivoire (PDCI)[3]. Le RDA suscite dès le début la méfiance d’une administration coloniale qui, dans le contexte de la Guerre d’Indochine, n’appréciait guère l’audience croissante[4] d’un parti apparenté dans les différentes assemblées au PCF[5], et qui explorait dans ses congrès les voies de la « lutte anti-impérialiste ». Les incidents d’Abidjan (Treichville)[6] le 6 février 1949, ouvrent effectivement une période durant laquelle les « mobilisations de masse » conjuguées à une répression intense contre les militants du RDA, principalement en Côte d’Ivoire mais aussi sur l’ensemble des territoires de l’AOF et du Cameroun, vinrent nourrir une agitation politique certaine.

Les événements du 6 février 1949, ceux de Dimbokro en janvier 1950, la marche « historique » des femmes du RDA sur la prison de Grand Bassam en décembre 1949, et plus généralement les grands procès politiques contribuèrent incontestablement à forger ce que Leopold Sedar Senghor appelait la « mystique RDA ». Autant de dates « historiques » structurant une geste anticolonialiste, un registre de légitimité sur lequel le président du RDA, Félix Houphouët-Boigny s’appuiera[7] durant son long règne en Côte d’Ivoire[8]. Mais si les violences firent au total une cinquantaine de morts et plusieurs centaines de blessés[9], la répression conduite par les autorités coloniales se distingue par le recours systématique à la voie judiciaire. Des milliers de militants du RDA seront ainsi poursuivis devant tous les tribunaux des territoires de l’AOF[10] et du Cameroun, suivant des chefs d’inculpation divers mais qui relèvent tous du droit commun. L’originalité réside moins dans la méthode répressive employée par les autorités coloniales, le recours au droit dans une finalité politique, que dans l’ampleur d’une répression judiciaire qui s’attaque aux dirigeants locaux et simples militants sur l’ensemble des territoires africains[11].

Or la mise en place d’un « collectif d’avocats », en tant que mode spécifique d’organisation politico-professionnel, est une réponse au caractère massif d’une répression politique qui emprunte la voie judiciaire. La nouveauté de ce type d’organisation confère au domaine colonial un statut de « laboratoire d’expérimentation » pour les engagements futurs. Certes, dans les années 1930, certains avocats avaient déjà été dépêchés dans les colonies par des organisations politiques dans le cadre de procès emblématiques[12], d’autres avocats liés personnellement à des mouvements nationalistes avaient assumé la défense des militants nationalistes poursuivis[13]. Après-guerre un groupe d’avocats militants avaient jeté les bases d’une défense collective lors du procès des parlementaires malgaches poursuivis devant la Cour criminelle de Tananarive, en septembre 1948, en suivant l’affaire depuis l’instruction. Mais ces précédents de la défense politique en milieu colonial n’épuisent pas la spécificité du « collectif d’avocats » tel qu’il a été expérimenté en Afrique noire lors des procès du RDA, puisqu’il s’agissait désormais de mettre sur pied une défense politique globale permettant par roulement une présence quasi-permanente des avocats. L’avocat engagé dans la « cause anticoloniale » tentait désormais de sortir du cadre du procès emblématique pour assumer la totalité de la défense d’un mouvement politique.

L’étude du « collectif d’avocats » en Afrique noire débouche naturellement sur un questionnement de l’engagement politique des avocats, centré sur l’articulation entre activité professionnelle et engagement politique. Dans ce cadre, les avocats parlementaires[14] participent moins d’un modèle professionnel d’engagement politique que les avocats du « collectif RDA », qui conjuguent action politique et pratiques professionnelles, dans un contexte colonial propice à l’extension de leur champ d’action politique[15].

Le « collectif d’avocats » comme mode d’organisation politico-professionnel

La genèse d’un « service juridique » anticolonial

L’initiative de la mise sur pied d’un « service juridique » revient à Henri Douzon[16], un avocat communiste, ancien défenseur des parlementaires malgaches, qui fut le premier à se rendre à Abidjan en mars 1949. À l’origine, ce jeune avocat stagiaire de 24 ans, souhaitait s’installer en Afrique mais ce projet se heurtait à des difficultés professionnelles, notamment la nécessité d’une inscription de plus de deux ans au tableau à Paris et les contraintes inhérentes au statut d’avocat-défenseur en AOF tel qu’il est défini par l’arrêté de 1935. Il envisagea alors une solution alternative, « des déplacements espacés pour plaider certaines affaires en restant inscrit au Barreau de Paris »[17], sans renoncer à son projet initial aux vertus opérationnelles évidentes. Mais devant l’ampleur de la répression judiciaire visant les militants du RDA, la création d’un « collectif d’avocats » permettant d’assurer par rotation une permanence juridique en Afrique s’imposa comme une nécessité absolue, puisque seuls quatre avocats, effectuant des déplacements de deux mois, étaient suffisants à ses yeux pour assurer une défense continue[18], telle est la requête qu’il formule au secrétaire de la commission juridique du PCF, l’avocat Marcel Willard[19]. À l’issue de contacts préliminaires, d’abord avec la direction du RDA, qui l’a chargé d’organiser la défense de ses militants poursuivis, mais aussi avec les instances du parti, Henri Douzon formalise, depuis Abidjan, son projet dans une note intitulée « La défense politique devant les juridictions d’Afrique »[20]. Dans cette note, à l’issue d’une analyse politique de la situation en AOF, il préconise la constitution d’un groupe de travail, tenant des réunions périodiques à Paris, chargé de : « 1°) L’étude à Paris des problèmes particuliers, politiques et techniques, posés par la défense devant les juridictions en AOF. 2°) Les déplacements en Afrique pour plaider les affaires qui se présenteront

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